Les survivants indigènes commémorent l'anniversaire du massacre colombien entre espoir et craintes pour le futur
Les survivants indigènes commémorent l'anniversaire du massacre colombien entre espoir et craintes pour le futur
CALDONO, Colombie, 14 avril (UNHCR) - Armés seulement de leur moral d'acier et d'un bâton de bois comme signe de leur autorité, les hommes et les femmes de la Guardia Indígena (garde indigène) du Cauca se sont opposés sans merci à des milices et à des combattants paramilitaires armés jusqu'aux dents ; ils les ont persuadés de faire demi-tour et de quitter leurs villages.
A plus d'une occasion, ils sont parvenus à sauver deux victimes d'enlèvements en se rendant là où des membres de groupes irréguliers les gardaient prisonniers et en les convainquant de libérer les otages sains et saufs.
Cette fois, ils ont écarté doucement la foule pour nous permettre de marcher vers le podium dressé dans une usine désaffectée du village de Caldono. Tout autour de nous, il y avait plus de 12 000 délégués qui représentaient les habitants indigènes du Cauca, estimés à 250 000. Cette province du sud-ouest compte la plus large population indigène de Colombie. Nous étions présents à l'invitation du Conseil régional indigène de Cauca, la plus haute autorité traditionnelle de la province. La constitution et le gouvernement colombiens lui reconnaissent une juridiction spéciale sur son propre territoire.
Nous avions été convoqués pour recevoir une reconnaissance particulière : nous allions être distingués en tant que défenseurs des droits des peuples indigènes. Notre délégation comportait le coordinateur humanitaire des Nations Unies en Colombie, le délégué de l'UNHCR et le directeur du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme.
« Nous apprécions vos efforts, votre solidarité et votre contribution. En tant que défenseurs de la vie, vous nous défendez », a déclaré un membre du Conseil dans son discours d'accueil.
« Nous, les Yanaconas, Guambianos, Ingas, Emberas, Nasas, Coconucos et les autres peuples représentés ici, nous ne voulons pas être mêlés à une guerre qui ne nous concerne pas », a souligné un autre dirigeant. « Nous, les habitants d'origine de la Colombie, qui sommes exclus et humiliés, nous ne voulons pas être massacrés, assassinés et déplacés. Nous sommes continuellement menacés par la guerre et la destruction de nos terres. Mais nous continuerons à résister aussi longtemps que le soleil brillera dans le ciel. »
On a alors annoncé que nous allions recevoir un mandat spécial des autorités traditionnelles. Un groupe de dirigeantes féminines sont venues sur le podium en portant des mochilas, des sacs de coton portés en bandoulière par tous les hommes et toutes les femmes indigènes dans cette partie de la Colombie. Une d'elle a pris la parole : « Chaque personne, chaque être et chaque pensée sont faits d'une partie masculine et d'une partie féminine. Pour nous, les peuples indigènes, ces mochilas représentent l'utérus. Par ce geste, nous vous donnons le symbole de la vie pour que vous puissiez la défendre. Puissiez-vous ne jamais oublier ce mandat. »
Un représentant des communautés afro-colombiennes a aussi pris la parole. « Au nom des habitants indigènes et afro-colombiens de la région de la rivière Naya - nous sommes plus de 22 000 - je vous salue et vous présente une pétition. Nous demandons le soutien de la communauté internationale pour obtenir des droits sur nos terres et pour savoir ce qui s'est réellement passé au cours du massacre d'avril 2001. »
Le massacre de Naya occupe une place particulière dans les sombres annales de la violence en Colombie. Il y a exactement quatre ans, pendant la Semaine sainte, un groupe de 400 paramilitaires a pénétré dans cette partie reculée de la jungle. Quelques jours plus tôt, les guérillas de l'ENA (l'Armée nationale de libération) avaient organisé l'enlèvement en masse de fidèles dans une église voisine, et les paramilitaires ont accusé les villageois d'avoir aidé les guérillas. Dans un déchaînement de violence qui a duré du 10 au 13 avril, un grand nombre de personnes ont été assassinées de la façon la plus horrible (le nombre exact de victimes est inconnu, mais les estimations vont de 70 à 130 personnes).
« Les restes d'une femme ont été exhumés. Son abdomen avait été coupé à la tronçonneuse. Une fille de 17 ans avait été égorgée, on lui avait amputé les deux mains », a déclaré le médiateur (Ombudsman), Eduardo Cifuentes, après avoir visité le lieu du massacre. Plus de 3 000 personnes, principalement des indigènes, ont été déplacées à la suite des massacres.
Certains survivants de ce massacre étaient présents à la cérémonie de Caldono. Ils sont venus vers le podium, portant chacun un grand tournesol, qu'ils tenaient cérémonieusement comme des drapeaux jaunes. « En mémoire de mon père, je vous offre cette fleur », m'a dit un petit garçon qui ne devait pas avoir plus de huit ou neuf ans. Certains des plus jeunes enfants n'ont pas été capables de répéter ces mots. Leurs voix juvéniles se sont étranglées en sanglots.
Nous étions très émus et pouvions à peine retenir nos larmes. Ces veuves et ces orphelins de Naya étaient toujours déplacés, quatre ans après le massacre. Certains avaient vécu dans un stade de tauromachie à Santander del Quilichao, où 380 hommes, femmes et enfants ont passé trois ans dans des conditions épouvantables jusqu'à ce que, l'an dernier, les autorités leur donnent une ferme abandonnée près de la capitale de la province, Popayán, où ils ont commencé une nouvelle vie.
Nous avons visité la ferme le lendemain. Les voisins l'appellent toujours par son ancien nom de « La Laguna », mais les 70 familles de Naya qui s'y sont installées lui ont donné un nouveau nom « Kitek Kiwe », ce qui signifie « le pays fleuri » en langue nasa. Avec l'aide d'organisations non-gouvernementales internationales, la communauté a commencé à y planter du maïs, des pois, du manioc, des courges et d'autres légumes. Ils ont également 15 têtes de bétail, un cheval et une jument. Ils sont également en train de construire une école où les cours seront dispensés en espagnol et en nasa.
Les jeunes sont occupés dans des activités culturelles telles que la musique, la lecture et en créant des émissions, grâce à une radio qui permet de s'adresser à la population. La communauté a accompli beaucoup de choses, mais il reste de nombreuses difficultés. Les conditions de vie sont mauvaises et la santé du groupe a souffert du manque d'eau potable et de l'absence d'un système sanitaire correct.
Cependant, la plus grande inquiétude de la communauté concerne la sécurité. « Nous savons que des groupes armés sont actifs très près d'ici », a déclaré un des résidents. « Nous sommes très inquiets : ils pourraient vouloir se venger de nous, d'autant plus que nous avons témoigné contre eux devant un tribunal. Nous avons les membres de la Guardia Indígena, mais ils ne sont pas armés. »
Après beaucoup de souffrances, ce groupe de survivants du massacre Naya espère une vie tranquille et indépendante. « Nous sommes ici pour de bon », a souligné un des chefs de la communauté. « Nous ne quitterons pas cet endroit, même pas lorsque nous serons morts. C'est pour cette raison que nous construisons notre cimetière ici. »
« Malgré les problèmes de protection auxquels ses habitants doivent toujours faire face, nous pensons que cette communauté pourrait servir d'exemple pour l'intégration réussie des personnes déplacées dans un milieu rural », a analysé Saskia Loochkartt, une consultante pour les questions indigènes auprès de l'UNHCR. « L'organisation interne de la communauté et les bonnes relations inter-ethniques avec ses voisins non indigènes sont particulièrement importantes. »
L'UNHCR, fidèle à son engagement de protection des communautés déplacées et à risque, continuera à suivre de près la situation de la communauté du « Kitek Kiwe » pour s'assurer qu'elle continue à prospérer en dépit du conflit.
Par William Spindler, UNHCR Colombie