Allocution prononcée par le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la vingt-et-unième session de l'Assemblée Générale des Nations Unies, Troisième Commission
Allocution prononcée par le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la vingt-et-unième session de l'Assemblée Générale des Nations Unies, Troisième Commission
Je vous remercie, Madame le Président, des paroles aimables que vous avez bien voulu m'adresser.
Je suis très heureux que ce soit sous votre présidence que j'ai l'occasion, aujourd'hui, de faire rapport - pour la première fois en tant que Haut Commissaire - sur l'activité du Haut Commissariat devant la Troisième Commission de l'Assemblée générale. Permettez-moi, en effet, de rappeler que j'ai l'occasion de collaborer avec vous depuis 1959, lorsque nous sommes venus, je crois, tous les deux pour la première fois à l'Assemblée générale. A l'époque, c'était le problème des réfugiés en Afrique du Nord qui était notre principal souci. Cette question a été heureusement réglée depuis, mais le fait même que ce débat sur les réfugiés s'ouvre ici aujourd'hui montre que les problèmes de réfugiés restent malheureusement d'une grande actualité.
Je ne pense pas, Madame le Président, qu'il me faille ici retracer l'ensemble des activités du haut Commissariat au cours de l'année écoulée. En effet le rapport que vous avez sous les yeux s'est appliqué à le faire de manière aussi complète et précise que possible. Afin de ne pas abuser donc de votre temps et celui de la Commission, je me bornerai à faire tout d'abord un très rapide tour d'horizon de l'état actuel des problèmes de réfugiés dans les divers continents. Après quoi je dirai quelques mots des aspects nouveaux ou essentiels de nos activités.
Aperçu général
En Europe, qui fut longtemps au centre des préoccupations du Haut Commissariat, le problème des réfugiés n'a plus l'ampleur ni l'acuité qu'il connut autrefois. Cette heureuse évolution tient d'une part à l'état actuel de prospérité dans nombre de pays d'asile et aux facilités qui en résultent pour l'intégration des réfugiés sur place. Elle tient aussi à la politique libérale pratiquée par les grands pays d'immigration - Etats-Unis, Australie, Canada - et à l'adaptation de leurs critères d'immigration à la condition particulière des réfugiés. Il y a aussi un lien incontestable entre la stabilisation des problèmes de réfugiés en Europe et la détente politique qui marque ces derniers temps les relations dans l'ensemble du continent européen. Nul ne se réjouit davantage d'un tel développement que le Haut Commissaire.
Ainsi donc, la situation des réfugiés en Europe est actuellement stabilisée à un niveau qui n'exige plus, de la part de la communauté internationale, un effort financier comparable à celui qu'elle eut à fournir dans le passé. C'est à la protection, associée à une aide financière limitée et judicieusement répartie, que revient de nouveau le premier rôle. Une nouvelle répartition des tâches et des responsabilités est en train d'être opérée sur le plan de l'assistance matérielle. Certaines des charges assumées jusqu'ici par le Haut Commissariat sont progressivement transférées aux gouvernements eux-mêmes, ou, avec leur accord, aux organisations bénévoles en état de prêter leur concours. Le Haut Commissariat ne continue pas moins de participer, suivant des modalités qui varient selon les pays à la gestion des ends destinés aux réfugiés, et de s'intéresser donc de manière très directe au sort de ceux d'entre eux qui ont besoin encore d'aide. Le programme courant d'assistance atteint ainsi son objectif : faire face aux besoins au fur et à mesure qu'ils se présentent et éviter par conséquent toute nouvelle accumulation de réfugiés dans des camps. Quant aux derniers grands programmes d'aide, ils sont achevés ou en voie d'achèvement ; là où leur mise en oeuvre s'est heurtée à des difficultés, des progrès décisifs sont en train, je crois, d'être accomplis.
En Amérique latine, Madame le Président, où je me suis rendu de nouveau récemment, j'ai pu visiter quelques-unes de nos réalisations pour les réfugiés handicapés et âgés ainsi que pour des groupes récemment immigrés. Nous nous proposons, tirant parti de ces réussites, de réexaminer ce qu'il est possible de faire pour répondre davantage aux besoins des réfugiés âgés ou mentalement et physiquement handicapés. Sur la base d'une étude effectuée par un médecin psychiatre, nous nous préoccupons notamment de trouver une solution pour les réfugiés souffrant de troubles mentaux.
En Asie, les efforts conjugués des gouvernements, du Haut Commissariat et des organisations bénévoles ont également porté leurs fruits. Au Népal, par exemple, les logements en construction pour des réfugiés tibétains à Kathmandu et au lac Pokhara seront achevés d'ici la fin de l'année. En Inde, plusieurs milliers de réfugiés tibétains ont été rétablis par les soins du gouvernement, avec l'aide de diverses organisations privées et une contribution modeste du Haut Commissariat. Quant aux autres, le gouvernement a fait en sorte qu'ils puissent être affectés à des travaux temporaires en attendant leur installation. A Macao, notre programme en faveur des réfugiés a permis déjà de reclasser un certain nombre d'handicapés auxquels des soins spéciaux ont été prodigués. Dans les divers pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient, le Haut Commissariat continue son oeuvre en faveur de petits groupes de réfugiés en facilitant soit leur intégration sur place, soit leur rétablissement dans d'autres pays d'accueil. Dans la même région, Madame le Président, le Haut Commissariat a pu prêter ses bons offices à l'accueil d'un certain nombre de résidents d'origine arabe de Zanzibar. En Asie, comme ailleurs, le Haut Commissariat ne peut intervenir, lorsqu'il s'agit d'apporter une assistance matérielle à des groupes importants de réfugiés, qu'à la demande des gouvernements des pays d'accueil, d'autre part, et comme l'Assemblée générale le sait, le Haut Commissaire n'assume aucune responsabilité en ce qui concerne les réfugiés de Palestine dont s'occupe l'Office de secours et de travaux pour les réfugiés au Proche-Orient. Il va sans dire que d'excellents contacts existent entre l'UNWRA et le Haut Commissariat.
Madame le Président, c'est l'Afrique bien sûr qui, dans le cadre des événements actuels, pose au Haut Commissariat les plus graves problèmes. De 600.000, au moment où a été rédigé le rapport qui se trouve devant vous aujourd'hui, le nombre des réfugiés y est passé maintenant à 700.000 environ. Si les causes qui créent ces problèmes de réfugiés ne sont pas éliminées, il faut d'ailleurs craindre que ce nombre n'augmente à l'avenir. Parmi les groupes dont le nombre s'accroît, il faut citer les réfugiés de l'Angola, du Mozambique et de la Guinée portugaise.
En Afrique, la recherche de solutions à la fois rapides et permanentes aux problèmes de réfugiés signifie, neuf fois sur dix, établir les réfugiés dans l'agriculture. Après les premiers secours d'urgence, et sur la demande et avec le concours des gouvernements des pays d'accueil, le Haut Commissariat s'applique à aider les gouvernements à réaliser ces projets d'installation rurale. Il s'efforce notamment de susciter, sur le plan tant bilatéral que multilatéral, les appuis et les concours les plus divers et s'efforce également de coordonner son action avec celle des organisations s'occupant du développement économique et social. Des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de réfugiés ont été effectivement installés dans divers pays d'Afrique :
Au Sénégal, Madame le Président, sur les quelque 56,000 réfugiés vivant en Casamance, environ 30.000 sont installés dans l'agriculture au même titre que la population locale.
Au Burundi, dans la partie orientale du Congo, en Ouganda et en Tanzanie, une grande partie des quelque 150.000 réfugiés rwandais ont été également installés dans de nouvelles communautés rurales, créées de toutes pièces. A ce propos, je voudrais exprimer l'espoir que la situation se calmera dans cette partie de l'Afrique centrale et que le problème des réfugiés rwandais ne se renouvellera pas.
Dans la partie occidentale du Congo, une majorité des quelque 250.000 réfugiés d'Angola cultivent depuis plusieurs années déjà les terres mises à leur disposition et participent activement à la vie économique du pays. Les cultures vivrières auxquelles un grand nombre d'entre eux se consacrent, concourent maintenant à l'alimentation de la capitale.
Une masse importante de réfugiés africains est ainsi, Madame le Président, d'ores et déjà en mesure de subvenir à ses besoins essentiels. Cela ne veut pas dire qu'ils aient atteint toujours le stade d'une complète indépendance économique, celui de l'échange des produits. Dans la plupart des cas, on ne peut arriver à ce stade que par un effort de développement englobant l'ensemble de la population de la région où ils se trouvent. Cependant, le fait que le fait que le stade de la satisfaction des besoins immédiats est en train d'être dépassé peut être considéré comme très encourageant, si l'on tient compte des compte des nombreuses difficultés inhérentes à la situation économique et sociale des pays en cause.
L'un des traits de l'évolution présente de nos activités en Afrique est, d'autre part, Madame le Président, l'importance de plus en plus grande qu'y revêt la protection internationale. L'état d'instabilité politique qui affecte encore certaines régions fait parfois planer sur les réfugiés de très sérieuses menaces. Il faut alors les protéger contre toute mesure arbitraire et défendre leurs droits fondamentaux, à commencer par le non-refoulement sur le pays de provenance.
Un autre facteur important réside dans l'apparition, de plus en plus fréquente, de cas isolés ou de petits groupes de réfugiés qui viennent solliciter l'aide juridique et administrative du Haut Commissariat. Il s'agit d'étudiants, employés, de membres de professions libérales, mais aussi de travailleurs manuels attirés par les centres urbains. Cette catégorie de réfugiés provient surtout des divers pays de l'Afrique australe. Le problème que ces réfugiés pose est très semblable, sinon identique, à celui que nous connaissons depuis longtemps dans certains pays en dehors d'Afrique. Si les gouvernement africains sont en mesure d'accorder l'asile à ces réfugiés, ils ne sont guère en mesure de faciliter leur intégration dans une société où il n'y a guère d'emplois industriels et où les rares postes dans l'administration publique sont réservés nécessairement aux nationaux. Des démarches doivent être faites à l'échelon individuel pour l'obtention de permis de séjour et de travail, de titres de voyage, de bourses d'études, etc. La protection est ici, comme dans d'autres continents, un aspect indispensable de l'oeuvre d'intégration.
Voilà donc très brièvement, Madame le Président, les données et les faits principaux que révèle une rapide analyse de la situation présent. Quelles indications faut-il en tirer quant à l'orientation à donner aux activités du Haut Commissariat ? Quels sont, par ailleurs, les points particuliers, sortant du cadre de ce bref tour d'horizon géographique, susceptibles d'intéresser plus spécialement l'Assemblée générale ? C'est là ce que je voudrais essayer maintenant d'examiner rapidement avec vous.
La protection internationale
Le mandat de protection internationale du Haut Commissaire est contenu dans le Statut du Haut Commissariat que l'Assemblée générale a adopté lors de la création de mon Office. Les dispositions du Statut ont un caractère universel et les catégories de réfugiés qu'elles visent ne sont limitées ni dans le temps, ni sur le plan géographique. Sans préjuger, il va sans dire, des exceptions dont le Statut fait état, ceci permet au Haut Commissaire d'accorder sa protection à tous les réfugiés quel que soit leur pays d'origine et quelle que soit l'époque à laquelle ils cherchent asile dans un autre pays.
Cependant, du pont de vue de la protection juridique que les divers pays accordent aux réfugiés sur leur territoire, le principal support en est la Convention du 28 juillet 1951 qui déterminé le statut juridique minimum à accorder aux réfugiés. Or, pour des raisons qui tiennent essentiellement aux circonstances dans lesquelles elle a été établie, cette Convention comporte une date limite qui en réduit considérablement la protée « ratione personae » : au sens strict, seules les personnes devenues réfugiés en raison d'événements antérieurs au 1er janvier 1951 peuvent bénéficier de ses dispositions. Peu perceptibles lors de son adoption, Madame le Président, les effets de cette limitation apparaissent aujourd'hui dans toute leur ampleur.
Ils conduisent en fait à une discrimination éminemment regrettable entre les différents groupes de réfugiés, discrimination qui s'exerce notamment à l'encontre des réfugiés africains. Cette discrimination est en opposition de plus en plus marquée avec le Statut du Haut Commissariat qui n'est pas assujetti à une telle clause, comme je viens de le rappeler. Elle est aussi contraire à l'esprit universaliste de la Convention elle-même, dont les termes tranchaient précisément avec ceux de conventions antérieurs, conçues chacune pour un groupe déterminé de réfugiés. C'est pour modifier la disposition en question, Madame le Président, qui fait nettement aujourd'hui figure d'anachronisme. Que le Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire a unanimement adopté, à sa récente session d'octobre, la recommandation que l'Assemblée a maintenant sous les yeux et qui lui a été transmise, avec son approbation, par le Conseil économique et social. Je veux espérer, madame le Président, que l'Assemblée générale voudra bien examiner cette recommandation avec toute l'attention qu'elle mérite. Son objet est simple : permettre aux réfugiés victimes des bouleversements et des troubles qui marquent notre époque la plus récente, de jouir de statut et des garanties prévues par cet instrument juridique de portée universelle. La Commission, j'en suis sûr, comprendra toute l'importance qui s'attache a mettre ainsi fin dès que possible à une si fâcheuse anomalie et à réconcilier la Convention avec les responsabilités confiées au Haut Commissariat en matière de protection en même temps qu'avec le caractère non discriminatoire de son mandat.
Parlant ici de la Convention, Madame le Président, je voudrais signaler que le Gouvernement de la Gambie vient de faire connaître au Secrétaire général des Nations Unies qu'il se considère lié par cet instrument juridique. Inutile de dire combien je me réjouis de cette nouvelle adhésion et combien je souhaite qu'elle soit suivie par celles d'autres pays. Aujourd'hui, 51 pays (y compris les deux-tiers environ des pays membres de l'Organisation de l'unité africaine) sont parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
Il est un autre sujet, Madame le Président, qui touche lui aussi, à la protection et que j'aimerais mentionner, tant il est susceptible d'influer sur les activités présentes et futures du Haut Commissariat et sur les résultats que l'on est en droit d'en attendre : c'est celui des activités illicites auxquelles se livrent parfois des réfugiés ou des personnes revendiquant cette qualité.
A diverses reprises, en effet, au cours de années passées, il est advenu que des réfugiés commettent des actes répréhensibles au regard des lois de leur pays d'accueil en même temps qu'incompatibles avec le statut particulier dont ils jouissent. Des actes de violence ont été ainsi commis, tantôt par des groupes de réfugiés, comme ce fut le cas en Afrique, tantôt par des individus comme cela s'est produit en Europe et ailleurs.
Il est tout à fait clair que la responsabilité du maintien de l'ordre public relève de l'autorité souveraine des seuls gouvernements. C'est à ceux-ci qu'il incombe de faire en sorte que les réfugiés ne puissent, individuellement ou en groupes, se livrer à des activités contraires à la sécurité intérieurs ou extérieure de leur pays aussi bien qu'à l'intérêt de la grande masse des réfugiés soucieux de s'établir pacifiquement et de bénéficier pleinement des efforts déployés par le Haut Commissariat dans ce but. Des instances telles que l'Organisation de l'unité africaine et le Comité juridique consultatif afro-asiatique se sont, au reste, préoccupés de ce très grave problème, et je ne saurais trop m'en féliciter.
J'aimerais rappeler qu'en vertu de l'article 2 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés que j'ai déjà mentionnée, et je cite :
« Tout réfugié a, à l'égard du pays où il se trouve, des devoirs qui comportent notamment l'obligation de se conformer aux lois et règlements ainsi qu'aux mesures prises pour le maintien de l'ordre public. »
J'aimerais aussi rappeler qu'en vertu de cette même Convention, les personnes ayant commis certains crimes contre la paix ou l'humanité, ou qui se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, cessent d'avoir qualité de réfugiés.
C'est là un point, Madame le Président, sur lequel il m'a paru nécessaire d'appeler à nouveau l'attention des gouvernements intéressés. En effet, le nonrespect par les réfugiés de ces règles élémentaires risquent en mainte occasion de compromettre les résultats de l'action entreprise, au nom de la communauté internationale, pour aider les pays d'accueil à surmonter les problèmes de réfugiés auxquels ils ont à faire face.
Avant de quitter ce chapitre de la protection, et dans un tout autre ordre d'idées, je voudrais d'un mot, Madame le Président, évoquer la création récente d'un nouveau fonds destiné à indemniser les réfugiés victimes des persécutions nazies en raison de leur nationalité et qui n'avaient pu, à cause de la date limite inscrite dans l'accord antérieur, bénéficier du fonds précédent. Les négociations menées depuis un certain temps déjà avec le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne viennent d'aboutir à un accord qui doit être mis en oeuvre prochainement. Bien que cet accord ne résolve pas tous les problèmes en suspens, est là pour moi un sujet de satisfaction.
Les réfugiés et le développement économique et social
Madame le Président, l'une des données nouvelles auxquelles je faisais allusion il y a un instant et qui est appelée à marquer profondément l'oeuvre du Haut Commissariat est à coup sûr sa rencontre avec les problèmes du développement. Implanter des réfugiés dans l'agriculture c'est, en Afrique, participer au développement économique et social. Le problèmes s'est donc immédiatement posé d'une coordination appropriée des activités du Haut Commissariat avec celles d'autres programmes et organisation dont le développement est la vocation particulière. Nous avons, il va sans dire, pris d'emblée des contacts avec les diverses organisations de développement et institué des méthodes de collaboration. Mais le besoin se faisait sentir d'une étude systématique sur les moyens de coordonner plus étroitement encore ces activités et de les intégrer, a un moment donné, dans un seul et même programme. Demandée par le Comité exécutif du programmes, cette étude se poursuit actuellement. Après avoir pris connaissance, lors de sa récente session d'octobre, de ses premiers résultats, mon Comité exécutif en a tiré dès à présent certaines conclusions que l'Assemblée générale trouvera résumées dans le rapport du Comité sur sa seizième session, qui est annexé à mon rapport à l'Assemblée. Le Comité exécutif exprime notamment le souhait que l'Administrateur de Programme des Nations Unies pour le développement soit invité, la demande des gouvernements, à inclure dans ses projets, chaque fois que cela apparaîtra possible, des dispositions concernant l'installation et le reclassement des réfugiés. Une invitation du même ordre est adressée aux gouvernements qui contribuent, par la voie bilatérale ou multilatérale, aux programmes d'aide au développement.
Il est donc essentiel, et je partage entièrement les vues exprimées à ce sujet par mon Comité exécutif, que l'installation des réfugiés ne demeure pas en dehors de l'effort général de développement économique et social des pays où se posent actuellement de graves problèmes de réfugiés. L'un ne peut aller sans l'autre :si l'installation des réfugiés se trouvait retardée ou rendue impossible, la crise qui en résulterait ne manquerait pas de retentir sur l'état général du pays et de compromettre donc son effort de développement. Inversement, pour des raisons techniques, financières et psychologiques, on ne peut escompter mener jusqu'à son terme l'intégration des réfugiés si elle ne s'inscrit pas dans le cadre de mesure plus générales intéressant l'ensemble de la population. Il est évidemment essentiel qu'aucune discrimination ne soit faite entre les réfugiés et la population locale, et ce principe est d'ailleurs observé dans les projets expérimentaux de développement intégré qui sont déjà mis en oeuvre en Afrique.
On se penche aujourd'hui vous le savez, Madame le Président, avec de plus en plus d'attention, au sein même de l'Organisation des Nations unies, sur la question si essentielle d'une utilisation rationnelle et adéquate des ressources humaines. Or, il n'est pas de circonstances sans doute où une telle question se pose avec plus d'urgence et d'évidence que lorsqu'elle s'applique aux réfugiés. Brusquement arrachés à leurs foyers, ceux-ci sont en effet, de par leur situation même , en état de complète disponibilité. Ce capital humain qu'ils représentent, il importe à tout prix de ne pas le laisser se dégrader par une inactivité prolongée et très néfaste. C'est pourquoi je voudrais suggérer que les études entreprises sur ce sujet ne laissent pas de côté le problème posé, avec une acuité toute particulière, par les réfugiés, plus spécialement dans les pays en voie de développement. C'est dans ces pays, en effet, que les charges imposées par leur présence sont sans doute le plus lourd à supporter ; c'est là également où la question de l'utilisation des ressources humaines se pose avec le plus d'urgence afin de tirer parti de richesses naturelles encore inexploitées et où les réfugiés donc représentent aujourd'hui le potentiel humain le plus riche d'espérances.
C'est dans cet esprit, Madame le Président, et pour faire suite à la décision du Comité exécutif que j'ai déjà pris contact, au cours de mon présent séjour à New York, avec l'Administration du Programme des Nations Unies pour le développement à l'échelon le plus élevé. Je suis heureux de pouvoir dire que j'y ai rencontré, comme je m'y attendais du reste, l'ouverture d'esprit souhaitée et le désir de mettre au point d'un commun accord les modalités d'une collaboration aussi étroite que possible.
Il va sans dire que les divers programmes des Nation Unies sont créés par les gouvernements des Etats membres et sont au service de ces gouvernements. Du point de vue qui nous préoccupe ici aujourd'hui, Madame le Président, il est indispensable que les gouvernements des pays d'accueil des réfugiés se convainquent de l'importance du développement économique et social intégré pour consolider de façon durable l'accueil et l'implantation des réfugiés dans leur pays. Il convient que ces gouvernements attachent à ces projets la priorité requise lors de la mise au point des programmes de développement qui bénéficient de l'appui et de l'aide des Nations Unies. Si nos efforts sont ainsi appuyés par les gouvernements et si les problèmes de financement du développement intégré peuvent être résolus, je suis certain, Madame le Président, qu'un pas en avant d'une importance considérable pourra être franchi dans les années qui viennent.
Je ne saurais évoquer cette question de la coordination et de la coopération entre les divers programmes et institutions spécialisées des Nations Unies sans dire ici, Madame le Président, toute ma satisfaction et ma gratitude pour l'aide que déjà ils apportent au Haut Commissariat et, directement ou par son intermédiaire, aux réfugiés eux-mêmes. Je pense tout d'abord au Programme alimentaire mondial dont les apports considérables en vivres de première nécessité contribuent si largement à assurer la subsistance des réfugiés en Afrique en attendant que ceux-ci soient en mesure d'y faire face par eux-mêmes. Je pense également au Programme des Nations Unies pour le développement, de même qu'aux institutions spécialisées telles que le BIT, la FAO, l'OMS et l'UNESCO.
Je voudrais également évoquer l'aide bilatérale accordée par divers gouvernements, spécialement sous la forme de vivres. J'ai d'ailleurs toute raison de penser que le concours que les gouvernements sont ainsi en mesure d'apporter à notre action s'élargira à l'avenir.
Il n'est pas besoin, enfin, de rappeler le rôle essentiel qui revient aux organisations non gouvernementales, surtout à celles qui participent directement à nos programmes d'assistance en qualité de partenaires opérationnels du Haut Commissariat. Mon Office trouve dans ces organisations un appui aussi efficace qu'indispensable, et que j'aimerais souligner ici. Quant aux nombreuse autres organisations d'entraide de caractère privé, elles mobilisent également un volume d'aide très appréciable. Celle-ci est d'autant plus utile lorsque l'oeuvre d'assistance est accomplie dans l'esprit d'objectivité et d'impartialité que la complexité des problèmes de réfugiés requiert en toute occasion.
Les besoins des réfugiés en matière d'éducation
Lors de sa dernière session d'octobre, le Comité exécutif du programme a examiné à nouveau une question qui me tient très à coeur : celle de l'assistance à accorder aux réfugiés en matière d'éducation. J'ai eu la grande satisfaction de constater la complète unanimité qui s'est faite sur le principe même d'un telle aide. Si l'on ne saurait songer, dans ce domaine pas plus que dans d'autres, à conférer aux réfugiés un statut privilégié, chacun s'accorde à reconnaître l'importance capitale que revêt l'éducation pour une intégration complète et effective des réfugiés dans la communauté qui les accueille. Offrir aux réfugiés les possibilités d'une promotion sociale est, d'autre part, une question d'équité. C'est aussi une politique réaliste, toute autre solution ne pouvant conduire à la longue qu'à des difficultés sociales et des déboires. Reconnaissant le bien-fondé de ces arguments, le Comité exécutif m'a autorisé donc à ouvrir un compte spécial où seront comptabilisées les contributions gouvernementales ou autres explicitement destinées à l'éducation des réfugiés. Une procédure d'utilisation de ces fonds a été établie qui fait appel au concours notamment de l'UNESCO, dont l'étroite collaboration nous est assurée, dans la limite de ses moyens et de ses responsabilités.
Le Haut Commissariat collabore également avec les programmes des Nation Unies pour l'éducation et la formation des personnes provenant de l'Afrique du Sud, du Sud Ouest Africain et des territoires sous administration portugaise, dans la mesure où ces programmes concernent les réfugiés. Des consultations avec ces programmes ont lieu au niveau de leurs directions et des modalités de coordination pratiques sont mises en oeuvre en Afrique.
Je n'aimerais pas, pour autant, donner l'impression que l'éducation soit un domaine d'action propre au Haut Commissariat. D'une façon générale, madame les Président, le Haut Commissariat intervient dans ce domaine de l'éducation dans la mesure où les réfugiés sont directement intéressés et où leurs besoins ne peuvent être satisfaits par les gouvernements ou par d'autres institutions ou programmes existants. Je compte poursuivre ma politique d'assistance et de coordination dans cet esprit essentiellement pratique, sans chercher à surcharger inutilement les services du Haut Commissariat.
Le rapatriement librement consenti
Je voudrais encore, Madame le Président, rendre compte à l'Assemblée générale de l'initiative que j'ai été amené à prendre l'été passé dans le cadre de ma mission générale de bons offices. La solution idéale de tout problème de réfugiés est, de l'avis général, le rapatriement librement consenti et, dans de nombreux cas, les réfugiés souhaitent effectivement pouvoir rentrer chez eux dès que les circonstances le permettront. En plus de l'intérêt humanitaire qui s'attache à cette solution, elle comporte des avantages pratiques et réels pour la communauté internationale, dans la mesure où elle permet de faire l'économie de programmes d'installation toujours difficiles et coûteux.
Si mon rôle est au premier chef de protéger les réfugiés contre tout rapatriement forcé et toute pression qui pourrait s'exercer sur eux en ce sens, il doit être aussi de rechercher, lorsque l'occasion me paraît s'en présenter, les moyens de susciter éventuellement dans le pays de provenance des conditions propices au rapatriement librement consenti. Il est conforme, je crois, à ma mission qui a été définie ans le Statut Haut Commissariat, de servir, quant les circonstances s'en présentent, d'intermédiaire entre les réfugiés et les pays qui les ont accueillis d'une part, et le pays d'origine des réfugiés d'autre part. Tels sont les sens et la portée de la démarche que, sur l'invitation du Gouvernement du Soudan, j'ai été amené à faire auprès de lui en août dernier, lorsque j'ai été reçu par le Premier Ministre de ce pays. Si la plus grande prudence est évidemment de règle dans un domaine aussi complexe et délicat, je ne saurais trop dire combien ces conversations ont été pour moi encourageantes. Les intentions manifestées par le Gouvernement soudanais ne manqueraient pas en effet, si elles devaient pouvoir s'exprimer, dans un avenir plus ou moins proche, par des mesures concrètes de l'ordre de celles qui ont été envisagées avec le Premier Ministre à Khartoum, de mettre fin de la manière la plus heureuse à l'un des nombreux problèmes de réfugiés qui affectent aujourd'hui le continent africain.
La création de conditions favorables au rapatriement librement consenti dans le pays d'origine ne relève pas uniquement de mesures d'ordre politique, mais aussi - et surtout dans les pays en voie de développement - de la création de meilleures structures d'accueil dans le domaine économique et social. C'est pourquoi il appartient, je crois, au Haut Commissariat, en tant que partie intégrant de l'Organisation des Nation Unies, de jouer un rôle de médiateur également entre les gouvernements intéressés et les programmes et institutions particulièrement responsables du développement économique et social.
Sans doute, cette approche active et dynamique des problèmes de réfugiés, qui s'inspire directement de la lettre aussi bien que de l'esprit de mon mandat, ne saurait effectivement aboutir à des résultats concrets que si une certaine stabilité politique s'instaure et se maintient dans les régions intéressées. C'est là une condition assez générale du succès de notre activité, et si elle s'applique à l'oeuvre d'installation des réfugiés dans les pays d'accueil, elle n'en vaut pas moins pour les efforts que le Haut Commissaire est amené à faire pour faciliter le rapatriement librement consenti.
Le financement du programme du HCR
Madame le Président, à ce tour d'horizon que j'eusse souhaité plus bref encore, j'aimerais ajouter quelques remarques sur un sujet brûlant, celui du financement de nos activités.
Le programme du Haut Commissariat, on l'a souligné maintes fois et son montant même en témoigne, ne couvre que les besoins élémentaires, les besoins essentiels et les plus urgents des réfugiés. L'aide qu'il leur apporte, par l'intermédiaire des gouvernement s et des organisations bénévoles, est destinée à leur permettre de survivre et de surmonter les difficultés inhérentes à un total et brusque déracinement, jusqu'à ce qu'ils aient pu recouvrer une possibilité de vie nouvelle. Ce programme est donc, par définition, pratiquement incompressible ' à moins bien sûr que l'on ne renonce à faire le minimum, ce à quoi le Haut Commissaire ne saurait consentir. Contrairement d'ailleurs à l'assistance qui peut être dispensée en d'autres occasions par diverses organisations internationales, celle qui est destinée aux réfugiés ne s'accommode pas, en raison de son caractère d'urgence, d'une programmation à long terme. On ne saurait davantage songer, en règle générale, à reporter d'une année sur l'autre des projets destinés à remédier à une situation d'urgence à laquelle un souci d'économie autant que d'efficacité commande de remédier sans délai. Toutes ces considérations donc militent en faveur d'un financement intégral du programme d'assistance du Haut Commissariat, tel qu'il est arrêté par son Comité exécutif. Or, Madame le Président, par rapport à l'objectif du programmes pour 1966, soit 4.200.000 dollars, le montant des contributions volontaires reçues à ce jour laisse apparaître un déficit d'un million de dollars environ. En raison de la prolifération actuelle des réfugiés en Afrique, les besoins, cependant, augmentent sans casse : le Comité exécutif a adopté, pour le programme de 1967, un chiffre voisin de 4.600.000 dollars. J'ai tout lieu de craindre, si j'en réfère aux événements dont chaque jour la presse se fait l'écho, que ce chiffre ne s'avère encore insuffisant.
Au cas donc où les contributions demeureraient figées à leur niveau actuel, Madame le Président, nous irions tout droit vers une crise financière des plus graves pour l'oeuvre et l'avenir du Haut Commissariat. Si, comme je le crois, les gouvernements estiment toutefois que mon Office a fait la preuve de son aptitude à faire face aux tâches qu'eux-mêmes lui ont fixées, ils aimeront aussi, je pense, Madame le Président, tirer de cette situation les conclusions qui, à mon avis, s'imposent. Certains gouvernements déjà ont fait une premier geste : ils seront, je l'espère, suivis par beaucoup d'autres.
Certes, Madame le Président, le gouvernements sont parfois tentés de s'en remettre aux initiative privées du soin d'assurer, pour partie au moins, le financement du programmes d'aide du Haut Commissaire. Cette attitude pourtant serait peu réaliste. Les organisations privées qui contribuent, avec la générosité et l'ampleur que l'on sait, à l'oeuvre d'assistance aux réfugiés, n'entendent pas en effet qu'il en soit ainsi. Leurs contributions sont, d'une manière générale, affectées selon leur désir exprès à une aide complémentaire à celle sommaire et limitée, qui vient du Haut Commissariat. A juste titre, je le crois, elles, elles, considèrent que cette dernière incombe, pour l'essentiel, aux gouvernements eux-mêmes.
La récente campagne en faveur des réfugiés d'Afrique et d'Asie, qui a été organisé en Europe sous l'égide du Prince Bernhard des Pays-Bas et avec le concours de nombreuse institutions bénévoles, illustre bien cette manière de voir. Une très large fraction du produit de cette campagne sera utilisée, en effet, pour le financement de projets qui ne relèvent pas du programme du Haut Commissariat. Qu'il me soit permis en passant, Madame le Président, de dire mon extrême gratitude à toutes ceux qui ont assuré le succès remarquable de cette entreprise. Ses effets retentiront, j'en suis sûr, de la manière la plus heureuse sur l'action du Haut Commissaire, à la fois par l'aide directe et indirecte qui en résultera et par la compréhension et la sympathie accrues que cette initiative suscitera pour les problèmes auxquels nous devons faire face.
Je crois qu'un examen attentif du problème des réfugiés conduit en vérité à une conclusion constante : l'action est ici seule payante ; c'est une prime d'assurance et bon marché que l'on prend sur l'avenir. Car, si modeste qu'il soit, le programme d'assistance représente, dans des pays notamment qui doivent affermir leur structure après l'indépendance récemment acquise, un facteur indéniable de stabilité sociale et politique en même temps qu'un facteur de progrès et de paix.
Ainsi se trouve démontrée, je crois, Madame le Président, l'impérieuse nécessité de fournir au Haut Commissariat les mayens modestes dont il a besoin pour faire face à une tâche dont l'ampleur va aujourd'hui croissant. Les sommes mises à sa disposition sont affectées à des objectifs immédiats et pratiques. Les résultats acquis, dans le présent comme dans le passé, en font foi : en Europe, quelques années d'efforts persévérants et soutenus ont permis de venir effectivement à bout du lancinant problème des camps et des handicapés qui, peu, s'y étaient accumulés ; en Amérique latine, en Asie ou en Afrique, aujourd'hui au centre de nos préoccupation, des solutions effectives et concrètes ont été apportées à nombre de problèmes suscités par l'existence de groupes importants de réfugiés dont souvent déjà nous ne parlons plus que pour mémoire.
Conclusion
Les circonstances commandent aujourd'hui d'assigner au Haut Commissariat deux objectifs principaux :
1. adapter la tâche de protection internationale aux dimensions nouvelles qu'a prises actuellement le problème des réfugiés ;
2. adapter le programme d'assistance aux besoins croissante qui résultent de l'apparition de nouveaux groupes de réfugiés, et plus spécialement en Afrique.
Or, ces deux objectifs ne pourront être atteints que si le Haut Commissaire obtient des gouvernements l'appui financier, moral et politique faute duquel il ne saurait assumer pleinement et convenablement la tâche humanitaire qu'ils ont eux-mêmes choisi de lui confier.
C'est cet appui qu'en terminant, Madame le Président, je voudrais me permettre de demander aujourd'hui à l'Assemblée générale.