Le Tchad délivre des papiers d'identité aux rapatriés pour leur éviter l'apatridie
Le Tchad délivre des papiers d'identité aux rapatriés pour leur éviter l'apatridie
GORÉ, Tchad – Dans l'exploitation agricole où elle travaillait encore il y a trois ans, Samira Hassan a profité d'une pause pour monter en haut de la colline surplombant Bossembélé, la ville où elle habitait dans l'ouest de la République centrafricaine (RCA).
Sous ses yeux horrifiés, la ville était attaquée par une colonne d'hommes en armes appartenant à une milice rebelle qui combattait alors les troupes gouvernementales. En quelques minutes, la ville tout entière avait disparu sous d'épais tourbillons de fumée noire.
Samira, qui avait alors 23 ans, savait que ses trois enfants étaient en sécurité à la ferme, mais elle a assisté à la destruction de sa maison dans un incendie dévastateur. Elle a appris plus tard que sa mère était morte dans ce cataclysme. Son frère, son oncle et deux cousins ont été assassinés à la mosquée pendant le même raid.
« Ce n'est qu'après avoir fui pour rejoindre le Tchad que j'ai pris conscience de l'importance d'avoir des papiers d'identité. »
« Depuis ce jour-là, je n'ai plus jamais entendu parler de mon mari », dit Samira. « C'en était trop pour moi, j'ai immédiatement pris les enfants et j'ai fui vers le Tchad d’où venaient mes parents. »
Samira a laissé ceux qu'elle aimait derrière elle, dans les décombres de sa maison. Elle y a également laissé des documents essentiels, inconsciente qu’ils lui auraient évité les années de précarité qu'elle a connues depuis. À l'époque, sa seule pensée était de fuir pour se mettre à l’abri.
Originaires du Tchad, les parents de Samira étaient partis s'installer en RCA pour travailler. Samira n'y a jamais obtenu la citoyenneté bien qu'elle soit née dans le pays et y ait été élevée. En outre, les documents prouvant que ses parents étaient tchadiens, ce qui lui conférait cette nationalité par filiation conformément à la loi du pays, avaient disparu dans l'incendie de sa maison.
C'est ainsi que lorsqu'elle est arrivée au Tchad, comme 75 000 autres personnes qui fuyaient aussi le conflit en RCA, ils n'avaient aucun moyen de prouver leur identité ou leur droit à la citoyenneté du pays qui les hébergeait désormais dans les camps de réfugiés autour de la ville de Goré.
« Ce n'est qu'après avoir fui pour rejoindre le Tchad que j'ai pris conscience de l'importance d'avoir des papiers d'identité », déclare Samira qui a atteint le pays par des chemins détournés. « Nous avons d'abord dû traverser le Cameroun avant d'être escortés jusqu'à Goré. Pendant cet épuisant voyage de cinq semaines, on nous a demandé de produire nos papiers d'identité à de multiples occasions. Nous n'en avions pas et ça compliquait tout. »
Le Tchad accueille des réfugiés autant que des citoyens de retour au pays. Samira compte aujourd'hui parmi plus de 6000 rapatriés qui ont bénéficié d'un enregistrement biométrique et d’une vérification de nationalité dans le cadre d'un nouveau programme financé par l'Union européenne pour prêter assistance aux rapatriés et prévenir l'apatridie.
Mis en œuvre par les autorités locales avec la collaboration du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés et ses partenaires, ce programme européen sera bientôt élargi au sud de du pays où 11 000 autres personnes comme Samira attendent des papiers officiels.
Il y aurait dans le monde au moins 10 millions d'apatrides, sans compter les nombreuses autres personnes qui risquent de le devenir. Le HCR travaille avec les gouvernements du monde entier pour identifier, prévenir et éradiquer l'apatridie, une situation qui prive souvent les gens de la possibilité d'étudier, de travailler, de voter et de bénéficier de soins de santé. C'est pour œuvrer en ce sens et mettre fin à l'apatridie que le HCR a lancé en 2014 la campagne #IBelong ((#J’appartiens).
À ce jour néanmoins, moins de la moitié des rapatriés au Tchad ont été enregistrés dans le cadre du programme européen. Les procédures visant à déterminer s'ils sont bien des ressortissants tchadiens, ce qui leur donne droit à un certificat de naissance et à une carte d'identité, prennent du temps. Les équipes des organisations humanitaires, des autorités locales et des forces de police doivent faire des recherches dans des zones rurales souvent difficiles d'accès et où la sécurité est aléatoire.
« Le programme exige beaucoup de temps et de ressources humaines et logistiques », explique Ginette Ody, fonctionnaire auxiliaire du HCR en charge de la protection à N'Djamena, la capitale du Tchad. « Outre les procédures ordinaires de vérification, il faut souvent obtenir des arrêts judiciaires des autorités locales pour valider la véracité de l'origine tchadienne des personnes. Entreprendre ce travail dans les districts reculés du pays, à proximité de la frontière avec la RCA, peut se révéler extrêmement coûteux. »
« Il est essentiel de faire en sorte que ces communautés n'ait plus à vivre dans un éternel no man's land administratif. »
Les services tchadiens de l'état civil sont débordés par la mise à jour des registres des naissances et 88 % des enfants de moins de cinq ans ne sont pas enregistrés. Avec des financements complémentaires, le programme pourrait favoriser l'enregistrement des Tchadiens qui ont fui la RCA autant que des personnes nées et élevées au Tchad.
« Il est essentiel de faire en sorte que ces communautés n'ait plus à vivre dans un éternel no man's land administratif et qu'elles se voient garantir l'accès à l'éducation, aux soins de santé et aux services publics », déclare Ginette Ody.
L'obtention de papiers d'identité a permis à Samira de se sentir enfin en sécurité après sa longue errance et de profiter des opportunités qui s'offrent à elle.
« Ma carte d’identité tchadienne me donne l’assurance que je suis pleinement acceptée ici », conclut Samira, qui était enceinte quand elle a fui la République centrafricaine. Elle a donné naissance à son quatrième enfant après son arrivée au Tchad.