Exposé par le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, sur les opérations speciales, au Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire
Exposé par le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, sur les opérations speciales, au Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire
Le 8 octobre 1975
J'ai déjà fait allusion aux opérations spéciales lors de mon exposé liminaire et plusieurs orateurs en ont parlé également lors du débat général. Je voudrais donc, me borner à parler des trois pays dans lesquels je me suis rendu en visite officielle, à savoir : la Thaïlande, le Laos et la République démocratique du Viet-Nam.
Tout d'abord, je voudrais situer le cadre de notre activité dans ces pays. Les opérations spéciales, et le Comité exécutif l'a noté, ont ajouté une nouvelle dimension très importante à l'action humanitaire de mon Office. Je pense qu'il convient tout d'abord de rappeler très brièvement leur cadre institutionnel. Ces opérations sont entreprises sur la base de diverses résolutions de l'Assemblée générale relatives aux fonctions dites de « bons offices » du Haut Commissaire et en particulier dans des domaines où, selon la terminologie utilisée par l'Assemblée générale dans sa résolution 2956 adoptée à la 27ème session le 12 décembre 1972, le Haut Commissariat « dispose de compétences et d'une expérience particulières ». Avant d'entreprendre les tâches prévues par cette résolution, le Haut Commissariat s'assure de l'appui et du Secrétaire général et des parties directement concernées.
L'année dernière, à la suite d'une décision du Comité exécutif, l'Assemblée générale a voté, par acclamation, la résolution 3271 dans laquelle je cite
« Elle demande au Haut Commissaire de poursuivre ses activités en faveur de ceux dont le Haut Commissariat est habilité à s'occuper et prend note à cet égard de la décision par laquelle le Comité exécutif a invité le Haut Commissaire, dans le cadre du Budget-programme, à lui faire rapport sur ses tâches humanitaires spéciales de la même manière qu'il fait rapport sur d'autres activités, financées à l'aide des fonds d'affectation spéciale de son programme normal ».
Les documents A/AC.96/516/Add.1 et 2 qui sont soumis au Comité font suite à sa propre décision et à celle de l'Assemblée générale. Ces documents donnent des détails sur les diverses opérations spéciales entreprises par le HCR.
Les personnes déplacées qui bénéficient de l'assistance du Haut Commissaire dans le cadre de ces opérations spéciales se trouvent dans des situations analogues à celles des réfugiés dont mon Office s'occupe traditionnellement. Ce point a été souligné à plusieurs reprises lors de notre débat général. De même, l'assistance matérielle qui leur est fournie est similaire à celle que le Haut Commissariat dispense dans le cadre de son programme annuel. Aussi, les accords du Haut Commissariat qui concernent la mise en oeuvre des opérations spéciales contiennent-ils les mêmes clauses juridiques que celles utilisées habituellement pour les programmes annuels. Du point de vue des dispositions financières et budgétaires et des modalités d'exécution des projets, les opérations spéciales sont, également - à toutes fins utiles - assimilées au programme annuel du HCR.
Pour illustrer la nature de cette assistance, je me propose donc de parler en particulier de notre action en faveur des personnes déplacées au Laos, en Thaïlande et au Viet-Nam d'où je viens de rentrer. J'aimerais vous faire part de mes impressions de voyage et vous renseigner sur l'évolution de notre action humanitaire dans ces pays. Tout d'abord, la Thaïlande.
A l'invitation du Gouvernement Thaï, j'ai effectué une visite officielle en Thaïlande du 6 au 13 septembre. A Bangkok, j'ai eu l'occasion de discuter en détail avec les ministères directement concernés des projets d'assistance en faveur des personnes déplacées en provenance du Cambodge, du Laos et du Viet-Nam. Selon les rapports, le nombre de ces personnes, et particulièrement celles venant du Cambodge et du Laos, continue à augmenter. Plus de 55 000 ont déjà trouvé asile à titre provisoire en Thaïlande. La majorité des personnes déplacées sont des Laotiens, notamment d'origine Mhong, et on en dénombre environ 40 000 dont plus de 33 000 appartiennent à la communauté Mhong ; les autres sont des Thaï Dam et des Laotiens d'origine ethnique lao. En outre, il y aurait plus de 15 000 Cambodgiens. J'ai appris depuis qu'il avait augmenté. Il y a également un groupe de moins de 2 000 personnes d'origine sud vietnamienne arrivées en Thaïlande depuis les événements d'avril dernier.
Etant donné les conditions dans le pays et les moyens disponibles sur place, il a été décidé d'un commun accord que les projets financés par le HCR seraient exécutés par les autorités thaïs au niveau provincial et coordonnés par le Ministère de l'Intérieur à Bangkok. Un « Centre d'opérations pour les personnes déplacées » a été établi au sein du Ministère de l'Intérieur pour permettre une coordination efficace entre les divers ministères et départements du gouvernement de l'aide venant de l'extérieur, qu'il s'agisse d'aide multilatérale par le canal du Haut Commissariat, ou d'aide bilatérale. J'ai eu l'occasion de discuter avec tous les responsables concernés et j'ai eu des échanges de vues très fructueux avec le Premier Ministre ainsi qu'avec ses collègues, notamment aux Ministères des Affaires étrangères et de l'Intérieur.
J'ai également entrepris une série de visites extrêmement intéressantes sur le terrain, pour me rendre compte personnellement de la situation de chaque groupe et des problèmes auxquels ils sont confrontés. C'est ainsi que, grâce aux hélicoptères et autres moyens de transport qui ont été mis à ma disposition par les autorités, je me suis rendu dans la province de Chonburi pour visiter le camp de Sattahip où se trouvent les Sud Vietnamiens. Je me suis ensuite rendu dans la province de Prachinburi, une province frontalière au centre est du pays, où j'ai visité le camp de Aranya-Prathet qui héberge des groupes de Cambodgiens. Je suis également allé dans la province de Nan, dans la région nord-ouest du pays, qui est beaucoup plus distante de la capitale, pour visiter des groupes de Méos. Les Méos se trouvent dans cette région frontalière allant du nord-est au nord-ouest du pays où ils vivent dans des conditions précaires. J'ai pu me rendre compte en visitant ces camps qu'une amélioration s'impose. Et c'est à cela que mes représentants sur place s'emploient. Je me suis également rendu dans la province de Narathivat où Sa Majesté le Roi m'a fait l'honneur d'un échange de vues extrêmement fructueux au sujet des personnes déplacées en Thaïlande. A la suite des négociations avec le Gouvernement Thaï, il a été convenu qu'il y aurait des représentants du Haut Commissaire sur place dans les régions où se trouvent les personnes déplacées, et non seulement à Bangkok. Des sous-délégations seront donc établies dans diverses régions du pays et plus particulièrement à Aranya-Prathet en ce qui concerne les Cambodgiens, à Nan, dans la province de Nan, en ce qui concerne les Méos, et également à Nongkhai.
Ces sous-délégations seront chargées de maintenir la liaison entre la délégation du HCR à Bangkok, les autorités provinciales, et bien sûr, les personnes déplacées elles-mêmes ; elles collaboreront naturellement avec les autorités pour faciliter l'exécution des projets, et promouvoir des solutions rapides et, si possible, permanentes aux problèmes de ces personnes déplacées puisque, pour le moment, nous en sommes seulement au stade des secours.
Comme vous le savez, un programme de 12 400 000 dollars a été élaboré pour l'aide humanitaire en Thaïlande dont les détails ont été communiqués aux gouvernements. Des renseignements complémentaires relatifs à ce programme sont données dans le document A/AC.96/516/Add.2. je suis heureux de pouvoir dire que le Gouvernement thaïlandais et mon Office sont tombés d'accord sur tous les points concernant notre collaboration ainsi qu'il ressort du communiqué conjoint publié à la fin de ma visite officielle.
Je désire attirer l'attention du Comité sur le fait que les communiqués conjoints relatifs à mes visites dans ces trois pays figurent dans le Journal bimestriel du Haut Commissariat. Comme dans toute autre situation de réfugiés et de personnes déplacées, le rapatriement librement consenti des personnes venant du Laos et du Cambodge apparaît la plus heureuse des solutions. Pour qu'il puisse s'effectuer, il est, bien entendu, nécessaire de promouvoir des conditions qui lui soient propices.
A la suite de ma visite en Thaïlande, j'ai eu le plaisir de me rendre au Laos, du 13 au 19 septembre, où, là encore, je répondais à une invitation qui m'avait été adressée par le Gouvernement lao. Nous avons eu des discussions extrêmement utiles et fructueuses à Vientiane avec le Premier Ministre et ses collaborateurs au Ministère des Affaires étrangères, au Ministère de l'Intérieur et au Ministère de la Prévoyance sociale. Je pourrais peut-être souligner que le haut Commissariat avait commencé son programme d'assistance au Laos avant même la formation du Gouvernement Provisoire d'Union Nationale, et notamment dans la province de Xieng-Khuang sous contrôle des forces patriotiques laos. J'ai eu l'occasion de voir sur place, durant mon voyage, les résultats de cette étroite collaboration. Un programme d'assistance d'environ 3 millions de dollars a été exécuté au cours de l'année 1974-75, principalement dans les régions rurales et dans le domaine de l'agriculture. L'assistance du Haut Commissariat, destinée surtout à la réhabilitation des personnes déplacées pendant les années de conflit, a d'abord commencé par leur transfert vers leur village d'origine. C'est ainsi qu'avec le concours du Gouvernement Lao qu'environ 117 000 personnes sont retournées dans leur village. De ce nombre, près de 40 000 personnes ont été transportées de la région de Vientiane dans la province de Xieng-Khuang grâce à un p ont aérien financé par le Haut Commissariat. Les autres sont rentrés par la route ou par la voie fluviale. J'ai eu l'occasion de me rendre moi-même dans la province de Xieng-Khuang et plus particulièrement dans la région de Phone-Savane, dans la Plaine des Jarres, lieu historique, où j'ai vu plusieurs villages dans lesquels les personnes qui étaient rentrées reprenaient une vie normale dans leurs villages et champs. Je me suis également rendu à Luang-Prabang où j'ai eu l'honneur d'être reçu en audience par Sa Majesté le Roi et où j'ai eu également l'occasion de discuter avec les autorités provinciales des programmes de réhabilitation. »
Les longues années de conflit qui ont ravagé le Laos ont vu environ 700 000 personnes déplacées, ce qui représente un quart de la population totale. La normalisation de la vie économique et sociale du pays, surtout pour ces personnes déplacées, exige, vous le comprendrez aisément, un effort considérable. Le Gouvernement, en collaboration avec le haut Commissariat, a élaboré un plan global de 11 millions de dollars comprenant des contributions bilatérales et multilatérales. Le Haut Commissariat espère pouvoir contribuer aux divers projets d'assistance jusqu'à concurrence d'un montant de 6 millions de dollars.
En ce qui concerne les Laotiens se trouvant en Thaïlande, problème que je viens d'évoquer et que j'ai discuté en détail à Bangkok, j'ai eu également l'occasion de discuter avec les autorités lao de cette question et nous avons abouti à une identité de vues quant au rapatriement librement consenti. Ceci est d'ailleurs reflété encore une fois dans le communiqué conjoint qui a été publié à la fin de ma visite et qui a été reproduit dans le journal bimestriel du HCR. Vous noterez dans les communiqués conjoints que les Gouvernements thaïlandais et lao partagent, en général, les mêmes opinions au sujet de la, situation des personnes déplacées et que ces deux gouvernements désirent, dans la mesure du possible, encourager leur rapatriement librement consenti. Il est cependant nécessaire et évident qu'un climat de confiance doit être créé pour qu'une solution rapide et durable soit promue. C'est dans ce domaine tout particulièrement - et je m'en suis rendu compte quand j'étais en Thaïlande et au Laos - comme dans celui de l'assistance matérielle que le Haut Commissaire devrait avoir, en attendant, un rôle important à jouer. Je crois que les jalons ont été posés pour promouvoir et encourager un climat qui permettrait le rapatriement librement consenti, je l'espère, le plus rapidement possible.
Je voudrais maintenant parler du Viet-Nam. A l'invitation du Gouvernement de la République démocratique du Viet-Nam, j'ai eu le plaisir d'effectuer un visite officielle dans ce pays du 19 au 27 septembre. Comme vous le savez, le haut Commissariat a entrepris un programme important d'assistance humanitaire au Nord comme au Sud Viet-Nam. Ma visite a été particulièrement opportune et utile pour discuter avec les autorités vietnamiennes de tous les sujets d'intérêt commun et me rendre compte sur place des besoins des populations déracinées et affectées par la guerre. A Hanoï, j'ai pu m'entretenir en détail de notre collaboration avec le Ministère des Affaires étrangères ainsi qu'avec les hauts fonctionnaires des Ministères des Affaires étrangères, de l'Agriculture, de la Santé et des Départements collaborant aux projets d'assistance du Haut Commissariat. A part le programme régulier du HCR au Nord et au Sud Viet-Nam, une opération de secours d'urgence a été entreprise au Sud Viet-Nam, conjointement avec le FISE depuis les événements du mois d'avril. Durant mon séjour à Hanoï, j'ai aussi eu l'occasion de discuter avec la représentation spéciale du Gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud Viet-Nam le détail de notre collaboration. Pour me rendre compte personnellement de la situation au Nord, j'ai également visité diverses provinces les plus affectées, celles choisies pour y mettre en oeuvre l'assistance du Haut Commissariat. J'ai pu me rendre compte des progrès réalisés jusqu'ici dans l'exécution des projets financés par le HCR, dans les domaines de l'agriculture, de l'habillement et de la santé. Dans l'ensemble, ces projets s'élèvent à 3 millions de dollars. Le programme pour 1975-76 dont j'ai discuté en détail avec les autorités vietnamiennes s'élève à 6 millions de dollars et sera concentré principalement dans les régions affectées de Nghê-An, Hà-Tinh, Quang-Binh, Vinh-Linz, qui se trouvent entre le 17ème et le 20ème parallèle. Par la route No 1 qui relie Hanoï à Saïgon, je me suis rendu dans cette région et notamment dans les environs de Vinh-Linh, une grande ville qui a été très sévèrement touchée pendant la guerre et où j'ai eu des discussions avec les autorités provinciales, visité des coopératives et vu les divers projets de reconstruction entrepris par les autorités vietnamiennes pour normaliser la vie dans cette région qui a été complètement dévastée. J'ai également visité la région de Haïphong et je me suis rendu à Nam-Dinh, où l'un des projets du Haut Commissariat dans le domaine de l'habillement a été mené à bien.
Le but de l'assistance du Haut Commissariat est de promouvoir l'autosuffisance aussi rapidement que possible. Ceci est, du reste, parfaitement conforme à la politique des autorités vietnamiennes. Les projets seront donc concentrés principalement dans les régions rurales. A part le secteur agricole qui est le plus important, le Haut Commissariat contribuera également dans les domaines de la formation technique, de l'éducation secondaire, de la santé et de l'habillement.
A part le programme du HCR au Nord, des projets d'assistance, s'élevant à environ 7 millions de dollars pour 1975-76, ont également été élaborés au Sud. Le Gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud Viet-Nam m'a invité, comme je l'ai mentionné dans mon exposé introductif, à me rendre dans le Sud et j'ai l'intention d'y aller aussitôt que possible, après la session de l'Assemblée générale.
Dans la mesure des moyens mis à sa disposition, le Haut Commissaire apporte son aide humanitaire aux personnes déplacées. Cependant, les besoins du Viet-Nam sont énormes et méritent un effort bien plus important de la part de la communauté internationale. Du point de vue de leurs besoins essentiels, la situation des personnes déplacées et affectées par de longues années de guerre est analogue en tous points à celle des réfugiés couverts par les activités de mon Office. Après avoir constaté personnellement l'étendue de la dévastation, la nécessité d'une assistance rapide et efficace me paraît d'autant plus urgent. Je n'ai nul doute, qu'à part les efforts de mon Office qui restent toutefois modestes, le système des Nations Unies et la communauté internationale tout entière ne manqueront pas d'entreprendre un effort conjoint, inspiré par le courage et le dynamisme du peuple vietnamien pour faire face à ce qui reste un véritable défi humanitaire.