La tragédie d'Alep continue de hanter les réfugiés syriens en exil
La tragédie d'Alep continue de hanter les réfugiés syriens en exil
BEYROUTH, Liban – C’était un jeudi soir, le mois dernier. Cela faisait déjà quatre ans qu’Alaa* et sa famille ont trouvé refuge au Liban. La télévision était allumée et « Alep aujourd’hui » passait en toile de fond avec un présentateur annonçant les victimes de la journée. En entendant la sonnerie du téléphone, Alaa a sursauté. « C’est Alep », a-t-elle dit.
Au bout du fil, sa sœur Samar a annoncé l’horrible nouvelle. Le fils de Samar, le neveu d’Alaa, âgé de 16 ans, avait été tué par une explosion au retour de l’école.
« J’ai eu l’impression que mon cœur allait s’arrêter de battre. Un torrent de larmes m’est monté aux yeux, mais Samar était étrangement calme. Je ne sais pas où elle a puisé cette force. Elle a dit qu’elle préférait mourir en héroïne à Alep plutôt que quitter le seul endroit où elle se sent chez elle », explique Alaa.
Le Liban accueille plus d’un million de réfugiés syriens. Et tout en étant loin de la guerre qui fait rage chez eux, la vie en Syrie continue de les hanter dans leur pays d’asile.
« Elle a dit qu’elle préférait mourir en héroïne à Alep plutôt que quitter le seul endroit où elle se sent chez elle. »
Au cours des plus de quatre années passées au Liban en tant que réfugiée, Alaa, 39 ans, s’est tristement habituée à la souffrance du deuil pour des proches restés dans sa ville d’Alep.
Depuis qu’elle est arrivée au Liban en 2012 avec son mari et leurs quatre enfants, elle a perdu 14 de ses proches dans sa ville natale. Treize d’entre eux, dont deux de ses sœurs et leurs enfants, ont été tués par la violence horrible du conflit. Sa mère est décédée « de désespoir », explique-t-elle. Sa sœur Samar est la seule qui vit encore dans la ville.
L’expérience traumatisante d’Alaa souligne le lourd tribut humain du conflit en Syrie dont la brutalité fait rage depuis six ans maintenant. Elle montre également combien l’horreur que subit actuellement la population d'Alep a des répercussions bien au-delà de la ville elle-même et qui touchent même ceux qui ont trouvé une sécurité relative dans l’exil.
Samar, la sœur d’Alaa, lui explique que la route pour se rendre du district de Seif Al Dawleh où elle vit dans l’est d’Alep et qui est entre les mains des rebelles, jusqu’à Salaheddine, où elle habitait avant la guerre, est trop dangereuse et peut prendre jusqu’à 10 heures, alors qu’en temps normal le trajet prend cinq minutes. Et il est encore plus difficile de se rendre à Damas.
« Autrefois, ça coûtait 10 livres pour aller à la capitale. De nos jours, ma sœur dit qu’on paye 2000 livres par trajet et qu’on n’est pas certain d’arriver en ville. » Alaa ne peut pas envoyer d’argent à sa sœur et il lui arrive souvent de ne pas pouvoir la contacter pendant plusieurs jours à cause de l’intensité des combats et du manque de réseaux de communications. « Je suis à l’agonie dans l’attente de ses nouvelles, et en même temps, je redoute le moment où elle appelle. »
Nombreux sont ceux qui, comme Alaa et ses proches d’Alep, ont été forcés à déménager à de nombreuses reprises au sein de la Syrie avant de parvenir à se mettre en sécurité au Liban.
Le HCR a publié les conclusions d’une enquête réalisée le mois dernier en coopération avec des partenaires auprès des résidents et qui souligne le danger croissant pour ceux qui restent à l’est d’Alep. Il en ressort que 63 % des personnes interrogées connaissent quelqu’un qui est décédé ou a été blessé par des explosifs, et 82 % rapportent que leur propriété a été endommagée. Ils sont pourtant nombreux à dire qu’ils resteraient, même s’il y avait des routes d’évacuation sécurisées.
La recrudescence des combats à Alep a coupé l’accès de l’aide humanitaire dans la plupart des quartiers de la ville, ce qui a entrainé une pénurie de denrées alimentaires, de fournitures médicales et d’autres biens essentiels. Le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, appelle depuis longtemps toutes les parties du conflit à laisser les organisations humanitaires faire leur travail en sécurité, à protéger les installations médicales, les écoles, les infrastructures d’approvisionnement en eau, la vie des civils et des travailleurs humanitaires, et à laisser passer les évacuations essentielles.
« Ça fait des années qu’ils n’ont plus d’eau courante ou d’électricité. Le mari de ma sœur a trois emplois pour gagner ce qu’il faut pour les nourrir », explique Alaa. « L’aide humanitaire n’arrive jamais là où ils habitent. » Elle supplie souvent sa sœur de venir les rejoindre au Liban, même si elle sait qu’il est de plus en plus difficile de quitter la ville.
Depuis des années, Alaa vit au Liban, tourmentée dans son monde isolé, à pleurer la mort de ses proches et à se faire du souci pour ceux qui sont encore là. « Pendant longtemps, je ne voulais que dormir pour pouvoir rêver de ma famille. Je me fâchais quand mon mari me réveillait », raconte-t-elle.
En dépit de la douleur, Alaa essaye de retomber sur ses pieds. Depuis le mois d’avril, elle se rend régulièrement au centre communautaire de Beyrouth soutenu par le HCR et où sa famille et elle-même bénéficient d’un soutien psychosocial. « J’ai toujours hâte d’être vendredi, car je sors et je rencontre du monde. »
Alaa dit qu’elle a envie de se sentir mieux pour pouvoir mieux s’occuper de ses quatre enfants. « Ils ont besoin de moi et je veux qu’ils soient heureux, qu’ils aillent à l’école et qu’ils puissent retrouver l’espoir d’un meilleur avenir. » Son mari a des emplois irréguliers en tant qu’homme à tout faire, mais ça ne suffit pas pour joindre les deux bouts. Chaque mois, la famille reçoit l’équivalent de162 USD sous forme d’aide alimentaire.
* Les noms ont été changés pour protéger les personnes