Déclaration faite par le prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la 1522ème séance de la Troisième Commission de l'Assemblée Générale des Nations Unies
Déclaration faite par le prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la 1522ème séance de la Troisième Commission de l'Assemblée Générale des Nations Unies
Le 22 novembre 1967
Madame le Président, je voudrais profiter de cette occasion pour vous exprimer, ainsi qu'à tous les membres de la Troisième Commission, ma reconnaissance pour le consensus qui a été atteint au cours de cette discussion, ainsi que pour la décision très positive que la Commission vient de prendre en adoptant la résolution. Le niveau des débats a été remarquablement élevé, et ce sera pour moi une source inépuisable d'inspiration dans mon travail. Au cours de la discussion, la bonne volonté s'est manifestée unanimement à plusieurs reprises et un consensus s'est dégagé, comme au cours du vote qui vient d'avoir lieu, et je pense que l'un des points les plus importants sur lequel l'accord s'est fait est la nécessité évidente dé poursuivre nos efforts et de renouveler le mandat du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
J'ai également beaucoup apprécié l'accord qui s'est manifesté sur la nécessité d'intensifier nos efforts en Afrique, continent qui, malheureusement, semble connaître aujourd'hui le problème brûlant des réfugiés dans toute son ampleur. Ce problème est étroitement lié - et je pense que là encore un autre consensus s'est dégagé au cours des interventions - à, celui du développement et nous devrons en tenir compte lorsque nous poursuivrons nos efforts pour résoudre le problème des réfugiés sur le continent africain. A cet égard, j'aimerais, Madame le Président, exprimer ma profonde gratitude à tous les membres de la Troisième Commission qui ont repris les vues de mon Comité exécutif ainsi que celles du Conseil économique et social en demandant que soit mentionné dans la 'résolution qui vient d'être, adoptée, le fait que je devrais être invité à assister aux réunions du Bureau consultatif interorganisations du Programme des Nations Unies pour le développement. Cette décision facilitera l'établissement de liens encore plus étroits avec les organismes des Nations Unies qui s'occupent du développement. Cela confirme à nouveau ce que j'ai toujours estimé être l'un des éléments essentiels de notre action depuis quelques années, à savoir, que la solution du problème des réfugiés est liée au problème du développement économique et social dans son ensemble.
C'est également avec un vif intérêt que j'ai noté les références faites dans certaines des déclarations au fait que notre action devrait être progressivement assumée. par les organismes de développement qui prendraient notre relève. La cessation progressive de nos activités et le relais assuré par d'autres organismes des Nations Unies, au dernier stade de l'intégration des réfugiés, est une question que j'ai mentionnée dans ma déclaration d'ouverture. C'est une idée qui me tient à coeur et j'aimerais dire combien j'ai apprécié les avis constructifs qui ont été donnés au cours des discussions dont cette question a fait ici l'objet.
J'aimerais également dire combien nous sommes profondément reconnaissants des déclarations selon lesquelles des contributions plus importantes seront versées pour le programme de 1968. De nombreuses délégations ont annoncé des augmentations, à la Troisième Commission, de même que de nombreuses délégations l'avaient fait à mon Comité exécutif. Je tiens à les remercier et à remercier, par leur intermédiaire, leurs gouvernements respectifs de ce geste de solidarité vis-à-vis de notre action et de cette manifestation de sympathie humanitaire avec la détresse des réfugiés. Je tiens à dire que l'exemple que ces délégations ont donné devrait être suivi par de nombreuses autres délégations. J'espère qu'il en sera ainsi. Il est vraiment remarquable que. de nombreuses délégations africaines, qui contribuent déjà à notre programme, aient annoncé qu'elles y contribueraient davantage encore. Le fait que ces gouvernements, qui ont à faire face à un problème aigu de réfugiés et dépensent déjà tant d'argent pour essayer de résoudre ce problème à l'intérieur de leurs frontières, choisissent de s'associer à l'effort international en faveur des réfugiés en contribuant de façon accrue à mon propre programme, constitue un très grand. encouragement et doit servir d'exemple aux autres. Je crois que toutes les contributions, aussi minimes, aussi symboliques soient-elles qui peuvent être versées élargissent la base de notre action et sont également l'expression tangible du soutien moral et politique dont nous avons besoin dans cet effort commun pour essayer de résoudre le problème. C'est pourquoi, j'espère que l'initiative de ces délégations servira d'exemple. Je souhaite qu'elle soit également un exemple pour les gouvernements qui, ainsi que l'ont déclaré quelques délégués, peuvent faire plus qu'ils ne font maintenant et pourraient envisager d'augmenter à l'avenir leur contribution.
Madame le Président, je voudrais, si vous me le permettez, formuler quelques commentaires sur les déclarations faites par divers représentants qui revêtent, d'après moi, une importance particulière pour mes activités.
J'aimerais dire à la distinguée représentante de Cuba que j'ai écouté sa déclaration avec la plus grande attention et je tiens à l'assurer que notre action est toujours basée sur des considérations d'ordre humanitaire et que nous n'envisagerons jamais d'accorder une aide à des personnes susceptibles de se livrer à des actes de subversion ou de terrorisme contraires aux principes des Nations Unies. Le Haut Commissariat, très conscient de son mandat au sein dès organismes des Nations Unies, souhaite contribuer au paix et à la stabilité c'est cette volonté qui nous sert de principe directeur, et qui est à la base de notre action. Chaque fois que des gouvernements font appel à nos bons offices pour résoudre les problèmes de réfugiés sur une base humanitaire, nous le faisons avec l'idée que ces réfugiés doivent être aidés de façon pacifique et qu'ils ne doivent, en aucune façon, être encouragés à recourir à une forme quelconque de subversion.
La distinguée représentante du Ghana a insisté sur la nécessité pour le Haut Commissariat de collaborer étroitement avec l'Organisation de l'unité africaine. Je suis entièrement d'accord. sur ce point. L'OUA nous a apporté une aide énorme en Afrique, ce qui a été à nouveau démontré de la façon la plus tangible lors de la Conférence d'Addis-Abéba que l'on a si souvent mentionnée au cours des débats. Cette coopération se renforce chaque jour. Nous avons à Addis-Abéba un bureau qui est en liaison avec l'Organisation de l'unité africaine, celle-ci envoie des représentants à mon Comité exécutif de Genève et nous travaillons beaucoup ensemble.
J'ai également beaucoup apprécié l'appel lancé par la distinguée représentante du Ghana aux gouvernements qui fournissent une aide bilatérale en Afrique pour qu'ils tiennent compte des réfugiés dans leurs programmes d'assistance. Il s'agit là d'un élément qui me paraît extrêmement important. En fait, si j'ai souligné les aspects multilatéraux du développement, elle nous en a très judicieusement rappelé les aspects bilatéraux et la nécessité, pour les gouvernements qui fournissent une aide sur une base bilatérale, de tenir compte des groupes de réfugiés qui sont d'ans les pays africains.
J'ai également noté dans sa déclaration la référence qu'elle a faite au FISE. Je voudrais rappeler que nous travaillons avec le FISE. Le FISE aide le Haut Commissariat à s'acquitter de sa tâche, particulièrement en Afrique. Nous avons reçu du FISE de grandes quantités de lait en poudre pour les enfants vivant dans les zones où sont installés les réfugiés. Mais nous tiendrons certainement compte de l'avis qui a été donné en ce qui concerne le FISE. Je tiens à insister sur le fait que je me suis toujours efforcé de renforcer cette coopération interinstitutions avec tous les organismes des Nations Unies.
La distinguée représentante de l'Italie a souligné qu'il serait utile d'insérer dans notre rapport un petit paragraphe sur ce qu'elle a appelé « les moyens d'action non financiers ». Ces moyens sont, bien entendu, très variés. Ils comportent, en premier lieu, les contacts quotidiens, lorsque le besoin s'en fait sentir, avec un vaste réseau d'organisations intergouvernementales, d'institutions bénévoles et de groupes de particuliers. D'une manière générale, les « moyens d'action non financiers » comprennent des campagnes d'appel de fonds et diverses activités destinées à intéresser l'opinion publique au problème des réfugiés, notamment la publication de documents d'information. Il est assez difficile de donner un aperçu succinct de toute cette vaste gamme d'activités dans le rapport qui est soumis à la Commission. Mais nous tiendrons compte de la suggestion de la délégation italienne et nous nous efforcerons d'améliorer nos techniques d'information de façon à faire également rapport à l'Assemblée généra le sur cet important aspect particulier de nos travaux.
La distinguée représentante de l'Irak a rappelé, entre autres, la très importante recommandation de la Conférence d'Addis-Abéba que j'ai déjà mentionnée, relative au rapatriement volontaire et à la réinstallation des anciens réfugiés l'ans leur pays d'origine et, en particulier, le paragraphe 10 selon lequel l'Assemblée générale des Nations Unies devrait adopter une résolution tendant à élargir les attributions du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés de façon à lui, permettre de prêter assistance aux gouvernements dans leurs efforts pour aider les anciens réfugiés rentrés dans leurs pays. Ceci soulève un problème fondamental dont je sais que la distinguée représentante de l'Irak s'est pleinement rendu compte quand elle a dit que l'Assemblée générale pourrait peut-être examiner cette recommandation à une session ultérieure et prendre une décision appropriée. Il y a ici un problème fondamental de doctrine, un problème qui intéresse le mandat du Haut Commissariat, parce que, came on l'a souligné ici, la responsabilité du Haut Commissaire est, au premier chef, d'assurer aux réfugiés une protection internationale, De toute évidence, on ne peut protéger les gens une fois qu'ils sont retournés dans leur pays, puisqu'ils sont ressortissants de ce pays au même titre que tout autre citoyen et puisque, leur pays étant un Etat souverain, ils doivent naturellement être protégés par leur propre gouvernement et non par une organisation internationale. En d'autres termes ma compétence cesse au moment où les réfugiés franchissent la frontière de leur pays et rentrent chez eux. Il y a là un problème fondamental et je pense qu'il a également été étudié à Addis-Abéba. Quant à la question de l'assistance matérielle, à laquelle a pensé, j'en suis sûr, la distinguée représentante de l'Irak, je tiens simplement à dire que nos efforts ne devraient pas faire double emploi avec ceux d'autres organismes des Nations Unies qui s'occupent tout particulièrement du développement économique et social et qui ont peut-être des programmes d'action dans les pays où ces réfugiés, reviendront. Après tout, l'aide que nous fournissons est extrêmement faible. Comme la Troisième Commission le sait, notre assistance fait essentiellement office de catalyseur. Dans les pays d'origine des réfugiés notre assistance matérielle ne pourra avoir qu'une efficacité limitée, qui sera certainement très inférieure à celle de l'assistance que les organismes de développement économique et social de Il ONU seraient en mesure de fournir à ces pays. Nous devrions donc éviter tout double emploi et tout chevauchement à l'avenir.
Je tiens également à ajouter que l'Assemblée générale est, bien entendu, maîtresse chez elle. A mon avis, elle l'a prouvé en 1961, lorsqu'à sa 1081ème séance, à la seizième session, elle a adopté la résolution 1672 (XVI) concernant quelque 200 000 réfugiés d'Algérie au Maroc et en Tunisie, qui envisageaient de retourner dans leur pays, après la conclusion de l'accord de cessez-le-feu d'Evian. Ayant en vue ce groupe particulier de réfugiés, l'Assemblée générale a prié le Haut Commissaire d'alors, et je cite, « d'utiliser les moyens dont il dispose pour aider à assurer le retour ordonné de ces réfugiés dans leurs foyers » et, ce qui est essentiel, « d'envisager la possibilité, si besoin est, de faciliter leur réinstallation dans leur pays dès que les circonstances le permettront ». Pour aider ces réfugiés à se réinstaller dans leur pays, nous disposions des fonds destinés à leur prêter assistance à l'étranger et nous nous en sommes servi en Algérie même. Ce n'est que plusieurs années après que nous avons pu, grâce à des fonds qui leur étaient destinés, aider tous ces réfugiés à se réinstaller et à se refaire une nouvelle vie dans les régions qu'ils avaient dû quitter. Ces fonds ont servi à creuser des puits et à construire des maisons et des écoles et les résultats obtenus ont été très satisfaisants. Mais il s'agit là d'une résolution exceptionnelle de l'Assemblée générale. Elle n'a pas modifié l'essence même du mandat du Haut Commissariat, qui s'applique de toute évidence aux personnes vivant hors de leur pays d'origine. Si j'en parle, c'est parce qu'il y a là matière à réflexion. Quand nous lisons la recommandation d'Addis-Abéba, nous devons également nous rappeler que, dans des cas spéciaux, l'Assemblée générale peut prendre une décision, sans, nécessairement avoir à modifier les dispositions fondamentales du Statut ou du mandat du Haut Commissariat.
La distinguée représentante du Maroc a fait une émouvante déclaration. J'ai été particulièrement touché d'entendre l'appel qu'elle a lancé en faveur du financement du programme du Haut Commissaire. En cette ère où l'homme conquiert l'espace et résout les problèmes de la science et où il élabore des techniques de guerre, nous devons également chercher à mettre au point des techniques pour résoudre le problème des réfugiés. Un des meilleurs moyens d'atteindre nos objectifs est certainement d'obtenir les fonds nécessaires auprès de sources gouvernementales. Pour ce qui est des centres de jeunes fil les en Afrique auxquels la représentante du Maroc a fait allusion, il y en a un grand nombre dans les colonies rurales de réfugiés que le Haut Commissariat a établies en Afrique. Nous ne les avons pas mentionnés dans notre rapport parce que c'est un des nombreux aspects de l'installation dé réfugiés dans les zones rurales, mais ils existent. Nous avons des centres d'industrie familiale et artisanale et des coopératives qui relèvent parfois des écoles que nous avons ouvertes pour les réfugiés et ils fonctionnent bien. Je n'oublierai pas ce qu'a dit la représentante du Maroc, en particulier en ce qui concerne le problème des femmes et des jeunes filles dans ces centres de réfugiés.
Le distingué représentant du Rwanda a souligné qu'on ne devrait pas donner de l'argent aux, réfugiés qui s'en servent pour acheter des armes. Je tiens à dire que non seulement nous ne donnons pas d'argent aux réfugiés pour acheter des armes, mais nous ne leur en donnons pas du tout. Nous les aidons par l'entremise des gouvernements des pays d'accueil et cela est vrai de tous les groupes de réfugiés. En Afrique, nous n'avons pas accordé de subventions aux réfugiés à titre individuel. Nous les avons aidés collectivement à s'installer de façon pacifique, et les fonds sont toujours gérés en étroite coopération avec le gouvernement du pays d'accueil et ne sont jamais remis directement aux réfugiés eux-mêmes. Une fois dé plus, je tiens à dire que nous regrettons vivement que des centres de réfugiés organisent des activités subversives, que nous ne considérons pas les réfugiés qui se livrent à ce genre d'activités comme relevant de la compétence du Haut Commissaire et que notre plus profond désir est d'aider les réfugiés à s'installer pacifiquement en Afrique et ailleurs.
Le distingué représentant de l'Ouganda a demandé une plus large représentation du continent africain au Comité exécutif du Haut Commissariat. J'ai pris note de sa déclaration et, bien entendu, de l'amendement au projet de résolution qu'il a présenté (A/C.3/L.1494, Rev.1). Je pense que cela nous rapprochera davantage encore de l'Afrique. Je m'en félicite. Je pense sincèrement que la présence de l'Ouganda à Genève dans le passé, en tant qu'observateur, a beaucoup contribué à nous faire mieux comprendre le problème des réfugiés en Afrique et je serai heureux de voir les pays africains siéger parmi les membres du Comité exécutif.
Dans sa déclaration la représentante du Royaume-Uni a souligné combien le Royaume-Uni avait apprécié le fait que le Comité exécutif a décidé, à Genève, de ne tenir qu'une réunion annuelle, au lieu de deux comme auparavant. Je suis heureux que cette question ait été soulevée. Je suis convaincu que grâce aux contacts continus que Haut Commissariat entretient avec les membres du Comité exécutif, même en dehors des sessions, nos travaux continueront de recevoir le plein appui des gouvernements et que, comme l'a souligné le Royaume-Uni, en n'ayant qu'une session par an, nous ferons des économies dans le plus grand intérêt de notre travail et conformément aux décisions prises par l'Assemblée générale en ce qui concerne le nombre des réunions.
Enfin, Madame le Président, tout en vous demandant de m'excuser d'avoir pris un peu plus longtemps que je ne le prévoyais pour exprimer mes vues sur certaines des très importantes déclarations que j'ai entendues ici, je tiens à vous dire ma profonde gratitude personnelle pour la façon admirable dont vous avez dirigé nos débats et pour l'intérêt et la préoccupation que vous témoignez pour notre travail et pour la solution du problème des réfugiés.
Je remercie également le Vice-Président, ainsi que M. A. Mohammed, Rapporteur, de la coopération et du dévouement dont ils ont toujours fait preuve dans nos travaux humanitaires.