Transplanter des tukuls dans le désert somalien
Transplanter des tukuls dans le désert somalien
HARRIRAD, nord-ouest de la Somalie, 31 mars (UNHCR) - Les anciens exilés d'Harrirad ne perdent pas une seconde. Quelques minutes à peine après être descendus des camions de l'UNHCR qui les ont ramenés chez eux après 15 ans dans un camp de réfugiés, ils sont déjà en train de bâtir des maisons.
En utilisant des poutrelles et même des cartons qu'ils ont conservés précieusement du camp situé du côté éthiopien de la frontière, ils reconstruisent de façon énergique les tukuls, ces structures traditionnelles en forme de dôme, qu'ils ont démontées la veille.
D'anciens réfugiés particulièrement dynamiques ont rejoint leur patrie, après l'heure de route qui la séparait de leur camp d'Aisha, dans l'Est éthiopien. Grâce à eux, Harrirad, qui était une ville minuscule et somnolente, et qui ne comptait que 67 maisons, s'est développée de façon très rapide en une ville champignon, version désert somalien.
Selon Amal Yasin Ibrahim, qui, pour aider les réfugiés rentrant au pays, fait le trajet jusqu'à la frontière plusieurs fois par mois sur des chemins défoncés qui font office de routes, « il y a deux ans, vous ne pouviez même pas acheter une bouteille d'eau ou une boisson fraîche ici. Maintenant, chaque magasin a un frigo. Cette ville se développe vraiment de façon rapide. Presque tous les jours, il y a quelque chose de nouveau de disponible » dans les magasins que les anciens réfugiés ont ouverts pour répondre aux besoins de la population en pleine expansion.
Partout au Somaliland, et particulièrement à Hargeisa, la capitale, ainsi que dans la grande ville de Boroma, les anciens réfugiés sont de retour pour aider à la reconstruction du pays. L'état indépendant auto-proclamé du Somaliland n'est pas reconnu par la communauté internationale, mais c'est une enclave de paix relative et de stabilité dans le nord-ouest de la Somalie, un pays ravagé depuis longtemps par la violence.
Il n'est pas étonnant que les réfugiés, aidés par les investissements de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, soient les moteurs du redéveloppement, puisque presque chaque habitant a quitté sa maison à un moment ou un autre de la guerre civile, entre 1988 et 1991, lorsque le régime de Siad Barre fut renversé et que le Somaliland proclama son indépendance.
« Les habitants du Somaliland ont tous été réfugiés à un moment donné » insiste Abdulrahman Hassan, un consultant pour les questions relatives au retour auprès du Ministère du Somaliland pour la réinstallation, la réhabilitation et le rapatriement (MRRR).
Il ajoute qu'en « 1988, la population a été la cible de tueries aveugles et les gens ont dû fuir. La seule différence entre les gens concerne la date de leur retour. Certains sont revenus en 1991 et d'autres rentrent maintenant ».
Il a fait de même, après 26 ans à l'étranger. Pendant ce temps, il a réussi à apprendre un anglais impeccable, obtenir deux diplômes universitaires aux Etats-Unis et obtenir la citoyenneté canadienne.
« Il y a eu une réelle fuite des cerveaux et certains d'entre nous doivent revenir pour aider », dit-il. « L'économie est en pleine expansion. Alors que la communauté internationale ignore complètement le pays, la diaspora somalienne revient des quatre coins du monde. Certains d'entre eux parlent le néerlandais, d'autres le finnois. Ils reviennent et reconstruisent le pays ».
Même s'ils ne disposent pas de la même éducation et s'ils ne sont pas aussi prospères, les réfugiés rentrent au pays gonflés d'optimisme. Il suffit de prendre l'exemple de cette femme de plus de soixante-dix ans, rentrée au pays le mois dernier, pour découvrir que son fils est à présent le vice-gouverneur de la région d'Awdal, où se trouve la ville en pleine expansion de Boroma.
« Vous ne pouvez pas imaginer quelle était sa joie de rentrer au pays et de se rendre compte que j'étais devenu le vice-gouverneur de cette région. Elle avait du mal à le croire », déclare l'homme en question, Mohamed Hassan Ahmed, en se souvenant du jour qui suivit le retour de sa mère du camp d'Aisha, dans l'est de l'Ethiopie.
Malgré son âge, sa mère déborde d'énergie. « Elle se disait capable de me nourrir, ajoutant que je ne devais pas m'inquiéter et que je n'avais pas besoin de travailler, car elle allait lancer une petite affaire et subviendrait à mes besoins ainsi qu'à ceux de toute ma famille. »
Tout le monde ne partage pas ce succès. Environ 90 % des anciens réfugiés n'ont toujours pas de source fixe de revenus des années après leur retour, et beaucoup vivent des versements de parents plus chanceux établis à l'étranger.
Malgré tout, après des décennies tourmentées, les habitants du Somaliland sont simplement heureux que la guerre soit finie. « Si on a un esprit pacifique et un pays pacifié, les opportunités sont nombreuses », déclare le vice-gouverneur. « Tant que nous avons la paix, cela suffit. »
Dans quelle mesure le pays a-t-il changé durant les 14 dernières années ? Il suffit de demander au consultant Abdulrahman. Les bureaux du MRRR occupent le bâtiment qui abrita jadis les cellules de torture de la milice de Siad Barre. Sa propre soeur y fut emprisonnée, car son mari était un opposant à l'ancien dirigeant.
A présent, chaque jour, lorsqu'il se rend au travail, Abdulrahman ressent une satisfaction empreinte de tranquillité. « Je suis fier de travailler dans un lieu où mes compatriotes ont été torturés, mais qui est aujourd'hui l'endroit à partir duquel nous avons le bonheur de les ramener chez eux ».
Par Kitty McKinsey à Harrirad et Hargeisa