Questions/Réponses : Les immenses défis rencontrés par les travailleurs humanitaires en Somalie
Questions/Réponses : Les immenses défis rencontrés par les travailleurs humanitaires en Somalie
NAIROBI, Kenya, 12 septembre (UNHCR) - Le 21 juin, Hassan Mohammed Ali a été l'une des victimes de la vague d'enlèvements visant des travailleurs humanitaires à Mogadiscio, la capitale de la Somalie. L'agence des Nations Unies pour les réfugiés a été profondément préoccupée par cet enlèvement - Ali, plus connu sous le nom de Keynaan, était le Directeur du bureau de Mogadiscio, dont le travail est vital pour aider un grand nombre de déplacés parmi des centaines de milliers de personnes déracinées par les derniers regains de tension, dans le cadre du conflit qui sévit de longue date en Somalie. D'autres travailleurs humanitaires ont été tués par leurs ravisseurs. Le HCR a toujours gardé espoir pour Keynaan. Le 27 août, ce Somalien courageux, intelligent et altruiste a été relâché et transporté par avion vers Nairobi, où il reçoit des soins médicaux et se repose. Il s'est entretenu avec Catherine Weibel, chargée d'information publique du HCR.
Comment vous sentez-vous après deux mois de captivité ?
Je suis extrêmement fatigué mais en bonne santé. J'ai dit chaque jour à mes ravisseurs que j'étais un travailleur humanitaire qui souhaite seulement aider à soulager la souffrance de civils innocents de manière impartiale. Ce qui m'a grandement aidé, cela a été quand nous avons appris que des milliers de personnes déplacées manifestaient dans et autour de Mogadiscio, en appelant à ma libération. Quand j'ai finalement été libéré, une foule compacte de déplacés, qui avaient entendu les nouvelles sur une radio locale, s'est rassemblée autour de l'enceinte des Nations Unies pour m'encourager. Je les ai entendus toute la nuit. Cela m'a fait du bien, car j'ai réalisé qu'ils comprenaient à quel point j'avais travaillé toutes ces années pour défendre leurs droits.
Quand avez-vous commencé au HCR ?
Je travaille à l'agence des Nations Unies pour les réfugiés depuis 16 ans. Avant d'arriver, en 1993, je dirigeais un service au ministère somalien du travail et des affaires sociales. Quand le gouvernement [du Président Said Barre] a été renversé en 1991, j'ai perdu mon travail. Parfois, je regarde des photos montrant mes collègues et moi participant à des conférences internationales juste avant le début du chaos. Presque tous ont quitté la Somalie et ils vivent maintenant à l'étranger. Je suis le seul qui soit resté vivre dans notre pays. Quand j'étais étudiant, j'ai passé trois ans aux Etats-Unis et j'ai aussi étudié en Iraq. Je pensais qu'il était impossible de faire vivre une grande famille à l'étranger, alors j'ai décidé de rester en Somalie. Je pensais que je pourrais y offrir une vie meilleure à ma femme et à nos neuf enfants.
Parlez-nous de la situation à Mogadiscio durant ces 16 ans ?
Quelques mois après que j'aie rejoint le HCR en 1993, les violences ont éclaté et tous les employés internationaux ont dû être évacués. Je me suis retrouvé responsable du bureau de Mogadiscio, j'ai dû m'occuper aussi bien de tâches administratives que d'apporter un soutien aux réfugiés et aux déplacés qui, à ce moment-là, étaient venus à Mogadiscio en quête de sécurité. En 2000, les gens ont commencé à espérer un avenir meilleur et nous avons aidé 6 000 réfugiés somaliens à revenir depuis Djibouti et à s'installer à Mogadiscio. Malheureusement, nos espoirs ont été de courte durée et, peu après, les gens ont recommencé à quitter la capitale. En février 2007, la violence a embrasé la ville de Mogadiscio, une violence qui a poussé 850 000 personnes à fuir leurs maisons.
Comment avez-vous continué à travailler dans un environnement si instable ?
J'avais besoin de mon travail pour pouvoir subvenir aux besoins de ma famille. Et, en plus, j'étais heureux à chaque fois que le HCR livrait de l'aide aux réfugiés ou aux déplacés, même si elle était réduite, car les bénéficiaires en avaient tout simplement besoin. Vous ne pouvez pas imaginer combien les gens peuvent être reconnaissants quand ils reçoivent une simple bâche en plastique, car cela signifie que leur famille pourra s'abriter de la pluie et que leurs enfants ne tomberont pas malades.
L'année dernière, le HCR a donné des articles non alimentaires comme des bâches en plastique, des nattes de couchage ou des jerrycans à 100 000 déplacés se trouvant autour d'Afgooye [une ville située à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Mogadiscio]. Cette année, j'ai supervisé la distribution d'aide pour 40 000 personnes. Nous allions procéder à une seconde distribution pour environ 40 000 autres déplacés, lorsque j'ai été enlevé. Même s'il n'y a jamais assez d'aide pour toutes les personnes qui en ont besoin, vous améliorez tout de même leur vie.
N'êtes-vous pas devenu vous-même un déplacé l'année dernière ?
En mars 2007, des combats ont eu lieu si près de ma maison que les murs étaient couverts d'impacts de balles. J'ai dû aider les membres de ma famille à fuir la capitale, juste avec les vêtements qu'ils portaient ce jour-là - nous n'avons pu prendre aucune de nos possessions avec nous. Nous étions mieux lotis que de nombreux autres déplacés, car nous avions la chance d'être propriétaires d'une petite pièce de terrain près d'Afgooye. Mes enfants avaient un toit, alors que de nombreux enfants déplacés devaient dormir à l'extérieur, en espérant qu'il ne pleuve pas la nuit.
Etait-ce difficile de voir tant de vos compatriotes devenus sans abri ?
Je ressens de la pitié à chaque fois que je me rends dans une installation de déplacés à Mogadiscio, car nombre de ces personnes sont complètement désespérées. Elles sont si nombreuses que nous n'avons pas les moyens de donner de l'aide à chacune d'entre elles. Habituellement, nous demandons aux chefs de clan des communautés déplacées de nous aider à identifier les plus vulnérables des personnes déplacées, pour leur distribuer de l'aide en priorité. Nous savons que toutes les autres souffrent elles aussi, mais nous ne pouvons que prier pour organiser une nouvelle distribution pour eux.
Ces derniers mois, j'ai rencontré de nombreux déplacés qui avaient perdu des proches pris au milieu de tirs croisés et de bombardements aveugles. Je ne pourrai oublier cette fillette âgée de neuf ans qui est élevée par ses voisins. Elle était le seul membre de la famille à avoir survécu quand un obus de mortier est tombé sur leur maison. Je me souviens aussi de cet homme qui avait quitté sa maison pour aller acheter une pile pour sa lampe torche. Quand il est revenu, sa maison avait explosé - sa femme et leurs cinq enfants avaient été tués.
Y a-t-il un projet en Somalie qui vous enthousiasme particulièrement ?
Entre 2002 et 2004, le HCR a rénové des canaux d'irrigation et a construit une école dans une région rurale située à quelque 130 kilomètres de Mogadiscio, où des déplacés habitaient. C'était extraordinaire de voir revivre une région entière, les gens pouvaient aller chercher de l'eau et cultiver enfin leurs champs.