Par Frederik Bordon et Benjamin Mason, Bruxelles
À deux pas du Parlement européen à Bruxelles, dans ce qui était autrefois un immeuble de bureaux ordinaire, se trouve aujourd’hui un centre communautaire dynamique géré par des réfugiés. À l’intérieur, autour d’une table dans un bureau improvisé, des réfugiés discutent d’une série d’initiatives politiques, notamment de l’accès au logement, avec leurs partenaires de la Région de Bruxelles-Capitale et du HCR, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés.
« Nous voulions intégrer et faire entendre la voix des réfugiés dans l’élaboration des politiques et la recherche de solutions, et permettre aux réfugiés de s’entraider. Sans la participation des réfugiés, une grande partie de la solution resterait inexploitée, » explique Ahmad Wali Ahmad Yar, ancien réfugié afghan et chercheur doctorant à la Vrije Universiteit Brussel (VUB).
Ce partenariat entre les autorités locales et les communautés de réfugiés ne s’est pas fait du jour au lendemain. Au contraire, il est le résultat d’un projet pionnier et en constante évolution sur la gouvernance des réfugiés. Le projet a été lancé en 2019 dans le cadre du travail du HCR visant à placer la voix des réfugiés au cœur de toute prise de décision gouvernementale les concernant. Le résultat a été la création du tout premier comité de réfugiés en Belgique, dirigé par des réfugiés LGBTQI+.
Aujourd’hui, il existe 10 comités de réfugiés à Bruxelles, représentant l’Afghanistan, la Syrie, l’Irak, le Burundi, l’Érythrée, la Somalie et l’Ukraine, ainsi que le ‘Rainbow Refugee Committee’ et le ‘Women Refugee Committee’. Ahmad Wali fait partie du projet depuis le tout début et préside désormais le ‘Umbrella Refugee Committee’, le comité de coordination qui rassemble tous les comités et les représente dans les discussions avec les autorités locales.
Graduellement, les comités se sont engagés directement auprès des autorités locales sur la question de l’intégration des réfugiés. Les réfugiés ont été activement impliqués dans les discussions et les décisions relatives à l’accès à l’éducation, aux services de santé, au travail et au logement. Ainsi, la Région de Bruxelles-Capitale a pu mieux identifier leurs besoins et travailler avec les communautés de réfugiés pour trouver et mettre en place des solutions afin de surmonter les obstacles qu’ils peuvent rencontrer dans leur pays d’accueil.
« Lorsque le COVID-19 a éclaté, nous avons, en tant que comités de réfugiés, mené des enquêtes pour identifier les problèmes et les priorités des différentes communautés. Il a été très intéressant de constater que les problèmes et les priorités de chaque communauté de réfugiés étaient vraiment différents », explique Ahmad Wali.
En 2022, s’appuyant sur l’expérience des comités de réfugiés déjà existants, le comité des réfugiés ‘Ukrainian Voices’ a été créé lorsque les réfugiés fuyant la guerre en Ukraine arrivaient à Bruxelles. Alina Kokhanko, arrivée à Bruxelles avec sa mère et sa fille peu après le début de la guerre en Ukraine, a très vite pris les devants pour soutenir la communauté des réfugiés ukrainiens et préside depuis lors le comité des réfugiés ukrainiens « Ukrainian Voices ».
« Pour moi, il était important de voir que les gens pouvaient retrouver le bonheur quand ils commencaient à comprendre comment s’intégrer et construire une nouvelle vie normale ici à Bruxelles « , explique Alina.
Suite à l’arrivée de réfugiés en provenance d’Ukraine, la Région de Bruxelles-Capitale a désigné Pierre Verbeeren comme Coordinateur Ukraine chargé d’élaborer une stratégie d’accueil et d’intégration des réfugiés ukrainiens à Bruxelles. Dans le cadre de cette stratégie, il a formalisé la relation entre le comité des réfugiés ‘Ukrainian Voices’ et la Région de Bruxelles-Capitale, afin d’inclure les réfugiés dans la recherche de solutions.
« Très vite, j’ai conclu qu’il y avait moyen d’utiliser les ressources de la communauté ukrainienne pour rendre l’intégration plus efficace. Donc la stratégie que j’ai proposée au gouvernement était assez simple : rien sur les Ukrainiens sans les Ukrainiens, les Ukrainiens à tous les niveaux de décision, mais aussi les Ukrainiens à la participation opérationnelle », explique Pierre.
Dès le départ, l’étroite collaboration entre les autorités locales, le comité des réfugiés ‘Ukrainian Voices’ et le HCR a abouti à des résultats concrets, avec des retombées positives pour les réfugiés en provenance d’Ukraine et d’autres régions du monde.
« Au niveau opérationnel, l’impact sur l’intégration des réfugiés a été particulièrement transformateur », affirme Alphonse Munyaneza, Senior Community-Based Protection Officer du HCR. « Sept réfugiés ukrainiens sont désormais employés en tant que fonctionnaires et travaillent en étroite collaboration avec les ministres du Gouvernement régional et les hauts fonctionnaires responsables de l’intégration. Ils ont donc une influence directe sur les décisions relatives à la politique des réfugiés ».
« Au niveau opérationnel, l’impact sur l’intégration des réfugiés a été particulièrement transformateur. »
Les réfugiés gèrent aujourd’hui cinq hôtels hébergeant environ 300 résidents et un centre communautaire, qui a soutenu environ 6 000 réfugiés en 2022. Dans ce centre communautaire, les réfugiés ont non seulement accès aux informations et aux services de l’État et du secteur privé, mais ils disposent également d’un espace pour se réunir, apprendre des langues, travailler et faire du sport. En outre, c’est un lieu où les enfants peuvent à nouveau se comporter comme tels.
« C’est parfois très difficile pour nos enfants. Ici, ils sont soutenus, c‘est un endroit où ils peuvent parler entre eux, suivre des cours, jouer et passer du temps ensemble », explique Alina.
Le travail des comités de réfugiés complète les politiques et pratiques nationales, régionales et locales. Ainsi, les comités contribuent à faciliter certaines procédures réparties entre diverses administrations. Le travail de la Région de Bruxelles-Capitale est un excellent exemple de la manière dont les réfugiés, avec le soutien des autorités locales et du HCR, peuvent jouer un rôle important dans l’élaboration des politiques qui les concernent directement et dans la recherche de solutions.
Cette approche inclusive bénéficie à la fois aux réfugiés et aux communautés d’accueil. Les réfugiés ont la possibilité de prendre leur intégration en main et de faire entendre leur voix, afin que les gouvernements puissent mieux adapter les solutions à leurs besoins.
« J’espère qu’à l’avenir, nous pourrons étendre cette initiative à d’autres pays européens et à d’autres régions du monde, car c’est ainsi que nous pourrons résoudre les problèmes de manière fondamentale » conclut Ahmad Wali.
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