Un maire gréco-syrien et des réfugiés font revivre un village touristique
Un maire gréco-syrien et des réfugiés font revivre un village touristique
Dans un appartement de deux étages, peint en blanc et situé à côté d’une plage pittoresque, Tarek Al‑Felou et sa femme, Kinda, préparent un shish barak, un plat de viande hachée typique du Moyen‑Orient.
Ils ont comme voisins quelque 320 réfugiés, originaires de Syrie pour la plupart. Depuis la fin du mois de mars, ces réfugiés font revivre LM Village, un centre de villégiature qui a fermé il y a plus de cinq ans à cause de la crise financière grecque.
Aujourd’hui, chacun des 38 bungalows joliment peints abrite deux familles. Le linge flotte au vent. Les mères bavardent sous les porches bordés de palmiers. Les adolescents jouent au basket‑ball sur un terrain abandonné et, non loin, des bambins se pourchassent sur un toboggan aquatique bleu et jaune défraîchi. « Yallah, descends ! » crie un garçon plus âgé. Cinq fois par jour, l’appel à la prière islamique d’un grand‑père résonne sur la placette.
L’ancien centre de villégiature, devenu un centre d’hébergement pour les réfugiés, est un village dans presque tous les sens du terme. On est très loin des combats, des bombardements et de l’état de siège que les résidents ont fuis il y a quelques mois à peine. Pour la première fois depuis des années, la plupart des réfugiés vivent comme ils vivaient avant la guerre, ou à peu près.
« Ici, nous essayons d’oublier que nous sommes des réfugiés », dit Tarek, 42 ans, qui possédait un restaurant près de Damas et qui s’est enfui en Grèce avec Kinda et leurs deux enfants. « On pourrait presque dire que nous sommes en vacances. »
La réouverture du centre de villégiature sous la forme d’un centre d’accueil pour réfugiés est l’initiative du maire local, Nabil‑Iosif Morad, un médecin syrien de Homs qui vit en Grèce depuis 25 ans. Citoyen grec par alliance, Nabil‑Iosif est aussi le premier Grec naturalisé d’origine syrienne à avoir été élu dans le pays.
Il a proposé le centre de villégiature après que le gouvernement grec ait demandé l’aide des maires locaux pour accueillir les 57 460 réfugiés qui se trouvent toujours en Grèce, une conséquence de la fermeture de la frontière le long de la « route des Balkans » vers l’Europe du Nord. Plus d’un million de réfugiés et de migrants sont arrivés en Europe par la mer au cours de la dernière année, selon les chiffres du HCR.
Nabil‑Iosif explique qu’il a d’abord recueilli des vêtements pour les envoyer à Idomeni, une installation informelle à la frontière de la Grèce et de l’ex-République yougoslave de Macédoine, où 10 000 réfugiés ont vécu dans des conditions sordides pendant plusieurs mois ce printemps. « Mais cela n’était pas suffisant. J’ai alors demandé si nous pouvions utiliser cet endroit. »
LM Village est situé à 70 kilomètres de Patras, la troisième ville de Grèce. Selon Nabil‑Iosif, même si certains résidents étaient hésitants à l’idée d’utiliser le centre de villégiature comme un lieu d’hébergement pour les réfugiés, le conseil municipal a approuvé le projet à l’unanimité.
Le Ministre grec de la défense, qui supervise certains aspects de la gestion de la migration en collaboration avec le Ministre chargé de la politique migratoire, a rénové les bâtiments délabrés. L’électricité et l’approvisionnement en eau potable ont été rétablis.
Quelques jours plus tard, une demi-douzaine de cars ont transporté des réfugiés, qui étaient cantonnés depuis des semaines dans une installation informelle au Pirée, le port d’Athènes. Il n’y a que des jeunes familles, accompagnées pour certaines des grands‑parents. Plusieurs personnes sont des femmes qui voyagent seules avec leurs enfants.
Les plus jeunes résidents du centre de villégiature n’ont que quelques jours : deux bébés sont nés dans un hôpital local ces deux derniers mois.
Nabil‑Iosif est bombardé de questions chaque fois qu’il visite le lieu. Les trois superviseurs bénévoles ne parlent pas arabe et peu de réfugiés parlent anglais.
« Nous devons d’abord mettre fin à la guerre en Syrie. »
Récemment, Nabil‑Iosif a eu écho de plaintes concernant la présence d’impuretés dans l’eau potable et il a lu à une résidente les résultats des analyses médicales, car ils étaient écrits en grec.
Cependant, les problèmes sont gérables, dit-il.
« Cela me rend heureux de les voir vivre ainsi après avoir connu les bombes et la guerre », dit Nabil‑Iosif, dont les trois frères et sœurs ont quitté Homs pour trouver refuge le long de la côte ouest de la Syrie. « Mais pour ne plus voir ces images d’Idomeni et d’ailleurs en Europe, nous devons d’abord mettre fin à la guerre en Syrie. »
Des avocats de l’Ordre des avocats de Patras ont visité LM Village pour donner des conseils juridiques gratuits. De nombreux réfugiés attendent d’être convoqués à un entretien par le Service d’asile grec, car cela leur permettra de présenter une demande de réinstallation, dans le cadre d’un programme de l’Union européenne dont l’objectif est le transfert de 160 000 demandeurs d’asile de Grèce et d’Italie vers d’autres États membres au cours des prochaines années. Plus d’une douzaine de réfugiés ont déjà quitté LM Village pour le Portugal. D’autres seront réinstallés dans les mois qui suivront l’« inscription préalable », une nouvelle initiative nationale conjointe du HCR et du Service grec d’asile visant à trouver une solution juridique pour chaque demandeur d’asile.
Des bénévoles de la Croix‑Rouge aident les résidents de LM Village. Ils distribuent des denrées recueillies et ils ont créé une bibliothèque et une école ; des cours d’anglais et de grec sont donnés par des réfugiés et des bénévoles. Le HCR a entrepris d’établir un espace de prière et un système de distribution de produits alimentaires pendant le moins sacré du ramadan.
Cependant, malgré les bonnes conditions de vie, le sentiment de précarité pèse sur ceux qui ont hâte d’être réunis avec leur famille ailleurs en Europe. Fares Al‑Hamdan, un résident de LM Village, n’a pas vu ses deux fils aînés, Baraa, 18 ans, et Muhammad, 16 ans, depuis plus de six mois. Ils vivent dans des centres d’accueil pour réfugiés séparés en Allemagne. Ancien instituteur, le père, âgé de 47 ans, les avait envoyés en Europe il y a six mois, quand des hommes armés ont menacé d’arrêter Baraa en Syrie. Le garçon avait déjà passé trois mois dans une prison gouvernementale, où il avait été torturé, même s’il n’avait commis aucun crime.
Fares s’inquiète pour ses fils, mais il est aussi désespéré de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa mère âgée, de sa femme Hanadi et de leurs quatre enfants : Rama, 15 ans, Heba, 14 ans, Sedra, 7 ans et Ahmad, 5 ans.
« Lorsque je dois accepter l’aide des autres, cela me brise le cœur », explique Fares, pendant que Sedra grimpe sur lui pour lui faire un câlin. « Lorsqu’un homme a une famille, il veut subvenir à ses besoins avec l’argent qu’il gagne de ses propres mains. Ici, je ne peux pas travailler. Ici, nous ne faisons qu’attendre. Nous attendons la dernière étape de notre voyage. Nous attendons d’être réunis avec nos fils. Nous attendons de pouvoir commencer une nouvelle vie. Attendre est notre raison d’être. »
Quelques maisons plus loin, l’odeur du shish barak s’échappe des fenêtres de Tarek. La famille de Tarek a mis deux mois à s’enfuir de Syrie plus tôt cette année ; pendant sa fuite, des groupes armés l’ont menacée et lui ont demandé de l’argent aux points de contrôle. La famille vit maintenant avec un couple syrien originaire d’Idlib et leurs deux enfants. Les deux familles se sont rencontrées dans la ville portuaire d’Izmir ; elles ont pris ensemble un canot pneumatique en direction de la côte grecque. Elles ont passé 20 jours ensemble à Idomeni, puis 15 jours au Pirée, avant d’arriver à LM Village.
« Ici, nous ne faisons qu’attendre. Nous attendons la dernière étape de notre voyage. »
« Ici, bien sûr, c’est mieux que dans les autres camps, dit Kinda. À Idomeni, nous avions de fortes pluies tous les jours. Malgré tout, notre situation est précaire. Nous sommes toujours en quête de stabilité. »
Ils attendent de pouvoir présenter une demande dans le cadre d’un programme de réinstallation. Cependant, pour l’instant, ils passent leur journée à la plage ou préparent des plats syriens raffinés.
« C’est moi le patron dans la cuisine », déclare Tarek. Il donne un petit coup sur un four grille‑pain. À ses côtés, l’autre femme de la maison, Marwa, 26 ans, rit.
« Bon, mets la viande dans la pâte, comme ceci », ordonne-t-elle, pressant une cuillère de bœuf haché et d’oignons émincés dans une pâte pliée en croissant.
Ils mettent la table pour le repas. Le shish barak est servi dans des bols avec une sauce au yaourt. Des ballons décorent les murs. Lorsqu’on lui demande ce que les deux familles fêtent, Tarek sourit.
« Rien », dit‑il. Puis, se ravisant : « La vie ».