Un ardent défenseur des droits des déplacés internes
Un ardent défenseur des droits des déplacés internes
GENÈVE, 14 novembre (HCR) - Walter Kälin, un universitaire suisse, également intervenant humanitaire et juriste, a travaillé sans relâche durant des années pour protéger les droits des personnes déracinées. Il a débuté sa carrière par l'aide juridique et la représentation de demandeurs d'asile en tant que membre de la section suisse d'Amnesty International et il a connu l'apogée de sa carrière entre 2004 et 2010, en tant que Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU sur les Droits de l'homme des Personnes déplacées internes. Il avait auparavant dirigé un groupe d'experts et rédigé les Principes directeurs relatifs au déplacement des personnes à l'intérieur de leur propre pays, qui est devenu un document faisant autorité sur les droits des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Walter Kälin enseigne actuellement la législation internationale et constitutionnelle à l'Université de Berne et il dirige également un organisme récemment créé, l'Institut suisse pour les droits de l'homme. Par ailleurs, il a longuement coopéré avec le HCR et il a récemment pris part à des consultations à Genève avec de hauts responsables du HCR sur la protection des personnes déplacées internes. Avant de présider une session sur la législation et les politiques, il s'est entretenu avec les chargés de communication du HCR, Adrian Edwards et Leo Dobbs.
Expliquez-nous les motifs de votre participation à cette réunion à Genève
J'ai été invité à partager mon expérience avec des collègues du terrain sur la façon dont les législations, les politiques et les stratégies dans les pays affectés par le déplacement interne peuvent aider à mieux protéger les personnes déplacées. Au contraire des réfugiés dont la communauté internationale est, dans une très large mesure, responsable de leur protection, quelque 27 millions de personnes déplacées par le conflit armé, la violence et plus de 30 millions de déplacés par an en moyenne par les catastrophes naturelles restent au sein de leurs propres pays. Alors ce sont leurs propres gouvernements qui sont principalement responsables de leur protection.
Je parlerai des cas où les déplacés internes ont souffert car des législations n'existaient tout simplement pas ou qu'elles ne répondaient pas aux besoins spécifiques des déplacés internes. Quand je me suis rendu au Népal en 2005 [en tant que Représentant spécial de l'ONU], de nombreux parents sont venus me dire que leurs enfants ne pouvaient pas être scolarisés car, selon la loi népalaise, ils avaient besoin d'un document de transfert de la part du directeur de l'école. Mais si votre village a été attaqué par des rebelles ou par l'armée ou que vous avez dû fuir, vous n'avez tout simplement pas le temps d'aller voir le directeur pour obtenir ce papier. Dans d'autres cas, j'ai vu des personnes déplacées internes qui n'avaient pas pu récupérer leurs biens ou leur droit de propriété qu'elles avaient perdus ou qu'elles avaient dû abandonner tout simplement voire même des communautés indigènes ou traditionnelles qui n'en ont pas. Dans d'autres pays, j'ai vu des déplacés internes qui n'avaient pas accès à des services essentiels ou au marché du travail, car il leur manquait des documents d'identité, qu'ils avaient perdus durant leur fuite éperdue… S'il n'y a aucun cadre juridique, ou si celui-ci n'est pas adapté aux besoins spécifiques des déplacés, alors le risque d'aggravation de leur situation est omniprésent.
Quelles sont les obligations internationales des Etats ?
Au contraire des réfugiés qui ont traversé une frontière vers un autre Etat, nous n'avons aucune convention internationale pour la protection des déplacés internes. Nous avons [au lieu de cela] les Principes directeurs de 1998 sur le déplacement interne. Bien que ce ne soit pas un instrument juridiquement contraignant, l'avantage de ces Principes directeurs réside dans le fait que tous les gouvernements les ont acceptés à maintes reprises dans les résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU et qu'ils les ont reconnus en tant que cadre juridique important pour la protection, ce qui signifie essentiellement que les gouvernements ont une obligation de respect, de protection et de plein exercice des droits humains énoncés dans cet instrument de protection des déplacés. Cela signifie de ne pas les déplacer par violence, de ne pas les attaquer, de ne pas bloquer leur accès aux services essentiels mais aussi de protéger ces personnes contre des acteurs non étatiques qui tentent de violer leurs droits. Cela peut être des rebelles, mais également des personnes représentant une menace de préjudice pour une population dans un camp. Les camps sont parfois des endroits très dangereux pour les femmes.
Légalement, les gouvernements ont également la charge de porter assistance à ces personnes durant leur déplacement en leur assurant des services essentiels, des soins de santé et une éducation ainsi qu'en leur fournissant une aide alimentaire. Puis, très important, les gouvernements ont l'obligation de créer les conditions qui pourraient permettre ce que l'on appelle des solutions durables, c'est-à-dire que les déplacés puissent reconstruire leur vie soit en rentrant chez eux, soit en mettant fin au déplacement par l'intégration locale là où ils se trouvent.
Quelle est l'approche de la communauté internationale concernant les situations de déplacés internes ?
Tout d'abord, j'estime que la communauté internationale fournit une assistance correcte aux déplacés. Il y a des situations difficiles comme la Somalie où nous n'avons pas accès mais, globalement, je crois que la réponse humanitaire s'est améliorée au fil des années. Là où nous voyons une grande insuffisance, c'est pour rétablir les conditions nécessaires afin que les déplacés puissent reprendre une vie normale et pour trouver des solutions durables. Si vous regardez les populations déplacées, la majorité d'entre elles sont déplacées depuis cinq, 10, 15 ou 20 ans, et elles vivent toujours dans un vide juridique. C'est un domaine où persistent de nombreuses négligences.
Ensuite, il est important d'aider les gouvernements à construire leur propre capacité pour prendre en charge leur propre population déplacée. Nous parlons ici de nombres importants et il serait illusoire de penser qu'une agence comme le HCR, voire les Nations Unies dans leur ensemble, pourrait prendre la responsabilité de porter assistance à l'ensemble de ces personnes.
Parlez-nous de la réponse multi-agence intitulée approche de responsabilité sectorielle
L'approche de responsabilité sectorielle (cluster approach) s'inspire de notre expérience au Darfour en 2004, où il y avait une importante situation de déplacement mais une présence d'organisations internationales humanitaires très limitée voire inexistante dans de nombreux domaines. A d'autres occasions, nous avons eu le problème d'un grand nombre d'agences dépêchant du personnel sur place - que l'on appelle « l'effet CNN » - où trop d'organisations font la même chose. Nous sommes alors confrontés à un manque de coordination, un manque de prévisibilité et un défaut d'obligation de rendre compte lorsque les choses ne sont pas faites de la façon dont elles le devraient. L'approche de responsabilité sectorielle est un élément de réponse à ces problèmes. L'idée, c'est qu'il y a des problèmes dans différents domaines - comment fournir une aide alimentaire, de l'eau potable, des installations sanitaires, assurer des soins de santé, la protection, gérer des camp ou fournir des abris temporaires. Aucune agence ne peut assurer tout cela, mais une agence définie peut se charger de la coordination d'une réponse conjointe dans un domaine spécifique.
Le HCR dirige trois de ces groupes thématiques (clusters) dans trois domaines - la gestion de camp, l'abri temporaire et la protection. De mon point de vue, la protection est très importante. Etre déplacé interne signifie être victime de multiples violations des droits de l'homme. Considérer seulement la distribution de biens de secours est insuffisant. Ces personnes ont besoin de protection, elles méritent une protection mais elles peuvent ne pas en bénéficier, particulièrement là où le gouvernement - premier responsable de la protection et de l'assistance aux personnes déplacées - a lui-même causé leur déplacement. Même dans ce cas-là, le HCR peut mener un plaidoyer, aider le gouvernement à comprendre, renforcer la capacité d'un système judiciaire, de la police ou d'ONG locales - ou de qui que soit pouvant assurer une protection. Et c'est toujours un rôle très important.
Certaines personnes pensent que le HCR devrait s'en tenir à son mandat pour venir en aide aux réfugiés et aux apatrides
Je ne suis pas du tout d'accord. Le HCR a une expérience unique dans la réponse aux besoins spécifiques des personnes ayant perdu leur maison, qui ont dû fuir ou qui ont été forcées à fuir - pour faire court, à des personnes déplacées. Etre déplacé ne signifie pas forcément être pire que les autres, mais le déplacement est synonyme de besoins spécifiques. Imaginez seulement que votre maison soit attaquée, que vous deviez fuir. D'un jour à l'autre, votre vie change. Vous devez trouver un abri, un lieu en sécurité. Là où vous arrivez, vous subissez la discrimination car vous êtes déplacé et que les habitants ne veulent pas de vous ou que vous leur fassiez concurrence sur le marché du travail ou pour profiter des maigres ressources qui sont disponibles. Vous serez confronté à un défi, « Comment vais-je trouver une solution pour mettre fin à mon déplacement ? Comment vais-je pouvoir retrouver mon bien ? Ces besoins ne sont pas ceux d'une population non déplacée. Ils sont liés spécifiquement à la situation d'une personne déplacée. Le HCR connaît parfaitement les besoins des personnes déracinées. C'est pourquoi je pense que le HCR arrive en tête pour aider ces personnes.
Le fait de dire « nous avons notre mandat, nous devons nous y tenir » nie la réalité du déplacement interne. Cette réalité n'est souvent pas reconnue par le grand public. Ceci car les déplacés internes, au contraire des réfugiés et des demandeurs d'asile, restent dans leur propre pays et ils demeurent donc tout à fait invisibles du monde extérieur. Toutefois, en terme de chiffres, ils sont les plus nombreux. Leur cause n'arrive pas atteindre le public au niveau mondial.
L'impact et la compréhension seraient-ils meilleurs si nous faisions référence à toutes les personnes déracinées comme à des réfugiés ?
Le terme personnes déplacées internes n'est pas aisé à comprendre et tout spécialement l'acronyme IDP qui est très abstrait. Cependant, dans les pays affectés par le déplacement interne, le concept est habituellement très clair, tout spécialement parmi les déplacés eux-mêmes. Les appeler réfugiés voudrait dire qu'ils ne sont plus des citoyens à part entière, mais plus ou moins des étrangers. En 2005, je me souviens des Etats-Unis et des médias internationaux décrivant des Américains déplacés depuis la Nouvelle-Orléans par l'ouragan Katrina comme étant des réfugiés. J'ai un homme déplacé, interviewé à la télévision, qui était furieux, « Je ne suis pas un réfugié. Je suis un Américain », s'écriait-il. Et il avait raison. L'utilisation du terme réfugiés dans ce cas signifie que les déplacés n'ont pas les mêmes droits que les citoyens, même dans les meilleures circonstances. Les déplacés qui restent dans leur propre pays ne perdent pas leurs droits simplement car ils sont déplacés. C'est pourquoi nous sommes opposés à l'utilisation du terme réfugiés.
La distinction entre déplacé d'un conflit ou d'une catastrophe naturelle est-elle valide ?
Sur certains aspects, elle est valide et sur d'autres, non. Dans des situations de guerre, les risques sont différents de ceux d'une situation de catastrophe naturelle. Vous avez des problèmes de protection très spécifiques dans des situations de guerre, comme la protection des enfants contre le recrutement forcé en tant que soldats. D'un autre côté, de nombreux besoins dans le domaine de la protection sont similaires, comme la violence dans les camps. Un camp surpeuplé peut devenir dangereux, quelque soit la raison pour laquelle les personnes s'y trouvent : un conflit armé ou une catastrophe naturelle.
Le nombre des personnes déplacées par les catastrophes naturelles est trop important pour que le HCR assume la responsabilité de la totalité d'entre elles, mais je suis d'accord avec António Guterres [le chef du HCR] qu'il y a de nombreuses situations où l'agence peut assumer un rôle très important sur la base de son expérience au fil des décennies.