Trois heures trop tard
Trois heures trop tard
LESBOS, Grèce, 4 avril (HCR) - Le canot pneumatique de Monzir a atteint la côte de Lesbos aux petites heures d'un matin de mars, mais il était déjà trop tard.
À minuit ce jour-là (le 20 mars), le statut des arrivants comme Monzir, qui ont fui la guerre et utilisé toutes leurs économies pour entreprendre un voyage périlleux en bateau jusqu'en Europe, a subi un changement cataclysmique.
Trois heures trop tard, Monzir s'est retrouvé derrière des grillages surmontés de barbelés à Moria, un centre de détention où il attend un éventuel retour en Turquie.
Prenant son plus jeune fils Yousef dans ses bras et le serrant contre lui, Monzir raconte sa courte traversée du dangereux bras de mer entre la Turquie et l'île grecque.
« Nous avons tous pensé que nous allions mourir. Le bateau n'était qu'un bout de plastique. Nous pensions qu'il allait se déchirer (à cause des vagues) », dit-il, en larmes. « C'était la première fois que je montais dans un bateau pareil… et j'espère que ça sera la dernière. »
L'accord de mars entre l'UE et la Turquie vise à endiguer le nombre de réfugiés arrivant sur les côtes européennes, qui a été multiplié par 17 par rapport à la même période en 2015.
Selon l'accord, tous les nouveaux arrivants doivent être maintenus en détention jusqu'à ce que leur demande d'asile soit étudiée. Le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, n'est pas partie à l'accord entre l'UE et la Turquie ; en outre, le HCR soutient que, pour être conforme au droit international et européen des réfugiés et des droits de l'homme, un tel accord doit prévoir, en termes clairs, des mesures de protection, tant en Grèce (où les demandes des personnes doivent être examinées comme il se doit) qu'en Turquie.
Le HCR a aussi signalé que la Grèce n'était pas prête et n'était pas équipée pour gérer la situation.
« La Grèce n'a pas la capacité (sur les îles grecques) de traiter un grand nombre de demandes d'asile », déclare Boris Cheshirkov, un porte-parole du HCR.
Le HCR s'oppose à la détention obligatoire des demandeurs d'asile et il a exhorté le gouvernement grec à proposer des alternatives à la détention, ajoute Boris Cheshirkov.
Depuis le 20 mars, jour où la détention des nouveaux arrivants a commencé, les activités du HCR dans les centres fermés sont suspendues ; le HCR concentre désormais ses efforts sur la fourniture de renseignements en matière d'asile, sur le recensement des personnes plus vulnérables, telles les femmes enceintes, les personnes âgées et les victimes d'actes de torture, ainsi que sur la surveillance des procédures et des conditions. Sur les côtes, dans les ports et dans les centres d'accueil ouverts, le HCR continue d'apporter une aide, en collaboration avec les bénévoles, les ONG et le gouvernement.
L'embarcation de Monzir est la première à avoir atteint la côte de Lesbos après l'entrée en vigueur de l'accord.
Il y a 8 mois, sa femme, un fils, Mohammed, et une fille, Jawahar, ont fui vers l'Allemagne.
Les bombes étaient tombées sur sa maison à Ariha, en Syrie, détruisant le domicile de son frère et rasant le quartier tout entier, y compris l'école de son fils.
L'ancien policier a été obligé de vivre avec les membres restants de sa famille dans un trou de 3 mètres de profondeur, ne sortant qu'une heure chaque jour pour faire la cuisine et manger. Son oeil droit est marqué d'une cicatrice grumeleuse, le résultat d'un éclat d'obus qui a ébréché une partie de son crâne.
Le fils aîné de Monzir, Ismail, 17 ans, a eu de la chance sans doute. Il a voyagé indépendamment et est arrivé sur Lesbos vers le 8 mars. Il attend maintenant dans un camp près de Drama en Grèce continentale, avec environ 50 000 autres réfugiés et migrants, qui ignorent tous ce que l'avenir leur réserve.
Monzir et les membres restants de sa famille immédiate ont finalement pris la fuite après avoir vu à la télévision et sur Facebook des images de militants qui, selon eux, massacraient des enfants.
Ils sont partis vers le nord-ouest en direction de la frontière turque.
Monzir a donné 1 000 dollars à un passeur pour qu'il aide sa famille à traverser la montagne à pied jusqu'en Turquie. Ils ont marché pendant 6 heures. Cela fut difficile, mais il n'était pas difficile de motiver la troupe.
« Que valait-il mieux ? Rester et risquer la mort, ou continuer de marcher ? Bien sûr, nous avons marché », indique-t-il.
À Antakya, dans le sud de la Turquie, ils ont pris un bus en direction de la ville côtière d'Izmir, où Monzir a de nouveau donné de l'argent à des passeurs. Cette fois, il a payé 1 200 euros pour que chaque membre de la famille puisse monter à bord d'un bateau à destination de Lesbos, dont les lumières scintillaient au loin. Tard le soir du 20 mars, ils ont levé les voiles dans l'obscurité.
« Nous étions censés nous retrouver en Grèce ou dans un autre pays européen », dit Monzir. « Je ne veux rien de plus, juste retrouver mes enfants. »
Le HCR espère que, conformément à la législation européenne, Monzir pourra bientôt, en compagnie de ses fils, retrouver sa femme et ses autres enfants qui sont déjà en Allemagne.
Monzir ajoute : « En Syrie, j'étais un prisonnier de guerre. Je me suis échappé pour être libre, mais je me retrouve de nouveau en prison. Même s'ils ne me donnent qu'une tente dans la montagne, je veux juste vivre avec mes enfants en paix. »
Par Hereward Holland à Lesbos, en Grèce