Hantés par le naufrage de leur embarcation
Hantés par le naufrage de leur embarcation
Genève, Suisse, 28 juillet (HCR) - Quand l'eau a commencé à remplir le bateau, Thamer et Thayer, deux frères syriens, se sont assis et ont prié pour être sauvés. Si une aide n'arrivait pas rapidement, ils savaient qu'ils seraient engloutis dans les profondeurs de la mer Méditerranée.
L'aller simple leur a couté 2 000 dollars chacun. Plus de 200 autres personnes avaient payé la même somme pour monter à bord de l'embarcation. Personne n'avait garanti qu'ils arriveraient vivants en Europe.
Au large des côtes de Lampedusa, la traversée a tourné au cauchemar. C'était le second des deux naufrages qui avaient eu lieu en octobre dernier, et lors duquel des centaines de personnes se sont noyées à proximité de la rive.
En Syrie, avant la violence et l'effusion de sang, les frères vivaient dans une petite communauté soudée qu'ils décrivent comme « sereine ». La vie était simple, les rues étaient sûres et propres. Puis la guerre a éclaté, déracinant des civils innocents de leurs maisons.
Thamer et Thayer faisaient partie des millions de personnes qui ont fui. « Il y a beaucoup de gens qui ont décidé de ne pas tuer ou se faire tuer, ils ont décidé de partir », raconte Thamer, 27 ans.
Leur première escale a été la Libye, où ils espéraient commencer une nouvelle vie. Son frère faisait des études d'ingénieur et lui, une formation pour devenir chef cuisinier, les choses commençaient à avancer. Mais comme l'anarchie s'est installée en Libye, leur monde s'est écroulé une fois de plus.
« La Libye est devenue le royaume des milices », explique Thamer. « N'importe qui peut vous arrêter, demander votre passeport et vous conduire en prison parce que vous êtes syrien. »
Sans autre opportunité, les frères ont pris une décision désespérée. Ils risquaient tout - pas seulement leur vie - ils étaient à des kilomètres de leur propre pays, face à un avenir de plus en plus sombre, et il n'y avait presque plus rien à perdre.
La nuit tombait lorsqu'ils sont arrivés clandestinement sur la rive. Avec des centaines d'autres demandeurs d'asile désespérés, ils sont montés à bord d'un bateau pour la côte sud de l'Italie, en priant que le voyage se déroule en toute sécurité. Ils savaient que le naufrage était possible. Mais ils ne s'attendaient pas à des coups de feu.
Non loin de la côte, des miliciens ont ouvert le feu sur le bateau, prétendant un désaccord sur le paiement entre clans rivaux en Libye. Thamer et Thayer s'accrochaient l'un à l'autre dans le chaos. L'eau a commencé à monter jusqu'à leurs chevilles.
« J'ai vu ma vie défiler devant mes yeux », se souvient Thayer, 25 ans. « J'ai vu mon enfance. J'ai vu des gens que je côtoyais durant ma jeunesse. Des images dont je pensais ne plus me souvenir. »
Au cours des dix heures suivantes, l'eau a rempli le bateau jusqu'à ce qu'il chavire. Les personnes situées à proximité du moteur ont été tuées sur le coup; d'autres sont tombées dans l'eau glacée. Bien que les médias estiment que le navire contenait un peu plus de 200 personnes, Thamer et Thayer prétendent qu'ils étaient beaucoup plus - au moins 450, dont plus de la moitié se sont noyés.
Les frères ont vu périr nombre de leurs compagnons de voyage. « Il y avait une femme enceinte avec son fils », murmure Thayer. « Ils ont disparu. Le cadavre de son fils flottait dans l'eau. » Il ferme les yeux au souvenir de cette image.
Les secours sont arrivés trop tard pour la plupart des passagers. Thamer et Thayer faisaient partie des plus chanceux.
Les 3 et 11 octobre 2013, les naufrages au large des côtes de Lampedusa ont suscité un large débat sur la politique d'asile en Europe, conduisant les autorités italiennes à lancer une opération de recherche et de sauvetage intitulée Mare Nostrum. À ce jour, l'opération a permis de porter secours à plus de 80 000 personnes et elle a sans doute sauvé la vie de beaucoup.
Huit mois plus tard, Thamer et Thayer ont demandé l'asile dans une ville côtière très calme dans l'ouest de la Sicile. Ils ont le sentiment d'attendre que la vie reprenne son cours.
« Nous voulons construire notre vie et avancer », dit Thayer. Lui et son frère prient pour obtenir une nouvelle chance.
Ecrit par Preethi Nallu
Preethi Nallu est une journaliste qui a travaillé au Moyen-Orient, en Asie et en Europe. Elle met l'accent sur les droits humains et les questions de développement, elle écrit pour Al Jazeera, Time, Newsweek et d'autres médias internationaux. Son travail le plus récent pour le HCR met en évidence le sort des réfugiés et des migrants en mer.