Le siège sous terre
Le siège sous terre
Les bombardements en Ukraine ont poussé 1 000 habitants de Donetsk à vivre en sous-sol. Craignant de s'aventurer dehors, ils entretiennent un esprit de générosité.
Leurs récits :
Ce sont les habitants des caves. Dans le conflit qui s'enlise depuis près d'un an dans l'est de l'Ukraine, ils ont fui vers les sous-sols de leurs immeubles ou vers les caves creusées pour stocker leurs outils et leurs conserves de légumes. Ils sont au moins 1 000 à Donetsk et autour, abrités sous terre pour éviter les bombes qui tombent encore régulièrement.
Nous avons suivi Nikolai dans les entrailles du 82A de la rue Kozareva, en bas des escaliers, à droite, puis à gauche, à travers un labyrinthe gris de couloirs en briques et ciment éclairé par la lumière crue d'une ampoule. Nikolai a ouvert sa porte avec une clé et est entré dans une pièce carrée sombre, un lieu de souffrance et de deuil.
En juillet 2014, les bombardements se sont intensifiés. Nikolai et sa mère ont fui leur appartement en ruine situé à l'étage - les fenêtres avaient toutes été soufflées - vers la cave. Leur vie souterraine sous les bombardements a rendu sa mère littéralement paralysée par la peur. Elle a perdu l'usage de ses jambes. En octobre, il l'a remontée dans son lit, dans l'appartement. Elle a souffert pendant deux semaines puis, le 6 décembre, elle est décédée.
« C'est arrivé à cause du stress », affirme Nikolai. « Elle souffrait d'une maladie cardiaque et elle a probablement eu une attaque. J'ai appelé le médecin. Elle est venue et nous a dit de nous préparer à sa mort ».
L'histoire de Nikolai est la plus triste parmi les 18 personnes qui vivent ici, dans leur village souterrain, mais d'autres - comme le couple Alexei et Anna, et Oksana - évoquent aussi la peur constante qui hante leur vie.
« Quand ils bombardent, l'immeuble tremble », dit Anna. « Et nous tremblons. Je prie Dieu ».
Quand on lui demande comment elle fait face, Oksana fond en larmes. « Je suis vraiment effrayée. J'ai peur de sortir, d'aller où que ce soit ».
Lien vers la video (en anglais)"Katia, 76 ans, dort désormais sur une vieille baignoire dans la cave de son immeuble à Donetsk" (HCR/Alexandre St-Denis)
Malheureusement, cette réaction est de plus en plus courante. Mais d'autres, comme Liuba et Katia, manifestent un stoïcisme que j'ai appris à connaitre en vivant dans cette région et en la visitant pendant plus de 30 ans.
Liuba sourit en me montrant la pièce avec quatre lits étroits où elle vit avec six autres personnes : trois couples et la grand-mère de Liuba. Liuba a eu deux crises cardiaques et une attaque.
« L'ambulance est venue quatre fois pour moi, mais je reviens toujours », dit-elle.
Katia est assise sur une vieille baignoire recouverte par une planche et un matelas tout fin. C'est son lit. Elle a 76 ans et elle a travaillé pendant 50 ans dans une usine d'asphalte, ramassant l'asphalte à la pelle et la répandant.
« Ce n'est pas confortable pour dormir, mais c'est mieux que dormir dans la rue », explique-t-elle. Elle reconnait qu'elle est résistante.
Ces personnes ont plus de chance que beaucoup d'autres qui vivent en sous-sol. Ils ont désormais l'électricité et le chauffage. Mais il leur a fallu travailler pendant un mois en vivant dans le noir - nettoyer, tirer les lignes électriques, nettoyer les tuyaux des toilettes - pour rendre le dédale de pièces vivable. Et, ils le disent tous, l'ambiance est conviviale. Les habitants s'entraident et partagent leur nourriture.
Quand les bombardements se calment, ils remontent pour voir la lumière et nettoyer leurs appartements endommagés, balayer les débris, accrocher des bâches plastiques sur les fenêtres cassées. Et, à l'automne, après avoir récolté les légumes plantés dans leurs petits lopins de terre, ils entreprennent de les mettre en conserve pour l'hiver. Ce processus a été souvent reporté ; ils ont dû fréquemment descendre en courant quand les fusillades reprenaient.
Katia me montre fièrement ses étagères de légumes, puis insiste pour que je prenne un bocal de petits légumes conservés dans le vinaigre. Je proteste ; elle en a plus besoin que moi. « Non, non », dit-elle. « Et prenez ce bocal de tomates aussi ».
Nous nous préparons à partir. Tandis que nous remontons de la cave, Katia nous rattrape et me tend un grand bocal de framboises.
« Vous avez aussi besoin de quelque chose de sucré », dit-elle.
Pas seulement de la grâce, je pense, mais aussi de la générosité sous une immense pression.