Pour le chef du HCR, endiguer le flux croissant de réfugiés suppose davantage de sécurité dans le Sahel
Pour le chef du HCR, endiguer le flux croissant de réfugiés suppose davantage de sécurité dans le Sahel
BAMAKO, Mali – Pour de nombreux réfugiés et migrants, l'Europe commence dans les déserts du Niger et du Mali.
Depuis ces pays, les voies de migration serpentent vers le nord et la Libye, avec parfois un virage abrupt sur la gauche pour rejoindre la Libye via l'Algérie. C'est ainsi que les passeurs essayent d'éviter la vigilance accrue mise en place à la frontière entre le Niger et la Libye pour ralentir les flux de migration.
Les experts parlent alors de « flux migratoires mixtes ». Les personnes qui transitent vers le nord présentent une composition mêlée de réfugiés qui fuient les conflits et la violence dans leurs pays respectifs — le Mali lui-même ainsi que le Burkina Faso, l'Érythrée et le Soudan du Sud pour ne citer que ceux-là — et de migrants qui laissent derrière eux des pays à l'économie exsangue et sans perspective en quête d'une vie meilleure.
Toutefois, l'espoir a souvent un coût d'une cruauté inimaginable.
La Libye est en pleine tourmente et les passeurs qui y introduisent des déracinés en deviennent souvent les geôliers.
« Ils nous battaient pour tout et n'importe quoi. Quand on se faisait battre, on avait mal de nombreuses nuits. »
Tesfaledt, 17 ans seulement, est un réfugié érythréen qui a passé une bonne partie de sa vie au Soudan. Alors qu'il n'avait que 16 ans, il est parti vers le nord pour plonger en plein cauchemar. Il a été emprisonné par des passeurs dans une exploitation agricole où plus de 1000 personnes étaient également détenues.
« Là-bas, il n'y avait aucun respect pour la vie humaine. Beaucoup mouraient. »
L'extorsion est également monnaie courante. Il devait payer une rançon, sans quoi il serait tué. Des membres de sa famille élargie ont envoyé l'argent demandé. Il a été acheminé jusqu'à la côte pour entreprendre la périlleuse traversée de la Méditerranée, quand les troupes gouvernementales ont capturé les passeurs. Lui-même et les autres réfugiés ont été transférés vers un centre de détention où ils ont été entassés dans des conteneurs d'expédition maritime.
« Je n'arrive pas à exprimer le bonheur que j'ai ressenti. »
Après plusieurs semaines en détention, il a été libéré par le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et évacué vers le Niger en février à bord de l'un des 14 vols d'évacuation organisés par le HCR au départ de la Libye depuis la fin de 2017. Plus de 1400 personnes ont ainsi été sauvées d'une misère extrême.
« Je n'arrive pas à exprimer le bonheur que j'ai ressenti, » dit Tesfaledt. « Je n'aurai jamais pensé quitter la Libye. Je n'ai pas pu y croire jusqu'à ce que je sois dans l'avion. »
Pour marquer la Journée mondiale du réfugié le 20 juin, Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a embarqué sur l’un des vols d'évacuation de réfugiés dans le cadre de sa visite en Libye, au Niger et au Mali.
« Le nombre de réfugiés et de déplacés est en augmentation, » a déclaré M. Grandi à Tripoli. « La réponse à cette crise ne doit pas être de fermer les frontières, mais plutôt de travailler ensemble à la recherche de solutions. »
Quand l'avion qui transportait M. Grandi et 122 réfugiés a atterri au Niger, nombre d’entre eux lui ont exprimé leur gratitude.
« Nous sommes libres maintenant. Que Dieu vous bénisse, » a dit Gatkouth Yoal, un réfugié soudanais, à Filippo Grandi. Il a fui son pays après la mort de sa petite de deux ans dans des violences ethniques et a réussi à atteindre la Libye où il a été emprisonné et torturé par des passeurs.
Les réfugiés tels que lui partent en quête de sécurité, mais souffrent souvent de traumatismes. Selon les estimations des psychologues, jusqu'à 40 % d'entre eux souffrent de troubles de stress post-traumatiques après leur arrivée.
Les réfugiés évacués depuis la Libye font partie des quelque 328 000 personnes pour lesquelles le Niger est devenu un sanctuaire. Malgré sa grande pauvreté, le pays a ouvert ses portes et offert protection à ceux qui ont fui les conflits dans d'autres pays ainsi qu'à des déplacés internes par le conflit le long de sa frontière avec le Mali.
L'avion en partance pour Agadez au Niger reste à proximité d'une base de drones militaires où les forces occidentales essaient de pister les rebelles islamistes.
Dans le Mali voisin, la ville de Gao en plein désert est patrouillée par une importante force internationale de maintien de la paix.
« Quand on a un but dans la vie, il faut le suivre. »
Les premiers déracinés sont arrivés en 2011 et 2012 après une flambée de violence déclenchée par les rebelles islamistes qui a chassé des dizaines de milliers de Maliens vers le Niger et le Burkina Faso.
Selon des responsables des Nations Unies, des zones de Gao échappent toujours au contrôle des forces gouvernementales malgré la présence internationale. Les réfugiés maliens qui sont rentrés chez eux – plus de 60 000 d'entre eux depuis le Niger – n'osent toujours pas s'aventurer loin du centre de la ville.
« Les petits potagers dans les champs, c'est terminé, » dit Hadja, une Malienne qui a fui vers le Niger en 2012 et qui est rentrée chez elle il y a quelques mois. « De nos jours, plus personne ne peut aller dans les campagnes. Je suis aveugle maintenant. Nous sommes revenus avec rien et nous n'avons toujours rien. »
L'aide apportée à ces rapatriés était l'un des principaux points évoqués par M. Grandi, mais il est également rattaché à une autre problématique.
« Nous apporterons notre aide à l'établissement d'installations pour les réfugiés maliens, mais cela dépend également des mesures engagées par les autorités pour améliorer la sécurité. »
Pour aggraver les choses pour le HCR et les autres agences internationales, l'Algérie a déporté des milliers d'africains vers le Niger et le Mali, dont beaucoup travaillaient discrètement dans le pays depuis des années.
Tout un catalogue de crises dont les pays européens semblent à peine avoir conscience. Le Niger, qui est l'un des pays les plus pauvres du monde, s'occupe de centaines de milliers de réfugiés tandis que les pays européens hésitent à en accueillir plus d'une poignée.
Tesfaledt, 17 ans, espère qu'il fera bientôt partie de cette poignée de chanceux. Malgré les coups et les tortures qu'il a subis, il répond immédiatement : « Est-ce que je recommencerais après tout ce que j'ai vécu ? Absolument. « Quand on a un but dans la vie, il faut le suivre. J'y suis presque. »
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