CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES, COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA DIX-NEUVIEME SEANCE
CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES, COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA DIX-NEUVIEME SEANCE
A/CONF.2/SR.19
Présents : | |
Président : | M. LARSEN |
Membres : | |
Australie | M. SHAW |
Autriche | M. FRITZER |
Belgique | M. HERMENT |
Canada | M. CHANCE |
Colombie | M. GIRALDO-JARAMILLO |
Danemark | M. HOEG |
Egypte | MUSTAPHA Bey |
Etats-Unis d'Amérique | M. WARREN |
France | M. ROCHEFORT |
Grèce | M. PAPAYANNIS |
Irak | M. AL PACHACHI |
Israël | M. ROBINSON |
Italie | M. del DRAGO |
Luxembourg | M. STURM |
Monaco | M. SOLAMITO |
Norvège | M. ARFF |
Pays-Bas | M. van BOETZELAER |
République fédérale allemande | |
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord | M. HOARE |
Saint-Siège | Mgr. BERNARDINI, archevêque d'Antioche de Pisidie |
Suède | M. PETREN |
Suisse (et Liechtenstein) | M. SCHURCH |
Turquie | M. MIRAS |
Venezuela | M. MONTOYA |
Yougoslavie | M. BOZOVIC |
Observateur : | |
Iran | M. KAFAI |
Haut-Commissaire pour les réfugiés | M. van HEUVEN GOEDHART |
Représentants des institutions spécialisées et d'autres organisations intergouvernementales : | |
Organisation internationale pour les réfugiés Conseil de l'Europe | M. SCHNITZER |
Représentants d'organisations non gouvernementales : | M. TALIANI de MARCHIO |
Catégorie A | |
Confédération internationale des syndicats libres | Mlle SENDER |
Catégorie B et Registre | |
Association internationale de droit pénal | M. HABICHT |
M. POSNER | |
Caritas Internationalis | M. BRAUN |
Comité consultatif mondial de la société des Amis | M. METTERNICH |
M. BELL | |
Comité consultatif d'organisations juives | M. MEYROWITZ |
Comité de coordination d'organisations juives | M. WARBURG |
Conférence permanente des agences bénévoles | M. REES |
Conférence permanente des affaires internationales | M. REES |
Congrès juif mondial | M. RIEGNER |
Conseil international des femmes | Mme FIECHTER |
Fédération internationale des amis de la jeune fille | Mme FIECHTER |
Ligue internationale des droits de l'homme | Mme BAER |
Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté | Mme BAER |
Pax Romana | M. BUENSOD |
Union catholique internationale de service social | Mlle de ROMER |
Union internationale des ligues féminines | Mlle de ROMER |
Secrétariat : | |
M. Humphrey | Secrétaire exécutif |
Mille Kitchen | Secrétaire exécutive adjointe |
EXAMEN DU PROJET DE CONVENTION RELATIVE AU STATUT DES REFUGIES (point 5 a) de l'ordre du jour) (A/CONF.2/1, A/CONF.2/5 et Corr.1) (suite)
Article premier - Définition du terme « réfugié » (A/CONF.2/9, A/CONF.2/13, A/CONF.2/16, A/CONF.2/17, A/CONF.2/27, A/CONF.2/73, A/CONF.2/74, A/CONF.2/75 et A/CONF.2/76).
Le PRESIDENT rappelle qu'au début de la Conférence, il a proposé de renvoyer à un peu plus tard l'examen de l'article premier. Il a pris cette initiative, non seulement en pensant aux difficultés qui sont inhérentes à cet article, mais surtout parce qu'il voulait, avant d'aborder cet article, donner aux représentants la possibilité de se mieux connaître et de créer ainsi l'atmosphère de confiance et de collaboration qui, il est heureux de pouvoir le dire, a présidé aux délibérations de la Conférence. Il a souvent eu l'occasion de se servir du mot « unanime » en annonçant les décisions et espère avoir l'occasion de s'en servir encore. Au moment d'aborder l'étude de l'article premier quant au fond, il va donc faire appel à la bonne volonté des représentants, afin que l'on puisse aboutir à un accord unanime.
Avant d'ouvrir la discussion, il voudrait donner la parole au représentant de la Conférence permanent des agences bénévoles travaillant pour les réfugiés.
M. REES (Conférence permanent des agences bénévoles travaillant pour les réfugiés) tient, au début de son exposé, à rappeler à la Conférence que la Conférence permanent des agences bénévoles qu'il a l'honneur de présider, comprend vingt-trois organisations internationales et neuf organisations nationales qui, depuis au moins cinq ans, travaillent pour les réfugiés, aux termes d'ententes officielles conclues avec l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR). Ces agences ont également apporté leur concours au Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Elles ont voulu être entendues par la présente Conférence, car c'est dans les camps, parmi les êtres humains, au milieu de la souffrance et de la misère humaines, qu'elles ont travaillé. La Conférence est sur le point d'adopter une définition juridique du terme « réfugié ». Toutefois, la façon dont la Conférence a indirectement défini le réfugié au cours des travaux effectués jusqu'ici a créé une impression générale que l'orateur voudrait rectifier par souci de vérité et de justice. Les agences bénévoles savent bien que leur rôle est de servir, et que celui de la Conférence est de légiférer. Elles admettent que, parmi les réfugiés, il existe des cas spéciaux mais il leur semble, malgré tout, que la Conférence a mis l'accent sur les cas exceptionnels au détriment des cas normaux. En fait, il semble qu'elle ait arraché le bon grain avec l'ivraie. A en juger par ses décisions, on aurait pu croire, parfois, qu'il s'agissait d'une conférence pour la protection contre les méchants réfugiés des Etats souverains sans défense. Par moment, le projet de convention menaçait d'apparaître aux réfugiés comme le menu d'un restaurant de luxe dont en aurait supprimé tous les plats, à l'exception peut-être du potage, et qui porterait une indication signalant que, dans certaines circonstances, on se réserve même de ne pas servir le potage.
Il se dégage des débats, même pour les personnes qui les ont suivis fidèlement, l'impression que le réfugié moyen est un trafiquant de devises, un failli, un dangereux criminel, un agent de l'ennemi, une menace pour le marché de la main-d'oeuvre et une personne incapable d'accéder à l'enseignement supérieur.
Certes, il existe de telles personnes, comme elles existent dans toutes les catégories d'êtres humains, mais ceux qui travaillent avec les réfugiés se sentent tenus de rappeler à la Conférence que les réfugiés sont des hommes et des femmes qui ont des passions et des qualités identiques à celles des autres et, l'expérience a montré, en Europe, et notamment dans les pays d'accueil, que la grande majorité des réfugiés pouvaient représenter un actif virtuel pour une collectivité quelconque.
La Conférence a légiféré en pensant au type le moins satisfaisant de réfugié vivant dans le pays le plus libéral. M. Rees insiste auprès des représentants pour qu'ils pensent au réfugié moyen, vivant dans le pays le plus réactionnaire.
Ce sont les réfugiés eux-mêmes qui vont étudier la convention avec le plus d'intérêt, et M. Rees voudrait insister auprès de la Conférence pour que, en fin de comte, ses débats constituent pour eux un message de générosité et de libéralisme et non pas un message de crainte mesquine. Si la Conférence estime avoir prévu suffisamment de mesures de protection et de restriction, il lui sera sûrement possible d'être généreuse pour définir les personnes qui bénéficieront des droits accordés par la convention.
M. CHANCE (Canada) rend hommage à l'éloquente déclaration du représentant de la Conférence permanente des agences bénévoles.
Pour sa part, il ne veut pas compliquer les problèmes que pose l'article premier, et il se félicite, en outre, d'être en mesure de pouvoir accepter à peu près n'importe quel texte auquel se rallierait la majorité. Il se déclare en faveur de la définition la plus large possible et il regrette seulement que l'accord n'ait pu se faire à ce sujet.
Il n'a pas d'amendement à proposer et il n'a aucune thèse à défendre, mais il voudrait cependant présenter une observation à la Conférence. Il demandera à ce propos qu'on veuille bien ne pas accorder à cette observation d'autre portée que celle qu'elle a en réalité, sans y voir de motifs cachés.
Dans l'exposé qu'il a fait au début de la Conférence, il a déjà rappelé que les réfugiés arrivant au Canada se voient immédiatement accorder le statut d'immigrant débarqué, ce qui leur permet d'être considérés comme des personnes résidant en permanence au Canada, bénéficiant de la plupart des droits civiques et assumant les obligations civiques habituelles. L'histoire de l'immigration au Canada montre que ce pays vise à assimiler et à absorber les immigrants. Les nouveaux arrivés peuvent devenir citoyens canadiens au bout de cinq ans, ce qui est le délai légal le plus court possible. On parle toujours d'eux comme de nouveaux Canadiens, et cela montre bien l'attitude du pays et les buts qu'il poursuit. Ce n'est pas l'altruisme qui détermine cette attitude et ces buts ; le Canada est tout simplement convaincu que c'est la politique qui présente le plus d'avantages pour les deux parties.
Rien ne peut être pire pour des réfugiés, qu'ils se trouvent en territoire canadien ou qu'ils attendent le moment d'y pénétrer, que d'avoir l'impression d'être tenus à l'écart du reste de la collectivité. Il est essentiel de réaliser l'intégration psychologique et économique. La grande majorité des réfugiés sont arrivés au Canada avec l'intention d'y rester, mais certains d'entre eux ont naturellement la nostalgie de leur pays et, contre tout espoir, espèrent pouvoir y retourner. Ce sont là des sentiments extrêmement respectables et les lois et règlements du Canada ne contiennent aucune disposition qui les empêche de quitter le Canada s'ils le désirent. Mais, d'une façon générale, le Gouvernement canadien préférerait que les réfugiés qui viennent au Canada avec l'intention de s'y installer définitivement ne se considèrent pas comme des réfugiés aux termes de la convention. Aucun des droits prescrits par la Convention ne leur sera refusé au Canada. C'est là, en effet, un point sur lequel M. Chance ne saurait trop insister. Que son Gouvernement adhère ou non à la Convention, les autorités canadiennes accorderont aux réfugiés l'attention spéciale qu'ils méritent, en raison des circonstances spéciales dans lesquelles ils se trouvent.
C'est là un état d'esprit qu'il est difficile - M. Chance s'en rend bien compte - d'exprimer dans le texte d'un document juridique et, en fait, il craint que, si l'on modifie dans ce sens la section D) de l'article 1, l'ensemble de la Convention s'en trouve affaibli. Ce n'est pas là résultat qu'il cherche et c'est pourquoi il n'a pas présenté d'amendement. Le but de la Convention est de protéger les réfugiés et non pas les Etats.
Il terminera en disant que le Gouvernement canadien estime qu'il est dans l'intérêt des réfugiés d'essayer de ne pas s'attarder au passé et de regarder vers l'avenir, vers leur nouvelle vie au Canada et leur condition de Canadiens nouveaux.
M. ROCHEFORT (France) interprète l'éloquente déclaration du représentant de la Conférence permanente des agences bénévoles comme visant en esprit toutes restrictions qui ne seraient pas dans l'intérêt des réfugiés, qu'elles se traduisent dans l'attitude qu'auraient à leur égard les pays d'accueil ou dans la position qu'adopteraient les pays d'immigration. M. Rochefort tient préciser une fois de plus que le souci manifesté per certaines délégations, dont celle de la France, de permettre aux gouvernements de séparer, chaque fois que cela sera nécessaire, le bon grain de l'ivraie, a pour origine un désir sincère de protéger au mieux les intérêts des réfugiés. En effet, si l'on accorde le statut de réfugiés aux criminels, les pays d'immigration ne pourraient qu'avoir des doutes sur la valeur d'un tel statut. D'autre part, les gouvernements ayant la responsabilité de centaines de milliers de réfugiés établis sur leur territoire, ont le devoir de veiller à ce que les agissements d'éléments indésirables ne suscitent pas une vague de xénophobie préjudiciable à la masse des réfugiés dans son ensemble.
Pour répondre aux observations du représentant du Canada, la délégation française signale que le Canada a été l'un des pays qui, en 1949, a insisté auprès d'elle pour l'amener à restreindre la portée du texte qu'elle avait proposé pour le statut du Haut Commissariat. Par ailleurs, M. Rochefort comprend les considérations qui amènent le Gouvernement canadien à souhaiter que les réfugiés qu'il accueille oublient leurs épreuves et s'intègrent dans la vie de leur nouveau pays. Cependant, la délégation française ne saurait, pour sa part, appuyer ce point de vue : elle estime que l'un des droits les plus sacrés de l'individu est de garder l'attachement qu'il professe à l'égard de se patrie d'origine et, en fait, la France abrite sur son territoire un grand nombre de réfugiés espagnols qui, aux termes mêmes de la Constitution de l'OIR ne résident en France que temporairement.
M. Rochefort présente alors l'amendement que la délégation française propose d'apporter au paragraphe 2 de la section A de l'article 1 (A/CONF.2/75). Cet amendement consiste à rétablir dans ce texte les mots « en Europe », selon le projet initial adopté par le Conseil économique et social. La délégation française tient à préciser à cette occasion qu'il s'agit d'une proposition qu'elle présente sur les instructions formelles du Gouvernement français.
Retraçant alors l'historique de la question, M. Rochefort rappelle que, depuis 1949, date à laquelle le problème a été traité pour la première fois sur le plan international, bien des positions ont été prises et bien des théories ont été avancées. Selon l'une d'elles la définition qui figurerait dans le statut du Haut Commissariat devait être aussi étroite que possible, et la définition inscrite dans la Convention relative au statut des réfugiés, aussi large que possible. Cette position n'est soutenue ici par aucune délégation, celles qui l'ont soutenue ne s'étant pas fait représenter, ce qui explique leurs intentions. Il s'agissait de limiter le mandat du Haut Commissariat afin de le rendre inapplicable aux réfugiés se trouvant sur le territoire intéressé et à condition de ne pas signer la Convention la définition de la Convention pouvant être aussi large que possible sans inconvénient. Le Gouvernement français, qui a la responsabilité de centaines de milliers de réfugiés, n'a pas pu partager ce point de vue.
A l'origine, deux attitudes opposées se sont fait jour : en premier lieu, la position de la délégation française, concrétisée par un projet présenté au Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes. Ce projet aurait fait de la Convention un grand instrument de protection internationale des réfugiés ainsi qu'un grand instrument de solidarité internationale. Conçu dans l'esprit le plus large, ce projet prévoyait l'interdiction de toute discrimination entre réfugiés et non réfugiés : il affirmait la nécessité pour les Etats du prendre, tant sur le plan national qu'international, les mesures nécessaires pour faire bénéficier les réfugiés des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il exprimait la volonté de voir appliquer la Convention d'une façon de plus en plus large ; il énonçait la nécessité pour les Etats d'harmoniser leur législation avec la Convention et, pour assurer l'application pratique de la Convention, il prévoyait la nécessité de nombreuses adhésions. Ce texte, où étaient énoncés les devoirs incombant aux réfugiés, contenait, en outre, une disposition par laquelle les Etats contractants s'engageaient à examiner avec bienveillance les demandes d'accueil des réfugiés et à reconnaître le caractère international des charges supportées, de ce fait, par certains pays. Ce projet a rencontré l'opposition des deux-tiers du Comité spécial. Ses diverses parties furent repoussées à une importante majorité.
Une autre thèse, celle que le Gouvernement du Royaume-Uni semble avoir choisie dès l'origine a également été présentée à cette époque. On en retrouvera l'expression dans les observations que le gouvernement du Royaume-Uni a présentées au sujet du rapport du Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes. Le Gouvernement du Royaume-Uni déclarait qu'il n'avait pas l'intention de modifier les principes fondamentaux appliqués sur son territoire ni de créer une classe d'étrangers dotés de privilèges spéciaux. Il ajoutait qu'il ne voyait pas la nécessité d'élaborer une Convention mais qu'il envisagerait avec bienveillance la possibilité d'y accéder éventuellement. La délégation française a dû abandonner sa position, d'abord parce que tout ce que son projet contenait de généreux n'avait pas trouvé d'écho au Comité spécial et, en second lieu, parce qu'elle avait le souci de maintenir, sur le double plan du Haut Commissariat et de la Convention, la solidarité internationale entre les Etats membres de l'OIR qui a fait le succès de cette Organisation ; elle estimait donc qu'un texte qui ne recueillerait pas la plus large adhésion sur ces deux points, n'aurait pas de portée pratique. C'est dans ces conditions que, tout en restant soucieuse d'obtenir le texte le plus libéral et le plus généreux possible, la délégation française a recherché une solution de compromis, qu'elle pensait avoir trouvé avec la résolution 319 (IV) adoptée par l'Assemblée générale en 1949 et avec le texte que le Conseil économique et social avait mis au point en 1950. (Résolution du Conseil 319 (XI)). Ce texte se retrouve, à quelques modifications près, dans le projet de Convention. La modification essentielle est, en l'occurrence, la suppression des mots « en Europe » de l'article premier. La délégation française tient à signaler que ces mots figuraient dans le premier projet établi par le Comité spécial ainsi que dans le second projet établi par le Conseil économique et social. C'est dans les dernières minutes que ces mots ont disparu, contre le voeu d'un des pays du nouveau monde qui s'est intéressé de la façon la plus large et la plus constructive aux travaux de l'OIR. La délégation française s'est inclinée devant cette suppression, estimant que l'importance de l'opposition que son point de vue avait rencontrée témoignait du vif intérêt que les divers pays manifestaient à l'égard de la Convention.
Certes, à l'époque même, on pouvait être assez sceptique car l'intérêt manifesté par ces pays visait simplement la définition et ne concernait pas les articles même de la Convention, lesquels constituent les engagements véritables que devront prendre les Etats. Comment aurait-on pu concevoir, en effet, que certains pays d'Asie ou d'ailleurs fussent on faveur d'une définition par laquelle les Etats s'engageant à accorder des droits aux réfugiés seraient obligés de les accorder sans en connaître les bénéficiaires, alors que les résultats de l'enquête de la Fondation Rockefeller ne sont pas encore connus on qu'on ignore encore connus et qu'on ignore encore le nombre de ces réfugiés ? Avec, d'une part, le vote de quarante et une délégations en faveur du projet de Convention et, d'autre part, le nombre des invitations envoyées par le Secrétaire général, on pouvait espérer que pour la première fois, se manifestait dans le monde, un vif intérêt pour le problème des réfugiés. La composition de la présente conférence a déçu ces espoirs. Où sont donc tous ces quarante et un pays ? Bien entendu, on a le devoir d'être optimiste et d'envisager un grand nombre d'adhésions. Mais, au regard de certaines interventions des délégations à la conférence il faut bien constater que les efforts tendant à établir un système de protection internationale, généralisé et étendu à tous les réfugiés, ont échoué. Les pays qui ne sont pas représentés à la Conférence, ont reproché à la délégation française un manque de générosité. Il est toujours facile d'être généreux en paroles. Mais, ainsi que l'a fait remarquer le représentant du Royaume-Uni, le texte de la Convention ne constitue pas un traité en vertu duquel les Etats contractants assument certaines obligations en échange de certains avantages ; il s'agit plutôt d'une sorte de déclaration faite au profit d'une tierce partie. Ceci est profondément vrai et il serait vain de chercher, même avec l'actuelle articulation de l'article 30 vers le Haut Commissariat, une possibilité ultérieure d'obtenir des avantages que l'Assemblée générale a bien entendu ne pas donner, ni sous la forme de fonds, ni par une assistance. Le gouvernement français estime qu'il lui est impossible d'adhérer à une Convention comportant des obligations à l'égard du représentant des Nations Unies, sans que les pays représentés par cette Organisation, et qui n'assistant pas aux travaux de la Conférence, prennent des engagements semblables. D'autre part le texte actuel représente un chèque en blanc.
M. Rochefort souligne qu'il est vain de faire remarquer que la Convention ne règle ni le droit d'asile ni les conditions d'admission. C'est là un point des plus ambigus, clair peut être pour les pays insulaires mais qui revêt un tout autre caractère pour les pays de l'Europe continentale. La question qui se pose donc est celle de savoir si ces derniers pays peuvent à l'égard de pays qui ne contracteront pas un engagement analogue s'engager sur le plan international (sur le plan moral ils le sont déjà) en ce qui concerne le droit d'asile. L'on ne saurait, à est égard, comparer la situation des pays insulaires et celle des pays continentaux qui sont en contact direct avec la source d'où viennent les réfugiés. Pour la France, la notion du droit d'asile et la qualité de réfugié se confondent. Dès lors en ce qui concerne les pays qui ont la responsabilité de centaines de milliers de réfugiés, la définition impose pratiquement une obligation. C'est une définition dynamique, qui couvre non seulement tous les réfugiés actuels mais encore tous les réfugiés à venir, et toutes les parties du monde. Aucun texte de Convention n'a été si loin dans ce domaine.
En outre, l'on ignore encore le nombre de réfugiés et leur répartition par origine nationale ; l'absence des mots « en Europe » pose donc une série de problèmes : le gouvernement français ne peut s'engager à adhérer à la Convention avant que ces problèmes n'aient été résolus. En outre, comme l'a signalé le représentant de l'Egypte, la clause de l'exclusion provisoire, que constitue la section C) de l'article 1, est en réalité une clause d'inclusion différée, concernant les réfugiés de Palestine. La délégation française éprouve à l'égard des réfugiés arabes de Palestine plus que de la sympathie - elle est en effet l'un des pays qui contribue à l'effort fait en leur faveur - et elle pourrait adopter une attitude bienveillante à l'égard de toutes Conventions, les concernant directement, mais elle n'en estime pas moins qu'il s'agit là de problèmes tout à fait différents de ceux des réfugiés d'Europe et ne voit pas comment les Etats contractants pourraient s'engager dans un texte par lequel leurs obligations s'étendraient, non pas la suite d'une libre décision, mais par le jeu de la politique des Nations Unies (C'est-à-dire par le retrait de l'aide que divers organes des Nations Unies accordent actuellement aux réfugiés arabes de Palestine), à un groupe nouveau et important de réfugiés. Le problème des réfugiés arabes de Palestine est un problème d'une importance et d'une urgence telles qu'avant de faire l'objet d'un texte, il doit faire l'objet d'un examen qui n'a pas été effectué jusqu'à présent.
On peut imaginer le problème sur un plan théorique et penser qu'on peut élaborer, en un seul texte, des solutions visant tous les réfugiés en général. Toutefois, c'est là une attitude qui manque de réalisme car les conditions varient avec les pays, et adopter cette méthode serait confondre des questions qui n'ont aucun point commun. C'est ainsi, par exemple, que la question se pose de savoir dans quels termes les engagements énoncés dans la convention pourraient correspondre sur le plan pratique à la situation et aux besoins des réfugiés arabes de Palestine. Quels pays envisagent en effet d'accorder le bénéfice de la convention aux réfugiés arabes de Palestine : les pays d'immigration ? Leurs lois ne prévoient pas l'immigration des réfugiés autres que ceux de l'Europe. Les pays de l'Europe ? N'ont-ils pas à supporter des charges déjà si lourdes ? Même les pays d'Europe qui s'intéressent à la question sous l'angle de l'assistance internationale et qui sollicitent cette assistance savent que, si la convention la leur accordait, leur problème ne serait pas pris en considération par les Nations Unies au regard des problèmes de protée vraiment mondiale que posent, par exemple, la reconstruction de la Corée ou la famine dans l'Inde. La vérité, c'est que les progrès, dans le domaine international sont lents. Une région du monde est mûre pour traiter, sur le plan international, le problème des réfugiés : c'est celui des réfugiés européens. On ne peut traiter tous les problèmes des réfugiés dans un même texte car on risquerait par là de compromettre ce qui peut, être fait au prix de ce qui ne le sera peut-être pas. La France, pour sa part, assume la responsabilité d'un trop grand nombre de réfugiés pour chercher à étendre son libéralisme dans la direction des parties du monde qui ne s'intéressent pas à la solution ce ces problèmes. Rien ne s'oppose à ce que le Haut-Commissaire prenne éventuellement l'initiative de faire élaborer des conventions qui, selon les nécessités diverses, répondront aux besoins des différents groupes de réfugiés. La France serait au premier plan des Etats désireux de collaborer à cette oeuvre. Ultérieurement, quand les diverses conventions existeront, il sera peut-être possible de les réunir en une seule.
En conclusion, M. Rochefort indique que c'est sur les instructions formelles de son gouvernement que la délégation française a présenté son amendement et qu'elle a le devoir de formuler une réserve sur la possibilité qu'aurait le Gouvernement français d'adhérer à la convention si le texte de son amendement n'y était pas incorporé. Il tient également à souligner qu'il lui semble préférable d'élaborer un texte permettant à des gouvernements comme la France de signer une convention couvrant 300 000 réfugiés que d'adopter une formule que son universalité rendrait inacceptable ou vaine.
M. PETREN (Suède), avant de présenter des observations sur l'amendement soumis par sa délégation (A/CONF.2/9), voudrait formuler quelques observations d'ordre général sur l'attitude du Gouvernement suédois.
La Suède est un pays d'asile, situé près de territoires d'où viennent des réfugiés. Elle a appliqué une politique libérale et voudrait continuer à la faire ; mais il faut tenir compte de ce qu'elle ne peut absorber qu'un nombre limité de réfugiés et que, notamment, devant la gravité actuelle de la situation internationale, les considérations de sécurité nationale doivent jouer un certain rôle. L'orateur s'associe au point de vue exprimé par le représentant de la France.
En ce qui concerne le projet de convention, il tient à rappeler que le Gouvernement suédois, n'ayant pas participé aux travaux préparatoires, n'est pas, autant que d'autres, au courant de l'historique de la question. Du point de vue du Gouvernement suédois, il importe en tout cas que le texte soit aussi claire que possible ; en fait, pour l'interprétation de la convention, la Cour internationale de Justice ne pourra tenir compte que du texte lui même et non pas de ce qui aura pu être dit au cours du travail préparatoire, mais qui n'aura pas été exprimé dans le texte.
L'article premier prend toute sa signification lorsqu'on l'examine en relation avec les articles 27 et 28.
Selon l'interprétation donnée par le Président, l'article 27, qui traite de l'expulsion des réfugiés résidant régulièrement dans un pays, signifie, en fait, qu'un réfugié ne réside régulièrement dans un pays qu'aussi longtemps qu'il possède un permis de résidence. Lorsque ce document est arrivé à expiration, et qu'il n'est pas renouvelé, le réfugié ne réside plus régulièrement sur le territoire du pays qui l'a délivré. Mais l'article 28, qui traite de l'expulsion vers le pays où le réfugié à été persécuté est conçu en termes absolus et n'admet aucune discrimination entre un réfugiés réfugié qui réside régulièrement et un réfugié qui réside irrégulièrement. Si l'article premier doit s'appliquer à d'autres catégories de réfugiés qu'à ceux qui fuient les persécutions, un Etat pourrait, aux termes de l'article 27, prendre certaines garanties en accordant des permis temporaires. C'est pourquoi le représentant de la Suède estime qu'un élargissement de l'article premier nuirait à l'ensemble de la convention.
L'amendement suédois (A/CONF.2/9) suggère, souligne-t-il, d'insérer en premier lieu dans l'alinéa 2 de la section A une référence aux personnes qui pourraient être persécutées, du fait qu'elles appartiennent à un certain groupe social. Il existe des cas de ce genre et il serait bon de les mentionner explicitement.
La deuxième partie de l'amendement tend à tourner les difficultés inhérentes à l'expression « pour des raisons autres que de convenance personnelle ». L'on a fait valoir que cette expression désigne par exemple des considérations relatives au souvenir de souffrance passées ; c'est une notion assez facile à comprendre, mais qu'il serait très difficile, selon lui, d'exprimer dans un texte de loi nationale. Le but ce la phrase est de faire en sorte qu'un réfugié ne puisse se prévaloir du droit d'asile pour réaliser des bénéfices financiers ; néanmoins, il n'est pas toujours facile de juger des motifs réels auxquels obéit un individu. Le Gouvernement suédois ne pourra accepter un texte qui ne serait pas suffisamment limité et précis.
Les mots par lesquels commence l'alinéa 2 « par suite d'événements survenus avant le 1er janvier 1951 » suscitent également certaines appréhensions. Il est impossible d'évaluer le nombre de personnes qui ont fui ou qui fuiront par suite de ces événements. Il y a, dans les pays totalitaires, des centaines, voire des milliers de personnes qui, sans doute, voudraient bien fuir, à la suite de ces événements, mais qui n'ont pas encore pu le faire. Il serait inopportun d'ouvrir la porte d'entrée si largement que les Etats puissent se trouver dans l'obligation de traiter comme réfugiés des personnes qui pourraient, en fait, regagner leur pays d'origine.
Enfin, le représentant de la Suède estime que l'exposé du représentant de la France contient ample matière à réflexion ; il préférerait faire connaître ultérieurement, au cours des débats, l'attitude qui sera la sienne.
M. del DRAGO (Italie) rappelle que la délégation italienne a eu l'occasion d'exprimer sa satisfaction de ce que la définition du terme « réfugié », approuvée en décembre 1950 par l'Assemblée générale (résolution 429(V)), se soit considérablement rapprochée des vues exprimées à maintes reprises par le Gouvernement italien, lequel avait souligné la nécessité d'élaborer une convention qui s'étendrait au plus grand nombre possible de réfugiés. Si la définition de l'article premier est satisfaisante en ce qu'elle couvre des périodes plus étendues de l'histoire contemporaine, sa portée géographique n'est cependant pas sans susciter quelque inquiétude. En effet, le Conseil économique et social avait limité la définition aux réfugiés d'Europe. La délégation italienne, qui a pu assister aux séances du Conseil seulement en qualité d'observateur, n'a pu s'opposer à ce que la définition du terme « réfugié » soit étendue de manière à comprendre les réfugiés du monde entier. Elle saisit l'occasion qui est maintenant offerte pour souligner qu'en Italie, où le problème des réfugiés revêt une gravité toute particulière en raison de l'excédent de la population et de l'importance du chômage, l'idée que la convention puisse être appliquée à tous les réfugiés du monde ne peut que susciter les plus vives inquiétudes. La suppression des mots « en Europe », qui limitent l'application de la convention à certaines catégories de réfugiés, donne au problème des proportions énormes que l'on ne saurait ni prévoir ni évaluer, En effet, si la convention vise des Européens désireux de s'établir dans des pays de civilisation occidentale d'outre-mer, les droits et les devoirs du réfugié et du pays d'accueil peuvent être délimités. Si, au contraire, les pays occidentaux - les seuls qui assumeront une obligation précise en signant la convention - doivent accueillir les victimes de mouvements nationaux tels que ceux qui se sont récemment produits dans l'Inde ou dans le Moyen-Orient, ils se trouveront devant des problèmes très graves et ne pourront faire face aux charges qu'entraînerait l'application de la convention sous sa forme actuelle, alors qu'ils ignorent tout des intentions du Haut Commissaire pour les réfugiés, qui, lui-même, ne dispose pas encore des conclusions auxquelles aboutira le rapport de la Fondation Rockefeller. A une définition précise peuvent correspondre des obligations précises, à une définition aussi large que celle qui figure actuellement à l'article premier ne peuvent correspondre que des engagements très généraux, et les intentions les meilleures et les plus humanitaires doivent, quand même, rester dans la limite des possibilités pratiques. Le Gouvernement italien aurait les plus grandes difficultés à adhérer à la convention si l'on ne rétablissait pas le texte initial de l'article premier en en limitant l'application à la seule Europe. La délégation italienne appuiera donc l'amendement de la France. D'autre part, elle se prononce également en faveur de l'amendement suédois.
MUSTAPHA Bey (Egypte) remercie le représentant de la France des sentiments qu'il a manifestés à l'égard des réfugiés arabes en Palestine. Il tient à assurer la délégation française qu'il comprend parfaitement les soucis qui l'inspirent ; d'autre part, il y a lieu de noter que les réfugiés arabes de Palestine se trouvent dans une situation provisoire et que, conformément aux résolutions adoptées à ce sujet par l'Assemblée générale, ils doivent rentrer dans leurs foyers. Si la délégation égyptienne a évoqué le sort de ces réfugiés, c'est que la Conférence actuelle est une émanation des Nations Unies et que c'est l'Organisation des Nations Unies qui porte la responsabilité de leur sort. Les membres de la Conférence ont donc le devoir de trouver une solution au cas de ces réfugiés. Par sa résolution du 11 décembre 1958, l'Assemblée générale a ordonné le retour, dans leurs foyers, des réfugiés arabes qui en auraient exprimé le désir. Cette résolution n'a pas eu de résultat pratique, et la situation n'a fait que s'aggraver. La seule solution véritable du problème est d'assurer le retour des réfugiés arabes dans leurs foyers.
Présentant alors l'amendement qu'il a soumis (A/CONF.2/13), Mustapha Bey souligne que le but que sa délégation vise en l'occurrence est d'accorder à tous les réfugiés le statut prévu par la convention. Exclure certaines catégories de réfugiés du bénéfice de la convention serait créer une classe d'être humains qui ne jouiraient d'aucune protection. Il est à noter, à ce propos, que l'article 6 du chapitre II du Statut du Haut Commissariat donne une définition générale visant toutes les catégories de réfugiés. La clause limitative de la section C de l'article premier de la convention couvre les réfugiés arabes de Palestine. Du point de vue du Gouvernement égyptien, aussi longtemps que des institutions et organes de l'Organisation des Nations Unies s'occupent de ces réfugiés, leur protection demeurera évidement du ressort exclusif des Nations Unies. Toutefois, quand cette aide aura pris fin, la question se pose de savoir comment on continuera d'assurer la protection de ces réfugiés. Il est normal de leur accorder le bénéfice de la convention, et c'est à cette fin que la délégation égyptienne a présenté son amendement.
M. Al PACHACHI (Irak) remercie, lui aussi, le représentant de la France de son attitude généreuse et compréhensive à l'égard du problème des réfugiés arabes de Palestine. Il tient à préciser que la section C de l'article premier a été insérée dans la définition sur la demande expresse des pays arabes qui n'ont pas voulu imposer aux Etats contractants la charge des réfugiés arabes de Palestine aussi longtemps que l'Organisation des Nations Unies s'en occupait. Mais lorsque cessera l'aide accordée actuellement par les Nations Unies et que, par conséquent, la convention deviendra applicable à ces réfugiés, il ne s'ensuivra nullement que ces réfugiés émigreront en France ou dans d'autres pays d'Europe occidentale, quand ce ne serait que pour des raisons d'ordre purement matériel. Les rares personnes qui pourraient se permettre un tel déplacement ne constitueraient nullement une charge pour les gouvernements des pays d'accueil, bien au contraire, car leur déplacement ne serait possible que si elles possédaient des ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins.
M. HOARE (Royaume-Uni) indique que l'exposé du représentant de la France a reflété la divergence d'opinions qui existe à propos du problème des réfugiés. M. Rochefort n'est pas le seul à être déçu par l'article premier ; mais certains le sont peut-être pour d'autres raisons.
Le Gouvernement du Royaume-Uni a toujours préconisé une définition aussi large que possible, et cela non pas en raison de considérations égoïstes, comme celle qui consiste à dire que, le Royaume-Uni étant une île, il est mieux à même de surveiller les déplacements des réfugiés ; l'attitude du Gouvernement du Royaume-Uni ne s'explique pas non plus par une méconnaissance de l'aide supportée par d'autres pays, mais parce qu'il estime que toute personne fuyant devant la persécution devrait bénéficier du statut de réfugié. L'objet de la Convention est de donner aux réfugiés un minimum de garanties et, puisqu'elle est élaborée sous les auspices des Nations Unies, ces garanties ne devraient pas être accordées uniquement aux réfugiés d'une région donnée. La Convention prote essentiellement et même presque entièrement sur le minimum de droits et de garanties applicables aux réfugiés après leur entrée sur le territoire d'un Etat contractant. Comme on l'a fait remarquer à la présente Conférence, la Convention ne traite pas de l'admission de réfugiés dans les pays d'asile, ni des circonstances dans lesquelles un Etat peut refuser de donner asile à un réfugié.
Le seul article qui a trait à ce point est l'article qui interdit d'expulser un réfugié vers un pays où sa vie ou sa liberté est en danger. Cela ne fait que reconnaître une pratique humanitaire suivie par tous les pays d'asile, et la Conférence a déjà amendé cet article afin de prévoir des garanties suffisantes pour la sécurité et l'ordre public. M. Hoare demande donc à la Conférence de ne pas perdre de vue l'objet fondamental de la Convention, lorsqu'elle examinera l'amendement de la France (A/CONF.2/75). Sans doute est-il vrai que si la Convention vise des événements survenus avant le premier janvier 1951, le mouvement de réfugiés provoqué par ces événements risque de continuer dans l'avenir. Le représentant de la France s'est déclaré disposé à accepter cette thèse pour les événements survenant en Europe. Quelles seraient les conséquences si l'on étendait cette thèse aux événements survenant hors d'Europe ? Il s'est produit par exemple des événements sur le continent américain qui ont provoqué un mouvement de réfugiés. Ce mouvement peut persister ; mais M. Hoare ne croit pas qu'une telle situation ait jamais constitué, dans le passé, une lourde charge pour les pays d'Europe, ni qu'elle en constitue une dans l'avenir. Même si un mouvement de réfugiés vers l'est devait se produire, les pays d'Europe seraient en mesure d'y faire face. Dans l'éventualité de déplacements de ce genre, ces pays deviendraient en fait, pays d'immigration au même titre que les pays du continent américain pour les réfugiés d'Europe actuellement, et ils auraient les mêmes moyens de contrôle.
M. Hoare en vient alors à parler de la catégorie des réfugiés qui sont exclus de la présente Convention en vertu de la section C, par exemple, les Arabes de Palestine ; à son avis, l'effet de cette section telle qu'elle est rédigée, tend à donner à cette exclusion un caractère permanent. C'est d'ailleurs pour cela que le représentant de l'Egypte a soumis son amendement (A/CONF.2/13), car il voudrait que ce groupe de réfugiés puisse bénéficier, à l'avenir, de la Convention. Le représentant du Royaume-Uni trouve une preuve à l'appui de ses vues dans le fait cette catégorie est mentionnée, de façon très différente, dans le Statut du Haut Commissariat (E/1831).
L'argument avancé par le représentant de l'Irak est également pertinent et M. Hoare pense, comme lui, que le risque de voir les pays d'Europe être obligés de faire face à un gros afflux de réfugiés arabes est trop faible pour que l'on doive en tenir compte. Si un tel afflux devait se produire, en provenance soit des Etats arabes, soit des pays de l'Amérique latine, soit de l'Extrême-Orient, il appartiendrait à chaque pays européen de prendre les mesures qu'il jugerait opportunes. Il est très peu probable que de futurs mouvements de réfugiés résultant d'événements survenus avant le premier janvier 1951 puissent avoir une répercussion en Europe. Comme le représentant de la France l'a fait observer à juste titre, de tels mouvements affecteraient plus vraisemblablement des pays comme l'Australie ou les territoires non autonomes administrés par le Royaume-Uni.
Même si un tel afflux de réfugiés en Europe se produisait, est-il concevable que les pays européens qui ont jusqu'ici accordé aux réfugiés un minimum de droits en donneraient moins aux nouveaux arrivants, même en l'absence d'une convention ? En donnant leur adhésion à la Convention, ils s'engageront simplement à donner aux réfugiés venant de pays extraeuropéens et qu'ils auraient admis sur leur territoire les droits qu'ils leur auraient accordés sans aucun doute dans tous les cas.
La conséquence de l'insertion des mots « en Europe » doit en outre être également examinée du point de vue des pays extraeuropéens. Il serait prématuré de supposer que les pays d'outre-mer ne donneront pas leur adhésion à la Convention. Quoi qu'il en soit, il n'est certainement pas souhaitable de mettre, par exemple, les pays de l'Amérique latine, qui pourraient souhaiter donner leur adhésion à la Convention et qui ont sur leur territoire des réfugiés provenant tant de l'Europe que des pays américains, dans une position telle qu'ils ne puissent donner leur adhésion que pour les réfugiés européens et non pas pour les autres. Il est de la plus haute importance qu'une convention négociée sous les auspices des Nations Unies et avec la participation d'un grand nombre d'Etats non européens confère des garanties minima à tous les réfugiés, d'où qu'ils viennent.
MUSTAPHA Bey (Egypte) appuie les considérations exposées par le représentant du Royaume-Uni. La clause d'inclusion différée, prévue à la section C, cessera d'être valable au moment où se terminera l'aide actuelle des Nations Unies aux réfugiés de Palestine, qui pourront alors bénéficier de la Convention. C'est pour éviter tout malentendu sur l'interprétation à donner à la section C que la délégation égyptienne a présenté son amendement. Si le Gouvernement égyptien avait pensé que la Conférence actuelle ne traiterait que du sort des réfugiés d'Europe, il ne se serait pas fait représenter. En outre, la résolution 429(V) Conférence, a également stipulé que la Conférence serait générale ; on n'a donc pas le droit de limiter actuellement le champ d'activité de la Conférence aux seuls problèmes des réfugiés de l'Europe. Le représentant de l'Egypte demande au Président de bien vouloir confirmer l'interprétation qu'il vient de donner à ce sujet.
M. HOARE (Royaume-Uni) tient à préciser qu'à son avis la section C exclut les personnes qui, au moment de l'entrée en vigueur de la Convention, recevaient protection ou assistance des organes ou institutions des Nations Unies, et que le fait que ces organes ou institutions mettraient fin à leurs activités n'aurait pas pour effet de placer ces personnes sous le régime de la Convention.
Le PRESIDENT, répondant au représentant de l'Egypte, déclare qu'il n'appartient pas au Président de décider si la Conférence a raison ou non de restreindre la portée de la Convention. Toutefois, la Conférence peut, si elle le désire, limiter, par un vote à la majorité, l'application de la Convention à un ou plusieurs groupes déterminés de réfugiés.
M. ROCHEFORT (France) tient à souligner que la question de savoir si les réfugiés arabes sont couverts par la Convention fait l'objet d'une controverse ; selon le représentant du Royaume-Uni, ces réfugiés sont exclus définitivement du bénéfice de la Convention alors que, pour le représentant de l'Egypte, c'est l'interprétation contraire qui est juste. M. Rochefort se bornera, au stade actuel, à prendre acte de cette divergence d'appréciation et à signaler que bien des moyens avaient été envisagés pour permettre de donner satisfaction à tous les Etats contractants. L'un de ces moyens était que les Etats contractants pourraient à leur discrétion étendre la convention à de nouvelles catégories de réfugiés. Cette méthode a été écartée, et l'on a adopté un procédé ambigu puisque deux délégations qui s'intéressent vivement au problème et qui l'ont toutes deux suivi de très près ne sont pas en mesure de donner une interprétation définitive de la section C de l'article premier.
M. WARREN (Etats-Unis d'Amérique), se référant à la proposition de la France (A/CONF.2/75) de replacer les mots « en Europe » dans la définition du terme « réfugié », et à l'amendement égyptien à l'alinéa C (A/CONF.2/13), rappelle que sur la premier point, l'attitude du gouvernement des Etats-Unis, est bien connue. La délégation des Etats-Unis continue de donner son appui à la thèse française et à l'amendement français. M. Warren a écouté avec un vif intérêt l'explication très claire que le représentant du Royaume-Uni a donnée de ses raisons en faveur de la définition universelle du terme « réfugié ». C'est la première fois que M. Warren a entendu un exposé partant de ce point de vue. Malheureusement, la délégation des Etats-Unis ne saurait le partager. Le point de vue des Etats-Unis est beaucoup plus limité.
Avant le début de la seconde guerre mondiale, il existait une série de conventions qui traitaient de la situation des réfugiés, principalement en Europe. La guerre a fait apparaître un grand nombre de réfugiés, dont les Nations Unies ont entrepris de s'occuper. L'OIR a été créé ; tous les gouvernements peuvent également en faire partie, que leurs Etats soient membres ou non de l'Organisation des Nations Unies. Le fait que 18 gouvernements seulement ont décidé d'adhérer à cette Organisation révèle le degré d'intérêt actif que le monde prote au problème des réfugiés. Lorsque l'OIR, qui a réussi, en définitive, à réinstaller environ un million de réfugiés européens, mettra fin à son activité, il restera encore à accomplir en Europe une tâche importante, dont une partie a été confiée au Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Il est encore nécessaire, néanmoins de conférer un statut juridique aux réfugiés qui restent on Europe, car la protection assurée par les accords contractuels réciproques ne s'étend pas aux réfugiés qui ont été détachés de leur pays d'origine. C'est pour répondre à ce besoin que le Gouvernement des Etats-Unis a résolu de participer à l'élaboration de la Convention relative au Statut des réfugiés. On accordera qu'il est nécessaire, si l'on veut que le travail de la Conférence présente une valeur réelle et pratique, d'être aussi précis et détaillé que possible dans la rédaction d'obligations contractuelles, et, en ce qui touche les réfugiés, de savoir exactement quels sont ceux qui sont visés. Tel n'a pas été le point de vue adopté lorsque la question a été discutée à l'Assemblée générale. Une soixantaine d'Etats Membres se trouvaient représentés à cette session, et peut-être était-il naturel d'y voir développer la conception, exposée par le représentant du Royaume-Uni, d'une charte universelle visant tous les réfugiés et applicable par tous les gouvernements. Cette notion a été exprimée dans les dispositions très larges de l'article premier de ce projet de convention, tel qu'il figure dans le document A/CONF.2/1, et dans les dispositions plus larges encore du Statut du Haut-Commissariat pour les réfugiés.
La délégation des Etats-Unis est d'avis qu'il faut procéder, pas à pas, à des réalisations constructives et elle estime qu'une convention visant à satisfaire les besoins européens constitue le premier pas. De l'avis de M. Warren, l'élaboration d'une charte, sans restrictions, à l'intention des réfugiés impliquerait un chevauchement des efforts à la fois pour la préparation du projet de pacte relatif aux droits de l'homme et pour la rédaction de la présente convention ; elle représenterait une entreprise beaucoup plus considérable, à laquelle le Gouvernement des Etats-Unis ne serait que trop heureux de participer quand il sera clairement établie que tel en est bien l'objet. Une tentative immédiate pour atteindre cet objectif pourrait, toutefois, entraîner la perte des avantages qui résulteraient de la conclusion d'une convention de portée plus restreinte.
M. Warren ne saurait partager l'opinion qu'en raison de certains facteurs géographiques il est inutile de se préoccuper particulièrement de la rédaction de l'article premier et qu'un contrat peut être signé sans hésitation parce que l'on pense qu'une obligation que ce contrat impose n'aura pas à être exécutée. Tout le monde sait que les gouvernements cherchent toujours à savoir exactement à quoi ils s'engagent.
De même, les Etats-Unis d'Amérique ont participé à l'élaboration de la Convention avec l'espoir que cet instrument rendre des services réels aux pays qui comptent sur des arrangements contractuels réciproques. Un effort sincère a été faix aux Etats-Unis pour appliquer les clauses du projet de Convention ; mais l'on se heurte à des difficultés considérables, d'ordre à la fois constitutionnel et pratique, ainsi qu'à certains facteurs imprévue, et leur solution exigera du Congrès et de la Cour suprême des Etats-Unis plusieurs années de travail, si cette tentative doit être poursuivie. La délégation des Etats-Unis s'est interdit de propose aux diverses clauses du projet de Convention des amendements tendant à les rendre plus aisément applicables dans l'hémisphère occidental ; elle estime, en effet, que les amendements qui auraient été nécessaires à cette fin auraient rendu ces mêmes clauses moins aisées à adapter aux besoins de l'Europe. M. Warren mentionne ce fait en réponse à la suggestion formulée par le représentant du Royaume-Uni, qu'il serait facile de trouver un dénominateur commun pouvant convenir à tous les réfugiés, connus ou inconnus, présents ou futurs, dans tous les pays du monde.
Touchant la remarque du représentant du Royaume-Uni, selon laquelle l'insertion des mots « en Europe », interdirait aux pays de l'Amérique latine d'accorder leur protection à d'autres réfugiés que ceux de l'Europe, M. Warren tient à souligner qu'il ressort de la pratique suivie en Amérique latine que l'inclusion de ces mots ne pourrait avoir la moindre influence défavorable sur le statut des réfugiés dans cette partie du monde.
Passant à la section C, le délégué américain rappelle que le texte soumis à la Conférence est celui qui a été adopté après les trois tentatives des Etats arabes représentés au Troisième Comité de l'Assemblée générale pour trouver une rédaction convenable. Il approuve l'interprétation de ce paragraphe donnée par le représentant du Royaume-Uni, ainsi que la remarque du représentant de la France qui a indiqué que l'adoption de l'amendement égyptien (A/CONF.2/13) présenterait aux Etats contractants un problème mal défini et réduirait ainsi le nombre des Etats qui, en Europe, pourraient signer la Convention.
Pour terminer, le représentant des Etats-Unis d'Amérique attire l'attention de la Conférence sur le fait que le texte de la Section, C, bien qu'il soit conforme à celui du Statut du Haut-Commissariat pour les réfugiés, ne présente par de sens selon les clauses du projet de pacte, car celui-ci n'est pas le statut d'un organe ou d'une institution des Nations Unies. Si le paragraphe reste en son état actuel, il aura pour effet d'exclure tous les réfugiés qui sont de la compétence des Nations Unies. Il est donc nécessaire d'en modifier la rédaction pour faire disparaître cette anomalie.
M. HOARE (Royaume-Uni) fait observer qu'il ne croit pas que la charte universelle à laquelle a fait allusion le représentant des Etats-Unis aurait un contenu différent du présent instrument. Il s'agit simplement de savoir quel en sera le champ d'application.
Le Gouvernement du Royaume-Uni a déjà fait une concession en acceptant la date-limite du 1er janvier 1951 dans la définition du terme « réfugié », reconnaissant ainsi que la Convention doit être rendue acceptable à un plus grand nombre d'Etats que ceux qui partagent l'opinion du Royaume-Uni. Voici que l'on propose une nouvelle limitation, cette fois caractère territorial.
L'orateur insiste sur le fait que la délégation du Royaume-Uni ne tient pas à voir imposer aux Etats signataires de la Convention des obligations que ces Etats seraient dans l'incapacité de remplir ; il s'est uniquement efforcé de montrer que les craintes éprouvées par certaines pays de se voir submergés par un flot de réfugiés si les mots « en Europe » n'étaient pas réinsérés, n'étaient pas fondées.
De même, M. Hoare ne conteste pas que les Etats de l'Amérique latine accordent le genre de droits que confère le Pacte. Il a simplement attiré l'attention de la Conférence sur la répercussion suivante : dans le cas où les mots « en Europe » seraient insérés, les Etats ayant toute raison d'adhérer à la Convention se trouveraient obligés d'appliquer la Convention à des réfugiés européens devenus réfugiés à la suite d'événements survenus avant le 1er janvier 1951, et de ne tenir aucun compte d'autres réfugiés arrivant sur les territoires en provenance d'autres parties du monde.
M. WARREN (Etats-Unis d'Amérique) précise que tout ce qu'il a voulu dire, c'est que, s'il comprend bien la situation, le représentant du Royaume-Uni accepterait la définition plus générale que l'engagement ainsi assumé n'aura pas à être exécuté dans sa totalité. De l'avis de l'orateur, il serait imprudent d'adopter une telle attitude à l'égard d'un document comme celui actuellement à l'examen. Il appuie sans réserve la remarque faite parle représentant de la France que l'on ignore tout du nombre et des besoins des réfugiés d'Extrême-Orient. Lorsque ce problème aura été entièrement mis au point, et que les mesures nécessaires pour y faire face auront été étudiées, on constater probablement que lesdites mesures devront être fort différentes de celles qui sont exposées dans le projet de Convention. Si un problème de réfugiés se pose dans l'hémisphère occidental, la même remarque sera valable. Selon M. Warren, le problème des réfugiés en général ne pourra être réglé que sur le plan régional et par le moyen de plusieurs conventions régionales.
M. GIRALDO-JARAMILLO (Colombie) appuie le point de vue du représentant des Etats-Unis. En Amérique latine, le terme « réfugié » ne s'applique qu'aux réfugiés venant d'Europe ; en effet, s'il existe des cas isolés de personnes qui, pour des raisons politiques ou autres, ont été exilées de leur pays, ces demeurent l'exception et l'on ne saurait comparer le problème qu'ils posent à ceux que suscite l'existence de la grande masse des réfugiés européens. De plus, la législation des pays de l'Amérique latine comporte des dispositions leur permettant de résoudre ce problème.
M. MONTOYA (Venezuela) appuie le point de vue du représentant de la Colombie.
M. HERMENT (Belgique) souligne que la Conférence se trouve en présence d'un problème d'une importance essentielle, dont dépend le succès ou l'échec de ses travaux. Il lui semble, par conséquent, nécessaire de consacrer à la question l'examen approfondi qu'elle mérite et de réfléchir aux exposés prononcés à la séance en cours, avant de prendre une décision. La délégation belge propose donc, et c'est là une motion formelle que la séance de l'après-midi soit reportée à 16h.
M. ROCHEFORT (France) invite les membres de la Conférence à utiliser le laps de temps dont ils pourraient disposer ainsi pour étudier le texte de la convention de 1933. Le but de cette convention était assez limité : protéger les réfugiés russes, arméniens et assimilés. Or, à l'article premier, qui définissait les réfugiés auxquels cette convention était applicable, il était expressément prévu que cette définition s'entendait sous réserve des modifications que les Etats contractants pouvaient lui apporter. En ce qui concerne le projet de convention dont la Conférence est saisie, la tendance semble être d'éviter des réserves de ce genre. Or, on signant la convention de 1933, le Gouvernement de l'Egypte, pour sa part, a précisé qu'il se réservait le droit d'étendre ou de limiter, comme il le souhaiterait, la définition donnée par cette convention. Il apparaît donc que les soucis dont certaines délégations se sont fait l'écho à la présente conférence, ont déjà été exprimés par le passé.
M. von TRÜTZSCHLER (République fédérale allemande) annonce que sa délégation, agissant sur ces instructions formelles reçues du Gouvernement fédéral allemand a soumis l'amendement contenu dans le document A/CONF.2/76. Cet amendement ne vise pas à toucher au fond de l'article premier, mais uniquement à fournir à la section E un texte dans lequel la référence au Statut de Londres relatif au Tribunal militaire international sera remplacée par des références mieux appropriées. Cette Charte a été approuvée en 1984 par un nombre limité d'Etats ayant pris part à la dernière guerre ; un nombre considérable d'Etats assistance à la présente Conférence ne l'ont pas signée ou n'ont pas pris position à son égard. Toute référence à ce document apparaît donc peu satisfaisante dans le projet de Convention. La délégation de la République fédérale s'est efforcée de résoudre la difficulté en renvoyant, en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, aux dispositions appropriées des conventions de Genève, qui ont été minutieusement établies et approuvées par la presque unanimité de la communauté des nations. M. von Trützschler a la conviction que tous les Etats représentés à la Conférence ont approuvé les principes de ces conventions ; elles sont déjà entrées en vigueur et ont été ratifiées par une douzaine d'Etats. En associant les conventions de Genève à l'oeuvre de la Conférence, les buts humanitaires qui doivent régir la Convention seraient ainsi mis en relief. Il est fait particulièrement mention du crime de génocide. L'amendement de la délégation allemande comporte aussi la liste complète des crimes contre la paix qui figure dans l'accord de Londres. Le Gouvernement de la République fédérale reconnaît pleinement que tous les criminels de guerre doivent être exclus du bénéfice de la Convention ; toutefois, il ne pourrait souscrire à ce qu'une référence expresse fût faite au Statut du Tribunal militaire international. La délégation de la République fédérale est disposée à discuter la question, en comité restreint si cela est nécessaire, afin de parvenir à une solution satisfaisante de la difficulté, et sera reconnaissante de toute aide qui pourrait contribuer à surmonter un obstacle empêchant le Gouvernement de la République fédérale allemande de souscrire à la Convention, comme il souhaiterait sincèrement le faire.
Prenant la parole sur l'invitation du PRESIDENT, M. HABICHT (Association internationale de Droit pénal) avoue avoir remarqué avec quelque inquiétude la nouvelle tentative faite pour restreindre le nombre des bénéficiaires de la Convention, et note que le représentant du Royaume-Uni est pratiquement le seul qui se soit opposé à l'inclusion des mots « en Europe » dans la définition du terme « réfugié ». L'Association internationale de Droit pénal avait espéré que la Conférence s'efforcerait d'élaborer une convention à l'échelle mondiale, qui deviendrait une « Grande Charte » en faveur des persécutés. L'orateur tient à attirer respectueusement l'attention des représentants sur l'inconvénient qui résultera d'une nouvelle restriction pour des milliers, et peut-être même à l'avenir, pour des centaines de milliers d'être humains. Une convention ayant la portée d'une « Grande Charte » et contenant les conditions minima pour la réadaptation des réfugiés servirait les intérêts non seulement de ces réfugiés eux-mêmes, mais encore ceux de tous les pays d'asile. M. Habicht insiste, en conséquence, pour que cet important aspect du problème fasse l'objet d'un sérieux examen.
M. ROCHEFORT (France) voudrait obtenir une précision en ce qui concerne les centaines de milliers de réfugiés auxquels le représentant de l'Association internationale de droit pénal a fait allusion ; il demande, en outre, que celui-ci veuille bien, en sa qualité de spécialiste du droit international, lui donner son interprétation de la section C de l'article premier.
M. HABICHT (Association internationale de droit pénal) répond que la limitation territoriale proposée par le représentant de la France aurait pour effet d'exclure tous les réfugiés non européens ; or, le nombre des seuls réfugiés du Moyen-Orient s'élève à plus de cent mille. Il est impossible de prévoir les événements politiques, mais un traitement fragmentaire de la question des réfugiés par une limitation dans le temps et dans l'espace exclurait à coup sûr des millions de personnes dans l'avenir.
M. Habicht donne à la section C la même interprétation que le représentant du Royaume-Uni. Le terme « actuellement » implique que la Convention ne doit pas s'appliquer aux personnes qui, à un moment donné, recevaient une protection ou une assistance de la part d'organismes ou d'institutions des Nations Unies ; il n'implique pas que, au moment où cette protection prendra fin, les réfugiés en question bénéficieront de la protection de la Convention.
M. ROCHEFORT (France) remercie le représentant de l'Association internationale de Droit pénal des explications qu'il a bien voulu fournir. Il fait observer que la clause, qui selon l'interprétation qui vient d'être donnée, exclut les réfugiés arabes de Palestine du bénéfice de la Convention, a été introduite sur la demande expresse des pays arabes eux-mêmes.
M. WARREN (Etats-Unis d'Amérique) signale la tendance, manifestée par ceux qui préconisent la définition large, à invoquer le fait que des millions de réfugiés seraient exclus du bénéfice de la Convention si les mots « en Europe » figuraient dans la définition. Dans ces conditions, les personnes en question demandent en fait aux gouvernements si ceux-ci sont prêts à conclure des engagements à l'égard d'un nombre aussi considérable d'individus non identifiés et il paraît hors de question à H. Warren qu'un organe tel que la présente Conférence cherche à légiférer sur cette base.
Il est convaincu que les Nations Unies continueront d'exister et pourront faire face à toutes les situations nouvelles à mesure qu'elles se présenteront. Il se déclare certain que la Convention ne sera pas le dernier instrument international pour la protection des réfugiés, et il exhorte les gouvernements à se contenter de prendre une seule mesure précise et pratique à la fois.
A l'unanimité, la proposition du délégué de la Belgique, tendant à renvoyer à 16 heures la suite de la discussion est adoptée.
La séance est levée à 13 heures 05