CHAPITRE 4 :

Faire équipe avec la technologie

Masha, réfugiée ukrainienne de 9 ans, apprend au travers d’un projet soutenu par la société informatique EPAM Systems et le HCR à Minsk, en Biélorussie. © HCR/Egor Dubrovsky

Le développement rapide de la technologie nous offre de vastes opportunités pour accroître l’éducation aux réfugiés.

L’accès numérique et la connectivité sont extrêmement importants. Cela peut, entre autres, les aider à surmonter leur sentiment d’isolement, à trouver le soutien de leurs pairs et rester en contact avec leur famille, ainsi qu’à accéder à des opportunités d’apprentissage depuis d’autres régions du monde. Un large éventail d’apprentissage en ligne adapté aux réfugiés est apparu, allant des cours en ligne, des conférences et jusqu’à des contenus sur mesure pour des programmes diplômants complets.

L’accès à l’information en soi ne signifie pas une scolarisation. Les taux d’abandon des cours en ligne sont extrêmement élevés, soit parce que les supports ne sont pas pertinents, soit parce que les étudiants ont du mal à rester motivés lorsqu’ils suivent un cours uniquement via un ordinateur. Cela souligne l’importance du soutien scolaire en face-à-face, composante de ce que l’on appelle les programmes d’apprentissage mixte. Dans les mains d’un enseignant bien entraîné, la technologie est un outil puissant pour améliorer l’environnement d’apprentissage, dont le but est de compléter l’enseignement et non de le remplacer.

Rita Butman (à gauche), réfugiée syrienne âgée de 31 ans, est instructrice à l’école ReDI d’intégration numérique à Berlin, en Allemagne. Des cours de codage gratuits permettent aux femmes réfugiées de perfectionner leurs compétences en informatique. © HCR/Gordon Welters

L’apprentissage connecté au niveau tertiaire a connu un développement important ; il est devenu l’un des exemples les plus probants de la manière dont la technologie et la pédagogie peuvent se combiner pour développer l’apprentissage de manière significative. Les cours d’apprentissage connecté rassemblent les étudiants dans un centre pour apprendre ensemble au moyen du contenu en ligne. Un soutien pédagogique pour compléter l’enseignement en face-à-face permet d’assurer l’engagement des apprenants à distance dans leur formation.

Les conférences peuvent être dispensées à distance, mais sont également assurées par des universitaires et des membres du personnel en visite sur place. Sans un campus commun, les étudiants peuvent néanmoins créer leurs propres communautés, à la fois sur site et avec leurs pairs sur d’autres campus, et s’impliquer ainsi dans des projets de groupe aussi bien que dans des travaux individuels plus conventionnels.

Abdul-Aziz Jawad Al-Rubaye (à gauche), âgé de 19 ans, et Maral Ara Janoian, âgée de 18 ans, tous deux réfugiés à Amman, en Jordanie, suivent des cours à distance en anglais et en informatique au Service Jésuite des Réfugiés. © HCR/Antoine Tardy

Une passerelle vers le monde

Le programme Instant Network Schools, un projet commun de la Fondation Vodafone et du HCR, vise à intégrer la technologie dans les salles de classe en fournissant formation, énergie solaire, connectivité et tablettes avec du contenu hors ligne. Le programme place les réfugiés et leurs communautés d’accueil au centre lors d’un processus de design de trois jours qui aboutit à la conception d’une salle de classe sur mesure. Ensemble, ils dessinent à quoi ressemblera leur classe idéale et comment elle sera utilisée. Alors que les priorités des enseignants concernent plutôt les ressources pédagogiques, les étudiants réfugiés, comme chaque adolescent dans le monde, semblent donner priorité à l’accès à Internet.

Le programme est également une passerelle vers le monde par le biais de l’initiative Leçon de Leadership, avec des chefs de grandes entreprises tels que Paul Polman (PDG d’Unilever) et des enseignants spécialisés comme Lisa Milroy (Chef du département du cours de peinture à Slade School of Fine Art). En dehors des heures d’école, certaines de ces salles de classe se transforment en des centres communautaires, ouvrant des possibilités d’apprentissage à un groupe beaucoup plus large. Depuis son lancement en 2014, le projet Instant Network Schools a bien fonctionné en République démocratique du Congo, au Kenya, au Soudan du Sud et en Tanzanie et a bénéficié à 62 000 jeunes réfugiés et à plus de 850 enseignants.

Étudiants réfugiés dans le camp de réfugiés de Kakuma utilisant une tablette du programme Instant Network Schools, une collaboration entre le HCR et la Fondation Vodafone pour améliorer la qualité de l’éducation dans les zones reculées grâce à la technologie mobile. Le kit fourni comprend des tablettes, ordinateurs portables, projecteurs, haut-parleurs, batteries à énergie solaire, un réseau satellite ou mobile et une série de contenus et de ressources d’apprentissage en ligne. © HCR/Catherine Wachiaya

La voie à suivre

L’apprentissage connecté permet de suivre un enseignement supérieur avec un très bon rapport coût-efficacité, sans que les étudiants aient à se déplacer (avec toutes les dépenses supplémentaires que cela implique). Depuis 2012, plus de 7 000 étudiants réfugiés et membres de la communauté d’accueil, supportés par un consortium de 16 partenaires comprenant des universités, des ONG, le HCR et des fondations ont participé à des cours en apprentissage connecté dans 12 pays différents, dont la France, l’Allemagne, l’Afghanistan, la Thaïlande, le Malawi et l’Irak. Le groupe Connected Learning in Crisis est co-dirigé par le HCR et l’Université de Genève, tirant parti d’un vaste réseau pour une expansion innovante de l’enseignement supérieur à destination des jeunes réfugiés.

Ce qui pourrait maintenant changer la donne consisterait à reproduire, développer et agrandir les initiatives d’apprentissage connecté, maintenant que nous avons appris des start-ups. Pour y parvenir, il est essentiel que davantage d’entreprises, d’entrepreneurs et de spécialistes de l’éducation rejoignent le HCR pour que l’apprentissage numérique soit accessible aux réfugiés du monde entier.

C’est pourquoi, en résumé, on peut dire que soutenir l’éducation des réfugiés est l’affaire de tous.

ÉTUDE DE CAS

Solutions intelligentes

Les réfugiés développent leurs compétences technologiques pour trouver des réponses aux problèmes de la vie quotidienne.

Henriette Kiwele, réfugiée de la République démocratique du Congo âgée de 21 ans, construit une application Android sur l’App Factory du camp de réfugiés de Dzaleka, au Malawi. L’App Factory a ouvert ses portes en 2017 dans le cadre du projet du HCR Connectivity for Refugees avec Microsoft 4Afrika. © HCR/Tina Ghelli

Rémy Gakwaya a fui son Burundi natal à l’âge de 15 ans, après que ses parents aient été tués dans des affrontements ethniques. Il a rejoint  le camp de réfugiés de Dzaleka au Malawi en 2008. Dix ans plus tard, il enseigne maintenant le codage et le développement  d’applications à 20 étudiants.

Tout a commencé avec des cours de programmation informatique financés par le Service jésuite pour les réfugiés au Centre de formation jésuite mondial établi dans le camp. C’est là que Rémy a appris les langages de programmation informatique tels que HTML, Java et Python.

« J’adore la programmation », dit Rémy, aujourd’hui âgé de 23 ans. « C’est inspirant de voir quelque chose que j’ai créé par moi-même. Ici, au camp de réfugiés, on n’est pas libre de faire ce qu’on veut. On ne peut pas travailler en dehors du camp. Par contre, si vous connaissez la programmation, vous pouvez vous en servir dans le monde entier ».

En 2016, Rémy a fondé TakeNoLab, une organisation communautaire qui lui permet de partager sa passion pour les langages de programmation avec les jeunes réfugiés du camp.

Rémy a commencé à apprendre à six étudiants comment se servir d’une souris et d’un clavier. N’ayant pas d’ordinateurs, il a dû imprimer des images de clavier que les étudiants ramenaient chez eux pour s’entraîner à la frappe. Il leur a ensuite expliqué les théories du codage informatique plutôt que de les montrer à l’écran. Du fait des fréquentes coupures d’électricité, les cours se tenaient souvent dans le noir.

Dans le cadre d’un projet pilote mené avec le HCR, Microsoft 4Afrika a installé la connectivité Wifi dans l’ensemble du camp avec l’aide de fournisseurs d’accès internet locaux pour une période de 12 mois. Mille smartphones, 40 ordinateurs portables et 10 tablettes ont également été fournis pour encourager le potentiel des étudiants.

En 2017, les étudiants de Rémy ont pu travailler pour la première fois avec une connexion internet stable dans des installations dignes de ce nom. Recrutés sur la base d’un test d’aptitude très compétitif, 31 étudiants ont suivi les cours de formation offerts par The AppFactory, une initiative Microsoft 4Afrika qui vise à développer les compétences numériques et les aptitudes au codage par les jeunes.

Les développeurs en herbe ont passé jusqu’à six mois à travailler avec des techniciens logiciels de Microsoft pour apprendre la conception et le codage d’applications permettant de résoudre les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Tout le succès de The AppFactory tient à la passion partagée pour le développement logiciel, la programmation, le travail d’équipe et l’autonomisation.

La première application produite s’appelle Habari. Elle aide les nouveaux venus à trouver les services disponibles dans le camp et leur enseigne les rudiments de la langue anglaise ou du chichewa, la langue nationale du Malawi. Une autre application, appelée Smart Mapokezi, ce qui signifie « distribution » en swahili permet d’envoyer aux réfugiés des SMS sur les arrivages quotidiens de nourriture et autres articles.

« Je veux utiliser la technologie pour résoudre les problèmes locaux que les grandes compagnies de logiciels n’ont pas le temps de prendre en charge », explique Rémy.

Même si le HCR continue de financer la connectivité pour The AppFactory au-delà du projet pilote, les installations restent limitées pour les étudiants déjà formés. Un soutien supplémentaire est aujourd’hui nécessaire pour que les diplômés du projet puissent tirer le meilleur parti de leurs nouvelles compétences. Sur l’ensemble des étudiants, la plupart sont des réfugiés et l’on compte cinq jeunes femmes sur les 20 étudiants actuels.

Rien ne saurait décourager Rémy. Il a récemment créé un club informatique appelé le ‘Code smart des filles’ pour encourager les femmes et les filles réfugiées à rejoindre la révolution technologique.

Henriette Kiwele, 21 ans, et ses sœurs Claudine, 18 ans, et Joséphine, 17 ans, ont échappé aux violences en République démocratique du Congo en 2013. À leur arrivée au camp de réfugiés de Dzaleka, elles ne désiraient rien d’autre qu’étudier.

Quand Henriette a entendu dire que TakeNolab recherchait des filles désireuses d’apprendre le codage, elle est allée se présenter immédiatement avec ses sœurs.

« Il y avait surtout des garçons dans le groupe, et on nous a demandé si on serait capable de nous maintenir à leur niveau. On a répondu que oui, évidemment, on peut », raconte Henriette. « Quand je pense à l’avenir, je me dis qu’un jour je pourrai avoir une carrière grâce aux connaissances que j’ai acquises ici à The AppFactory », ajoute-t-elle.

ÉTUDE DE CAS

Le pouvoir de la parole

Les réfugiés syriens enseignent l’arabe à des étudiants du monde entier grâce à une start-up pour l’apprentissage des langues.

Shadi, réfugié syrien âgé de 26 ans, à Beyrouth, au Liban, est l’un des 100 et quelques réfugiés employés par NaTakallam de par le monde. Il s’agit d’un site Web qui met en relation des réfugiés et des personnes souhaitant apprendre une langue en ligne. © HCR/Diego Ibarra Sánchez

Dans un petit appartement sur les toits de Beyrouth, Shadi est assis devant son ordinateur portable et converse en arabe avec une jeune femme à Londres. « Comment étaient tes vacances ? », demande-t-il avec un sourire. « C’était super ! » Répond Megan en arabe, avec confiance.

Megan est une italienne âgée de 25 ans qui travaille en Angleterre. Shadi est un réfugié syrien au Liban âgé de 26 ans. Ces dernières semaines, ils se sont donné rendez-vous sur Skype pour travailler l’arabe de Megan. Ils se sont rencontrés par le biais de NaTakallam (« We Speak »), un site Web qui fait appel à des réfugiés en tant que professeurs de langues et traducteurs indépendants.

Shadi a fui la Syrie en 2016, interrompant ainsi ses études supérieures en beaux-arts. Mais au Liban il a dû se démener pour joindre les deux bouts. NaTakallam lui a offert une chance d’utiliser ses compétences linguistiques et de gagner une petite somme chaque mois. Il enseigne maintenant l’arabe en ligne à Megan ainsi qu’à trois autres étudiants.

Le service a été lancé par Aline Sara, une entrepreneuse libano-américaine qui y a vu un moyen de puiser dans les talents des personnes vivant en exil. « Les réfugiés sont des personnes qui ont quelque chose à offrir », dit-elle. « Des gens très instruits comme vous et moi que l’on a privé de la possibilité de continuer leurs vies. »

Liban : Les réfugiés enseignent l’arabe via une plateforme en ligne. Photo © HCR/Diego Ibarra Sánchez

L’idée lui est venue pendant l’été 2014, alors qu’elle venait de terminer son Master en affaires internationales à l’Université de Columbia à New York. Cherchant un moyen abordable de pratiquer son arabe, elle en est arrivée à une méthode pour mettre en lien les réfugiés avec les personnes souhaitant apprendre une langue en ligne.

Quatre ans plus tard, la start-up emploie plus de 100 réfugiés dans le monde, dont des Syriens, des Irakiens et des Afghans. Plus de 3 000 utilisateurs dans 65 pays ont souscrit à ses services d’apprentissage linguistique et de traduction.

Mais NaTakallam est plus qu’une entreprise. C’est aussi une communauté au sein de laquelle les utilisateurs peuvent nouer des amitiés et bénéficier d’échanges interculturels.

« NaTakallam est une question de découverte », explique Shadi. « Découvrir comment les gens sont dans d’autres pays et comment ils pensent. » Certains de ses étudiants sont même venus lui rendre visite à Beyrouth.

Megan apprécie cela également. « Nous avons cette idée que nous avons construite de qui et de ce qu’est un réfugié », dit-elle, « pour finalement nous rendre compte que c’est une personne exactement comme nous, mais dans une partie du monde complètement différente. »

Après avoir raccroché, Shadi commence à se préparer pour un appel avec un étudiant aux États-Unis. « Nous les Syriens, nous avons été isolés du reste du monde pendant la guerre », constate-t-il. « Maintenant, je me sens plus connecté que jamais. »