Déclaration de M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la réunion informelle des Représentants permanents à Genève des Etats membres du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire, le 31 janvier 1986
Déclaration de M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la réunion informelle des Représentants permanents à Genève des Etats membres du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire, le 31 janvier 1986
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
En m'adressant à vous pour la première fois en tant que Haut commissaire, je souhaite saisir l'occasion qui m'est donnée de partager avec vous l'ébauche de ce que j'appellerai les grands axes de marche que je me suis tracés pour le début du mandat que vient de me confier l'Assemblée générale. L'universalisation du phénomène de l'exil forcé, qui n'épargne de nos jours aucun continent, aucune sous-région, demande à être regardée en face. La migration intercontinentale, les mouvements irréguliers, les exodes massifs de réfugiés - souvent fondés sur des motifs aussi disparates et souvent cumulatifs tels que l'intolérance, les guerres intestines, les conflits internationaux, la violation des droits de l'homme, les catastrophes naturelles ou les crises économiques - constituent une réalité globale qui exige une approche commune et des efforts conjoints afin de dégager des solutions possibles.
Numériquement, conceptuellement et géographiquement, nous nous trouvons devant une difficulté aux dimensions inédites et, si nous n'y prenons garde, aux conséquences illimitées. Hormis la situation de l'après-guerre, les pays qui, il y a dix ou quinze années encoure, percevaient le problèmes des réfugiés à distance ou l'expérimentaient au plan régional, sont aujourd'hui confrontés à des phénomènes migratoires dont les causes sont lointaines et difficilement contrôlables. Le problème ne se limite donc plus à une simple distinction entre pays donateurs et pays récepteurs : ses retombées rejaillissent sur chacun et nous invitent, dès lors, à la recherche concertée de nouvelles réponses. Regarder ces difficultés en face créera le climat indispensable pour les empoigner carrément et pour leur trouver des solutions acceptées par la majorité. Si l'humanitaire est désormais difficilement dissociable des autres données qui caractérisent l'interdépendance des relations au sein de la communauté internationale contemporaine, il faut éviter à tout prix que les problèmes humanitaires ne se trouvent emprisonnés dans des blocages politiques. Les solutions découleront donc d'un partage de responsabilité fondé sur l'acceptation du réel et non de son rejet.
En jaugeant le présent avec les outils normatifs ou passé, force est de constater que les définitions codifiées au début des années cinquante ne rendent plus intégralement compte de la complexité des phénomènes de l'exil qui se produisent sous nos yeux. La netteté des définitions juridiques en vigueur est de nos jours brouillée par la diversité des situations concrètes et la multiplicité des motivations objectives et subjectives qui poussent une personne ou des communautés entières au déracinement. Cela ne veut absolument pas dire qu'il faille remettre en question le contenu du mandate du Haut Commissaire ou de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés. Mon espoir, bien au contraire, est que ce décalage temporaire entre les normes de référence et la réalité vécue, encourage les Etats - qui sont en définitive les gardiens ultimes du droit international - à résister à la tentation de se retrancher derrière les limites des textes existants et à reconnaître, tout en réaffirmant les principes essentiels, le besoin de les ajuster aux nouvelles exigences pratiques et ceci le moment venu.
Ainsi, les défis de l'actualité exigent de notre part une attitude ouverte, celle-ci consiste à prendre en compte les diverses situations de réfugiés en tant que faits, même si certaines représentent des « zones grises » sous l'angle juridique. Si pareille approche de la réalité était retenue avec l'ouverture d'esprit voulue, cela conduirait, dans la durée, à inverser peut-être les grands courants de migrations involontaires des temps modernes. De tels résultats ne seront acquis que par une effort commun de solutions immédiates, et dans le respect de la dignité et de la sécurité des personnes.
Il ressort de ce que je viens de dire, que la protection reste la tâche fondamentale du Haut Commissariat. Nous nous trouvons face à une choix entre deux tentations : soit de récuser la réalité au nom d'un formalisme juridique, soit de pencher excessivement vers les expédients au mépris de l'humanité et du droit. Cela m'amène à faire un pas de plus et à souhaiter qu'un travail coordonné des gouvernements, du HCR et des autres partenaires qui oeuvrent en faveur des réfugiés conduise à une interpénétration de l'action et du droit dans les activités du HCR. Dans ce processus, chacun le comprendra, le droit s'adaptera ainsi à terme à la pratique en vigueur sur le terrain et à la doctrine doit donc faire pendant à l'action quotidienne. Ce double effort permettra de gommer le flou que sécrètent les situations nouvelles, ce que j'appelle les zones grises, dans le respect des principes humanitaires et des règles d'action que la communauté des Etats s'est donnée par l'adoption de la Convention des Nations Unies de 1951 et de son Protocole de 1967.
J'ai dit que la complexité des problèmes actuels exigeait une approche commune. Cela est d'autant plus vrai qu'il n'existe guère de solution toute faite et que nous ne progresserons qu'en empoignant les problèmes dans leur ensemble. Par exemple, il est possible de coupler, d'une part, des programmes d'assistance qui permettent aux réfugiés de demeurer temporairement et dignement dans les premiers pays d'accueil avec, d'autre part, l'exploration immédiate des possibilités de rapatriement volontaire. Lorsque l'option du retour n'est pas envisageable à court ou à moyen terme, des solutions plus durables devront permettre aux réfugiés de subvenir en partie au moins à leurs besoins. Pareils programmes seront élaborés avec le concours des partenaires qui disposent du « know how » dans les domaines de l'agriculture et de l'artisanat. Il me paraît erroné d'assimiler solutions durables en termes d'autosuffisance avec séjour permanent dans les pays de premier accueil. En effet, la volonté de retourner chez soi est directement liée à la dignité que conserve un réfugiés dès lors qu'il ne tombe pas dans un état de dépendance totale. Cette vérité s'est vérifiée à l'envi ces trente dernières années. Enfin, la réinstallation dans un pays d'asile définitif devrait rester, notamment pour les cas les plus délicats, une issue qu'il serait inconcevable de songer à verrouiller.
Cela ne veut pas dire que la recherche de solutions doive avoir lieu aux dépens de l'action immédiate, avant même qu'une quelconque solution puisse être envisagée. Dans les situations d'urgence, qui se sont si dangereusement multipliées ces quinze dernières années, la capacité d'intervention rapide et efficace du HCR et de ses partenaires opérationnels devrait être renforcée. De plus, la nécessité est apparue de définir rapidement avec les gouvernements intéressés, notamment dans les régions les moins développées, des plans d'action à moyen terme, dans le respect des conditions et des besoins de la population locale.
Bref, je m'emploierai à la recherche de solutions souples et composites qui, pour réussir, devront recevoir le soutien décisif des gouvernements. Leur volonté politique de voir le HCR réussir l'exécution de son mandat, constitue la véritable garantie du succès de ses activités.
Ce résultat dépendra aussi, bien évidemment, des moyens financiers mis à la disposition du HCR. Je souhaite vivement que les sacrifices consentis par les réfugiés à la suite de la réduction des programmes du HCR en 1985 ne s'imposeront plus. A cet égard, je fais appel aux gouvernements pour qu'ils fournissent au HCR, dès 1986, les ressources indispensables à l'exécution totale de ses programmes qui s'établissent, cette année, à 330,4 millions de dollars E.U. pour les Programmes généraux et de 92,16 millions de dollars pour les Programmes spéciaux. Ce dernier chiffre inclut les 17 millions couvrant le premier trimestre des Programmes spéciaux d'urgence en Afrique - l'Ethiopie, la Somalie et le Soudan - mais exclut les neuf mois restants pour lesquels un budget sera soumis sous peu aux gouvernements.
Pour sa part, le HCR s'efforcera d'assurer l'exactitude dans l'évaluation des besoins, la crédibilité dans la formulation des programmes et la rigueur dans la mise en oeuvre des projets. L'application systématique de ces principes renforcera la confiance qui doit exister entre le HCR et les pays qui le soutiennent, tant il est clair que le financement des activités d'une institution comme la nôtre doit être fondé sur les résultats du travail accompli et non sur un automatisme, qui d'ailleurs s'est érodé par les appels successifs à la générosité de la communauté internationale.
Dans cette optique, je suis conscient de la nécessité, tant au Siège que sur le terrain, de doter le HCR des outils de travail et de gestion qui lui permettront d'atteindre avec efficacité les objectifs qui lui ont été fixés. C'est sur le terrain que se nouent les crises et qu'apparaissent les victimes. C'est donc sur le terrain que le HCR réussit ou échoue. La structure de l'institution doit s'adapter à cette vérité. Je l'ai ait, l'Action et le Droit sont interdépendants, aussi les Bureaux régionaux doivent jouer leur rôle de coordinateurs de l'ensemble des activités du HCR sur le terrain. Les diverses fonctions (le juridique, la programmation, le personnel, les finances, les relations extérieurs et ainsi de suite) doivent assurer le soutien de ces activités. A cet égard, je donnerai une priorité particulière, au cours des prochains mois, à l'adaptation des structures du HCR aux principes modernes de gestion et aux méthodes de travail qui lui conviennent. Ceci permettra à chaque fonctionnaire de comprendre l'importance de son rôle et de contribuer, avec compétence et motivation, au succès global de l'action du HCR.
Mais ce souci du travail sur le terrain et des armatures adéquates qu'il requiert, ne signifie pas que le HCR ait l'intention de tout faire tout seul. Il devra, en effet, continuer à s'appuyer sur des partenaires opérationnels, tout en leur offrant un encadrement compétent qui guidera et coordonnera les plans d'action auxquels ces partenaires participeront. Etant lié par des principes humanitaires précis et des méthodes strictes d'exécution de ses activités, les HCR s'appuiera sur des partenaires opérationnels qui seront disposés à pratiquer l'impartialité envers les réfugiés, l'indépendance vis-à-vis des gouvernements et la neutralité à l'égard de toute controverse de nature politique.
Je ne voudrais par terminer cette brève présentation des principales orientations qui guideront le HCR, sans affirmer devant vous ma volonté d'entretenir un dialogue, continu et confiant avec les Etats membres du Comité exécutif et tout autre Etat qui serait confronté à un problème de réfugiés ou qui serait en mesure de contribuer à sa solution. L'une de mes préoccupations fondamentales sera de préserver et de renforcer le consensus au sein du Comité exécutif, du conseil économique et social et de l'Assemblée générale, conscient que je suis de la garantie qu'il représente du respect et du rayonnement des principes humanitaires qui inspirent l'oeuvre du Haut Commissariat. Mes collègues et moi-même savons que le soutien sans réserve dont nous avons besoin dépendra, dans une très large mesure, des la rigueur que nous devons démontrer dans l'accomplissement de notre tâche humanitaire et de la crédibilité qui en découlera. Sans relâche, nous y consacrerons tous nos efforts car nous n'oublions jamais que 10 millions d'êtres humains innocents et meurtris attendent de nous, mais également de vous-mêmes, des actes décisifs qui leur permettront de rester en vie, de conserver leur dignité et de nourrir un espoir véritable de réintégrer la communauté des hommes maîtres de leur destin. Ensemble, mobilisons nos imaginations, nos énergies et nos volontés réciproques pour ne pas décevoir cet espoir.