Injeras et spätzlis à la carte
Injeras et spätzlis à la carte
Fin juin à Altdorf, chef-lieu du canton d'Uri. La terrasse du restaurant Fomaz affiche complet à l'heure du déjeuner. Les clients profitent des premières chaleurs de l'été. Autour d'eux, une vue dégagée sur les Alpes uranaises. Au menu ce midi, une grande soupière est présentée à chaque table en guise d'entrée. Les clients se servent eux-mêmes. Daniel, un expert-comptable accompagné de trois collègues qui déjeune au Fomaz à chaque fois qu'il se rend à Altdorf, aime cette idée: «Le partage des plats est au cœur du concept». Les valeurs comme la collectivité et la solidarité jouent de fait un rôle central dans ce restaurant, puisque celui-ci emploie des personnes contraintes de fuir leur pays d’origine ayant obtenu l’asile ou une admission provisoire en Suisse.
«Grâce au temps passé ici, la plupart de nos stagiaires trouvent plus facilement un poste ailleurs dans le canton.»
Kurt Strehler de la Croix-Rouge suisse, est à l'origine de la création du restaurant Fomaz.
C'est Kurt Strehler, responsable des opérations de la Croix-Rouge suisse (CRS) en matière d'asile dans le canton, qui a eu l'idée de ce restaurant en 2010. Depuis plus de trente ans, la CRS a un mandat global pour la prise en charge des demandeurs d’asile attribués à Uri et peut ainsi aider les réfugiés à retrouver leurs marques dès leur arrivée en Suisse. «La maison dans laquelle se trouve le Fomaz a été, pendant des décennies, un café incontournable d'Altdorf. Quand les anciens gérants sont partis à la retraite, nous avons voulu y créer un lieu où les réfugiés pourraient travailler mais aussi suivre une formation.» Après sept mois de rénovations et de négociations avec les autorités locales, le Fomaz a ouvert ses portes en janvier 2011. Son nom vient du rhéto-roman et signifie «fringale» ou «faim de loup».
Le restaurant fait désormais partie intégrante du paysage d'Altdorf. Le midi, l’établissement d'une capacité d'environ quarante couverts est généralement complet, attirant principalement des habitués de la région. Il offre en permanence six postes de stagiaires réservés à des réfugiés, en cuisine ou en salle. Ces stages durent en général un an. Le Fomaz propose également une place d'apprenti dans chacun de ces deux domaines. Quatre employés permanents encadrent les réfugiés. «L'objectif est de faciliter leur entrée sur le marché du travail suisse. Grâce au temps passé à nos côtés, la plupart de nos stagiaires trouvent plus facilement un poste dans des restaurants du canton, ou dans d'autres domaines», explique Kurt Strehler. Car ce qu'ils apprennent au Fomaz est valorisé dans tous les corps de métiers. «Dans la restauration, il faut savoir faire du bon travail sous pression. Il est très important de respecter les procédures, d'être attentif à la qualité et de travailler en équipe.» Ainsi, sur les treize stagiaires qui ont travaillé au Fomaz en 2017, plus de la moitié ont trouvé un emploi fixe dans d'autres établissements de la région.
«Ce restaurant m'a permis d'avoir un premier contact avec le monde du travail suisse. Cela m'a beaucoup aidé à m'intégrer et à apprendre la langue.»
Hagos Woldemarian, originaire d'Érythrée, vise aujourd'hui l'obtention d'un CFC.
Après leur stage, certains d'entre eux décident de débuter un apprentissage dans le restaurant. C'est le cas d'Hagos Woldemarian. Cet Érythréen de 35 ans a fait un apprentissage de deux ans au Fomaz afin de devenir cuisinier. Il souhaite poursuivre sur cette voie et vise désormais l’obtention d’un Certificat fédéral de capacité (CFC). «Ce restaurant m'a permis d'avoir un premier contact avec le monde du travail suisse. La ponctualité et le travail d'équipe y sont très importants», se souvient-il. «Lors de mon stage, j'ai travaillé aussi bien en cuisine qu'en salle. J'ai donc beaucoup côtoyé les clients. Cela m'a beaucoup aidé à m'intégrer et à apprendre la langue.» Les réfugiés viennent quant à eux enrichir la palette de saveurs locales, comme le révèle un coup d'œil sur le menu: la cuisine y est riche d'influences étrangères. Chaque stagiaire ou apprenti apporte son grain de sel. Les injeras, des crêpes au levain typiques de la cuisine érythréenne, sont par exemple très appréciées de la clientèle du Fomaz. Elles sont servies avec des lentilles, des épinards, des oignons ou de la viande. «Bien entendu, je maîtrise aussi de nombreuses recettes suisses. J'adore par exemple cuisiner des spätzlis.»
Depuis mai 2017, le projet Fomaz s'est même agrandi grâce à l'ouverture du restaurant Schützenmatt. Il est plus près du centre-ville que le Fomaz et attire ainsi de nombreux touristes. Autre différence: la cuisine y est moins exotique. «Le Schützenmatt offre des postes à durée indéterminée aux anciens stagiaires du Fomaz», explique Sören Wirth, le responsable de l'établissement. Ainsi, il emploie actuellement cinq anciens stagiaires. «La composante socio-pédagogique joue ici un rôle beaucoup moins important qu’au Fomaz. La plupart de nos clients ne savent pas que nous employons des personnes réfugiées en Suisse. Nous pouvons offrir une opportunité à ceux qui se sont distingués par leur sens des responsabilités au Fomaz.»
«En fin de compte, tout le monde est gagnant si ces réfugiés peuvent recouvrer leur autonomie.»
Kurt Strehler souligne les bénéfices mutuels qui découlent du projet.
Mais le succès de ces deux restaurants fait aussi l'objet de critiques de la part des autres restaurateurs de la commune, qui les accusent parfois de concurrence déloyale. «Le Fomaz reçoit une subvention uniquement en relation à l’engagement des stagiaires et apprentis. La majeure partie des revenus est générée par l'entreprise», explique Kurt Strehler. «Pour ce qui est du Schützenmatt, notre objectif est même de devenir complètement autosuffisants dans les années qui viennent.» Pour lui, il s’agit surtout de communiquer ouvertement. «En fin de compte, tout le monde a quelque chose à y gagner si ces réfugiés peuvent recouvrer leur autonomie, et parvenir ainsi à s'intégrer dans leur nouveau pays d’accueil.»