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Ruud Lubbers : la législation européenne sur l'asile ne doit pas contrevenir au droit international

Communiqués de presse

Ruud Lubbers : la législation européenne sur l'asile ne doit pas contrevenir au droit international

29 Mars 2004

GENEVE - Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Ruud Lubbers, a fait part, lundi, de sa préoccupation sur deux projets de loi fondamentaux de l'Union européenne (UE), soulignant que plusieurs dispositions y figurant ne seraient pas conformes aux normes du droit international. Ces dispositions, a-t-il précisé, pourraient conduire à une érosion du système d'asile mondial, mettant en péril la vie de futurs réfugiés.

Les deux projets de directives - les dernières d'une série de cinq importantes lois visant à harmoniser la politique d'asile de l'UE - seront examinés mardi à Bruxelles par les ministres de la Justice et de l'Intérieur de l'UE. Ces directives doivent en principe être finalisées à temps pour l'élargissement de l'Union prévu pour le 1er mai prochain.

« Le nombre de demandeurs d'asile arrivant dans l'Union a nettement diminué, et cette tendance se poursuit actuellement », a signalé Ruud Lubbers.

« Nous pouvons améliorer la gestion de l'asile en nous concentrant sur un meilleur partage des responsabilités au sein de l'UE », a-t-il ajouté. « Et plus important encore, nous pouvons maintenir ce bas niveau en investissant davantage d'efforts et de ressources dans les régions d'origine des réfugiés. Nous voyons déjà des résultats encourageants dans ce domaine. Il n'est franchement pas nécessaire de se fixer comme unique objectif de niveler les normes par le bas et de s'efforcer de décourager ou de refuser la protection à un nombre maximal de personnes. »

M. Lubbers a envoyé la semaine dernière une lettre au Premier ministre irlandais, M. Bertie Ahern, président en exercice de l'UE, avec deux notes détaillant les principales préoccupations du HCR : l'une sur le projet de directive sur la qualification, qui propose une définition de qui peut être qualifié de réfugié et qui peut se réclamer d'une protection subsidiaire (accordée par exemple aux victimes de guerre) ; et l'autre sur la directive sur les procédures d'asile qui stipule comment aboutir à une décision pour chaque cas individuel.

Déjà en novembre dernier, le Haut Commissaire avait exprimé les préoccupations du HCR quant à l'orientation que prenait la directive sur les procédures d'asile.*

Dans sa note, le HCR attire l'attention sur une série d'éléments sources d'inquiétude, notamment la mise en application du concept du « pays tiers sûr », en vertu duquel les demandeurs d'asile pourraient être renvoyés dans un autre pays désigné comme étant « sûr ». L'agence a par ailleurs critiqué un système d'exemption indiscriminée qui empêcherait ainsi certains demandeurs d'asile d'accéder à l'ensemble des procédures, sans tenir compte du fait qu'un pays en général considéré comme sûr « puisse néanmoins ne pas être sûr pour certaines personnes ». Ceci créerait un réel danger de refoulement indirect de réfugiés, exposés à d'éventuelles persécutions dans leur pays d'origine, « en contravention de la Convention de 1951 sur les réfugiés ainsi que d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ».

Toujours en rapport à ce problème, le HCR a en outre évoqué l'aspect « minimaliste » des critères de détermination de la « sécurité » d'un pays tiers, pouvant ainsi donner lieu au renvoi de demandeurs d'asile vers des pays ne tenant pas compte des normes élémentaires des droits de l'homme et où il n'y aurait nulle garantie que leur cas soit examiné de manière juste et efficace. Cela « pourrait alors équivaloir à un déni du droit à demander l'asile en vertu de la législation internationale », a souligné le HCR.

L'agence a également déclaré que les projets d'articles relatifs aux procédures d'appel pourraient aussi donner lieu à des violations des lois internationales. Dans l'état actuel du texte, « la grande majorité » des demandeurs d'asile déboutés qui déposent un recours en appel n'auront pas le droit de rester dans l'Union européenne tant que la décision d'appel n'aura pas été rendue - en dépit du fait que dans plusieurs pays européens, entre 30 et 60 % des décisions initialement négatives sont finalement renversées en appel.

Le projet comporte une longue liste d'exceptions au principe selon lequel les personnes devraient être autorisées à rester dans le pays pendant l'examen de leur cas en appel - exceptions « n'ayant aucun lien avec le bien fondé de leur demande, mais reposant sur des facteurs techniques ou discrétionnaires, ou sur le comportement du requérant. Certaines personnes, par exemple, peuvent être renvoyées pendant l'appel simplement parce qu'elles ont été en détention ou parce qu'elles ont n'ont pas déposé leur demande d'asile plus tôt. De telles règles peuvent causer de graves préjudices à des réfugiés qui sont traumatisés, confus ou tout simplement mal informés sur le processus d'asile ».

« L'effet combiné de cette série de mesures proposées signifie que l'UE accroîtra considérablement ses chances de retourner de force des réfugiés de bonne foi dans leur pays d'origine », a souligné M. Lubbers lundi. « Ces cas seront difficiles à repérer, parce que le retour forcé peut avoir lieu à travers toute une série de pays, mais ça ne veut pas dire que cela ne se passera pas. Or, une seule personne qui risquerait d'être renvoyée vers la torture, c'est une personne de trop. »

Le HCR a aussi soulevé d'autres préoccupations importantes concernant le projet actuel de la directive sur la qualification, y compris les propositions consistant à restreindre sérieusement la définition du terme de « grave danger » (et donc, restreignant ainsi le nombre de personnes pouvant se réclamer de la protection internationale). Ces propositions pourraient avoir pour conséquence d'exclure de toute forme de protection internationale des personnes fuyant une zone de guerre.

Selon M. Lubbers, certains pays de l'Union semblent décidés à imposer leurs pratiques les plus restrictives et controversées dans les registres des 25 futurs membres de l'Union. « Dans certains cas », a-t-il indiqué lundi, « ces pratiques n'ont même pas été intégrées au niveau de leur propre législation nationale ou sont encore débattues sur le plan intérieur, et pourtant ils cherchent à les imposer au niveau de l'Union. »

M. Lubbers a par ailleurs ajouté que si l'UE adoptait les directives dans leur forme actuelle, cela créerait un précédent négatif pour d'autres régions du monde où elles seraient perçues comme une tentative de se débarrasser du fardeau sur les pays en voie de développement, qui accueillent déjà la vaste majorité des réfugiés du monde entier. « Cela pourrait avoir un effet domino qui affaiblirait la protection des réfugiés dans le monde entier » a-t-il averti. « En prenant l'UE pour exemple, d'autres nations pourraient très bien demander : s'ils peuvent faire cela, pourquoi pas nous? »

« Nous ne devons pas oublier les intentions premières du processus d'harmonisation, qui étaient de produire un régime d'asile commun en Europe, basé - et je me réfère là aux conclusions de Tampere - sur le 'respect absolu du droit à demander l'asile' et 'l'application intégrale et globale' de la Convention de 1951 sur les réfugiés. Nous devons faire renaître cet esprit. »

« L'Europe devrait être fière de sa tradition d'asile, d'avoir sauvé des vies humaines », a ajouté M. Lubbers. « Le nombre de demandeurs d'asile est en diminution. Nous travaillons dur pour trouver des solutions et améliorer les conditions dans les régions d'origine et nous constatons les succès de cette politique humaine et ses effets sur la diminution progressive du nombre de personnes en quête d'asile. Il serait fort regrettable qu'à ce stade, l'Europe porte atteinte à sa grande tradition de protection des réfugiés authentiques. »

* Voir communiqué de presse du 24 novembre 2004