Ruud Lubbers ouvre une réunion ministérielle historique sur les réfugiés
Ruud Lubbers ouvre une réunion ministérielle historique sur les réfugiés
Décrivant les millions de personnes déracinées dans le monde comme étant le « produit d'un échec politique », le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés Ruud Lubbers a mis en garde, mercredi, les gouvernements contre la mise en place de politiques d'asile basées sur la peur et la méfiance tout en leur demandant d'assumer leurs obligations internationales telles qu'énoncées dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
S'adressant aux participants d'une réunion sans précédent des Etats parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, au Palais des Nations, à Genève, M. Lubbers a rappelé que la Convention, qui vient d'avoir 50 ans, a permis à des millions de réfugiés de par le monde de trouver un havre de sécurité et de commencer une nouvelle vie.
« La Convention permet avant tout d'être libéré de la peur », a déclaré le Haut Commissaire aux représentants de 156 nations présents à la réunion ministérielle de deux jours, qui devrait adopter une déclaration d'importance capitale dans laquelle les Etats réaffirmeront leur engagement envers la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 ainsi que sa pleine application.
« Cela est tout aussi important aujourd'hui qu'il y a 50 ans. De tout temps, en effet, des gens ont été contraints de s'enfuir de chez eux, en quête de sécurité, pour échapper aux persécutions, à la guerre et à la violence », a souligné M. Lubbers.
Mais, a-t-il ajouté lors de la réunion, qui est conjointement organisée par le HCR et le gouvernement suisse et présidée par la Conseillère fédérale suisse Ruth Metzler-Arnold, de nouveaux problèmes ont surgi, au cours des cinq décennies qui ont suivi la création de la Convention de 1951. « Dans le nouvel environnement politique international, nous voyons des gouvernements qui refusent d'accepter des réfugiés parce qu'il y en a trop ; parce qu'ils sont mélangés à des migrants économiques ; parce qu'il n'y a pas suffisamment de partage des responsabilités entre les Etats », a poursuivi M. Lubbers.
« Malheureusement, les politiques des gouvernements vis-à-vis des réfugiés et des demandeurs d'asile sont souvent basées sur la crainte et la méfiance. Nous devons vaincre cette peur. Les dirigeants politiques ne sont pas de vrais leaders lorsqu'ils alimentent des sentiments d'hostilité à l'égard des étrangers et des réfugiés, contribuant ainsi à ce climat de crainte et de méfiance. Nous n'avons rien à craindre. Aucun problème n'est insoluble lorsque les Etats veulent bien le résoudre ensemble. Faisons donc preuve du même courage que ceux qui ont élaboré la Convention. »
M. Lubbers a rappelé que le HCR vient actuellement en aide à 22 millions de personnes, y compris des réfugiés, des demandeurs d'asile, des rapatriés, des déplacés internes ainsi que des apatrides. « Toutes ces personnes déracinées sont des personnes qui ne peuvent pas bénéficier de la protection de leurs gouvernements », a-t-il souligné, « toutes sont le produit d'un échec politique. »
Lorsque les ressortissants d'un pays ne peuvent pas être protégés par leur gouvernement, ils doivent bénéficier d'une protection internationale, a dit M. Lubbers. Les réfugiés ne doivent pas être perçus uniquement comme un fardeau. Ils doivent aussi être reconnus pour ce qu'ils peuvent offrir en tant que citoyens productifs. « Plutôt que de marginaliser les réfugiés », a-t-il souligné, « nous devons trouver les moyens de les aider à devenir plus forts afin qu'ils puissent jouer un rôle actif au sein de nos sociétés. »
M. Lubbers a déclaré que depuis son arrivée au HCR en tant que Haut Commissaire, en janvier dernier, certains gouvernements de pays développés ont demandé avec insistance que davantage de solutions soient trouvées pour les réfugiés dans leur région d'origine. Mais en même temps, a souligné M. Lubbers, les représentants des gouvernements de l'Iran et du Pakistan, qui accueillent à eux deux le plus grand nombre de réfugiés au monde, lui faisaient part de leur extrême déception face au manque de partage des responsabilités entre les Etats.
« C'est là le paradoxe », a dit M. Lubbers. « Si tous les pays remplissaient leurs devoirs envers les réfugiés, il n'y aurait aucun problème de partage des responsabilités. Mais les pays ne sont pas préparés à le faire tant qu'il n'y aura pas de partage des responsabilités. »
Le Haut Commissaire a demandé à ce que davantage d'efforts soient entrepris à l'échelle internationale afin de prévenir des situations de crises de réfugiés qui s'éternisent, comme celle de l'Afghanistan. Il a également fait appel à une adhésion universelle à la Convention et de son Protocole, qui demeure la clé de voûte du système international de la protection des réfugiés.
« Toutes les grandes religions du monde entier incorporent des concepts tels que ceux de l'asile, du refuge, du sanctuaire et de l'hospitalité envers les personnes en détresse », a rappelé M. Lubbers. « Les valeurs sur lesquelles se base la Convention sont éternelles. La Convention doit être considérée comme le reflet du monde civilisé et comme faisant partie intégrante des nations qui sont unies. Elle est le reflet du respect et de la responsabilité envers nos semblables. La Convention reconnaît que cette responsabilité ne doit pas être limitée par des frontières. Elle énonce les devoirs et les droits des réfugiés et les devoirs des Etats envers les réfugiés. »
A l'époque de la mondialisation et des migrations en masse, le Haut Commissaire a demandé aux gouvernements de ne pas oublier que la Convention « n'est pas un instrument destiné à contrôler l'immigration et qu'elle ne doit donc pas être critiquée pour l'incapacité des Etats à faire face à l'immigration clandestine. »
« Mais les difficultés de gérer des flots mêlés de réfugiés et d'autres migrants ne doivent pas être sous-estimées », a-t-il souligné. « Nous devons initier et développer de nouvelles approches, de nouveaux instruments et mettre en place de nouveaux standards afin de renforcer la protection juridique et physique des réfugiés, tout en les dissociant d'autres qui sont exclus de la protection. »
L'augmentation du nombre de passeurs clandestins et de trafiquants d'être humains est une source de grande préoccupation », a dit M. Lubbers. Avec la fermeture régulière de points d'entrée, beaucoup de réfugiés font appel à des passeurs clandestins, malgré les dangers encourus et malgré les sommes astronomiques demandées. D'autres immigrants se présentent comme étant des réfugiés afin de surmonter les barrières de l'immigration. C'est pourquoi la distinction devient de plus en plus floue entre les réfugiés et les autres candidats à l'immigration, et que les réfugiés sont de plus en plus souvent perçus comme des hors la loi.
« Il s'agit là d'encore un autre dilemme », a dit le Haut Commissaire. « A moins que les gouvernements ne déploient davantage d'efforts en vue de trouver des solutions à long terme au problème des réfugiés, de plus en plus de réfugiés vont tomber entre les mains de trafiquants, de passeurs clandestins et de réseaux criminels. Qui donc alors entretient le crime ? Les réfugiés acculés à la fuite ou les gouvernements qui ont échoué ? »
En guise de conclusion, M. Lubbers a déclaré que la communauté internationale doit se mobiliser pour lutter contre les causes profondes des déplacements forcés. « Le véritable défi, c'est de créer un environnement dans lequel les gens ne sont pas contraints, en premier lieu, de s'enfuir de chez eux », a-t-il précisé. « Bien sûr, il vaut mieux apporter la sécurité aux gens plutôt que les mettre en sécurité. Mais lorsque la communauté internationale est incapable de le faire, ce qui est souvent le cas, nous devons défendre et soutenir le droit des individus à chercher un lieu d'asile et à y vivre en paix. »