La réinsertion des rapatriés turkmènes dans le tissu social afghan
La réinsertion des rapatriés turkmènes dans le tissu social afghan
QALINBAFAN, Afghanistan, 2 janvier (UNHCR) - Comme le dit le vieil adage bien connu en Asie centrale : « L'eau est synonyme de vie pour un Turkmène, le cheval représente ses ailes et le tapis, son âme. »
Historiquement nomades et habitants du désert, les membres de l'ethnie turkmène en Afghanistan étaient habitués à se déplacer pour rechercher de l'eau. La guerre les a cependant forcés à fuir leurs maisons il y a près de 30 ans, et ils luttent maintenant pour se réinsérer dans le tissus social afghan.
La preuve en est dans le village de tapissiers de Qalinbafan, situé près de Mazar-e-Sharif au nord de l'Afghanistan. Ce site abrite 85 familles turkmènes ayant reçu des terres de la part du gouvernement. Ces familles étaient habituées à vivre au Pakistan en tant que réfugiées. Elles sont rentrées en Afghanistan ces dernières années, et elles rencontrent des difficultés lors de la réinsertion. De nombreuses familles ici tissent des tapis qui sont vendus à des commerçants au Pakistan.
Dans la tradition turkmène, les femmes tissent et les hommes fabriquent les cadres des métiers à tisser. Naseema avait 13 ans lorsqu'elle a appris de sa mère le tissage des tapis. Maintenant âgée de 70 ans et avec quatre petits-enfants, son visage est marqué par les années et on remarque ses os saillants sous sa robe turkmène pourtant ample. Elle continue inlassablement à tisser des tapis, le dos voûté au-dessus du cadre en bois qui occupe la moitié de son abri de deux pièces fourni par le HCR à Qalinbafan.
« Nous sommes restés au Pakistan pendant 10 ans. J'avais une vie confortable là-bas. Tout était bon marché et nous étions bien payés pour les tapis. Je ne sais pas pourquoi nous sommes rentrés », a-t-elle expliqué sans prendre de gants. « Cela me prendra deux mois pour finir ce tapis. Je pourrais le vendre pour 10 dollars mais je le garderai pour moi. L'hiver est arrivé et je n'ai rien pour me protéger contre le froid. »
Ses voisins sont plus ambitieux. Ils ont monté une grande tente dans l'enceinte du site pour y installer un énorme métier à tisser. Le tapis sur lequel ils travaillent occupera trois personnes durant trois mois. Il leur rapportera 200 dollars et sera vendu plus de 1 000 dollars dans un pays occidental.
Fatma est juchée de l'autre côté du métier à tisser et elle est cachée sous sa burqa. Ses doigts décorés au henné courent sur le métier à tisser dans un mouvement précis et assuré. Agée de 50 ans, elle tisse depuis 40 ans et elle a formé ses petites-filles qui prendront sa relève.
« Nos traditions ont changé durant toutes ces années », a expliqué un chef de clan afghan à Qalinbafan. « Avant, nous faisions commencer les filles dès l'âge de sept ans. Maintenant elles peuvent aller à l'école jusqu'à l'âge de 15 ans, et alors seulement elles commencent à tisser. »
L'importance de l'éducation des filles est l'un des enseignements des années passées en exil. Dans les villages de réfugiés afghans au Pakistan, le HCR finance des écoles primaires pour les garçons et les filles, offrant souvent à ces dernières leur seule chance d'apprendre à lire et à écrire. A leur retour en Afghanistan, la disponibilité et la qualité de l'éducation varient selon les villages. Les petits-enfants de Fatma ont la chance d'avoir une école à Qalinbafan. De nombreux autres jeunes rapatriés vont à l'école en plein air, ou alors ils ne sont même pas scolarisés.
Le rapatriement a aussi affecté les moyens d'existence. « Le commerce des tapis se porte mal », a expliqué Abdul Manam, un chef de clan qui est rentré du village de réfugiés de Jalozai au Pakistan l'année dernière. « Nous étions payés 60 dollars du mètre au Pakistan, et maintenant nous sommes payés seulement 40 dollars à cause de la baisse de la roupie. »
Les intérêts commerciaux font lentement évoluer les coutumes. « Au Pakistan, le tissage des tapis constituait notre principale source de revenus », a dit Abdul Manam. « En Afghanistan, le travail manuel paie mieux, alors les hommes se concentrent davantage sur la recherche d'un travail en dehors de la maison, dans les usines et dans les briqueteries. »
Sharif, le fils de Fatma, se souvient de la vie agréable qu'il menait au Pakistan. Sa femme tissait et il travaillait dans une briquèteriez, gagnant suffisamment d'argent pour louer une maison de cinq pièces avec un grand jardin à Jalozai. « La vie est difficile en Afghanistan », a-t-il indiqué. « C'est difficile de trouver du travail ou de la nourriture. Je travaille à la briquèteriez depuis l'aube jusqu'à la nuit tombée. Je peux produire 10 000 briques en 10 jours et je gagne environ 3 800 Afghanis (76 dollars). Mais que se passe-t-il ensuite ? Il n'y a pas de travail régulier. »
En gardant ces défis en tête, certains de ses proches ont choisi de rester à Jalozai à la demande des autorités pakistanaises. « Il leur a été demandé d'aider à créer un village de fabricants de tapis près de Peshawar. Le Gouvernement pakistanais a promis de leur donner des documents d'identité pour qu'ils puissent rester. Un terrain, de l'électricité et de l'eau leur seront aussi fournis », a expliqué le chef de clan Abdul Manam. « Personnellement je n'étais pas intéressé, mais j'ai entendu dire que certaines familles avaient déjà rejoint des proches au Pakistan. »
Les compétences uniques de la communauté turkmène signifient qu'elles sont très demandées des deux côtés de la frontière. Certains sont séduits par les opportunités au Pakistan alors que d'autres font tout pour recommencer une nouvelle vie après avoir été des réfugiés.
« J'espère vraiment que la paix reviendra en Afghanistan et que les choses s'amélioreront ici pour que nous puissions rester », a expliqué Sharif.
Dans la pièce voisine, ses enfants tissent après leur retour de l'école, leurs doigts dansant entre la trame et la fibre tendue le long du métier à tisser. Il est clair que la maison est le coeur de leur art. Il est à espérer que Sharif et les cinq millions de rapatriés afghans rentrés avant lui pourront un jour réussir à se réinsérer dans le tissu social, à la fois complexe et riche, de leur pays natal.
Par Vivian Tan à Qalinbafan, Afghanistan