Allocution de M. Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, en Côte d'Ivoire à l'occasion de la cessation du statut de réfugié pour les réfugiés ivoiriens
Allocution de M. Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, en Côte d'Ivoire à l'occasion de la cessation du statut de réfugié pour les réfugiés ivoiriens
Monsieur le Président de la République, Monsieur Alassane Ouattara, Monsieur le Vice-Président, Madame, chère amie, la Ministre d'Etat, Mesdames et Messieurs, membres du gouvernement, élus, ambassadeurs, partenaires, collègues, chers invités,
Monsieur le Président, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui, d'avoir l'opportunité de participer à cet événement historique : la fin de l'exil des réfugiés ivoiriens, et bientôt la mise en œuvre, on l'a entendu plusieurs fois, de ce qu'on appelle en jargon juridique : la cessation - les clauses de cessation du statut de réfugié pour les réfugiés ivoiriens mises en œuvre par les pays d'asile dans la région.
Monsieur le Président, comme je vous l'ai déjà mentionné tout à l'heure, samedi, nous avons vécu des moments de grande émotion.
Nous avons, avec certains de mes collègues et avec le Coordonnateur résident des Nations Unies, accompagné un des derniers convois organisés. Il y avait à peu près 250 citoyens de la Côte d'Ivoire qui avaient été réfugiés au Libéria pendant des années. On est allés jusqu'au Libéria, à la frontière.
On a traversé la petite rivière qui sépare les deux pays et on est allés les chercher pour les raccompagner en Côte d'Ivoire. Au moment de débarquer du petit bac qui traverse la rivière, il y a eu une cérémonie qui m'a beaucoup touché.
Les fonctionnaires libériens, qui nous avaient aussi accompagnés, ont remis aux fonctionnaires ivoiriens les copies des certificats de naissance des enfants ivoiriens qui étaient nés au Libéria, et les certificats d'études accomplies par les réfugiés ivoiriens au Libéria.
Vous savez, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, ça a été un moment de grande émotion pour moi personnellement, parce que c'est un moment qui résume tout ce que nous souhaitons au HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, tout ce que nous souhaitons pour tous les réfugiés dans le monde : un retour volontaire dans la paix et dans la joie, la fin d'un exil pendant lequel, cependant, les réfugiés ont été bien assistés et bien protégés par les pays d'asile.
Je veux donc vous rendre hommage, Monsieur le Président, parce que vous avez proposé vous-même, je m'en souviens très bien, d'entamer ce processus il y a quelques années, un processus qui a été rendu possible par de multiples facteurs, essentiellement ici en Côte d'Ivoire : le rétablissement de la paix et de la stabilité, les efforts de réconciliation nationale et le développement économique que vous avez guidés.
Je veux rendre hommage aussi aux pays de la région qui sont représentés ici. Ils ont joué un rôle indispensable dans l'accueil de plus de 300 000 réfugiés ivoiriens : Le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Togo… dont la coopération a été renforcée, on l'a entendu, par cette feuille de route qui a été établie ici à la conférence ministérielle de septembre dernier.
Entre-temps, pendant que tout cela se faisait, plus de 90 % des réfugiés dans la région sont déjà rentrés et il y en a qui rentrent encore parce qu'on va continuer les opérations de rapatriement pendant quelques semaines encore. Ce qui a été décidé, on l'a déjà évoqué, est très important pour ceux, très peu, qui ne souhaitent pas rentrer pour des raisons personnelles : des mesures de régularisation sont prévues.
Monsieur le Président, nous célébrons ce succès de la Côte d'Ivoire dans un contexte global très difficile. Les conflits s'accumulent littéralement et forcent des millions de personnes à fuir. Et si ce n'est pas les conflits, ce sont les violences, la violence dans toutes ses formes, les persécutions, les discriminations, tout cela compliqué par la crise climatique, l'insécurité alimentaire et d'autres fléaux. Le nombre de réfugiés et déplacés dans le monde a atteint 100 millions il y a quelques semaines, pour la première fois depuis qu'on compte ces personnes - un chiffre qui ne fait que croître et que, bien sûr, la crise en Ukraine a propulsé davantage.
C'est pour cela que j'ai proposé d'être ici à Abidjan, aujourd'hui, en ce jour de la Journée mondiale des réfugiés, pour marquer la différence. La différence que vous, Monsieur le Président, que le Gouvernement et le peuple ivoirien, et les gouvernements et les peuples de l'Afrique de l'Ouest ont su établir. Une différence qui est un exemple de recherche, de stabilité, de volonté politique capable de résoudre l'exil ivoirien.
Je suis ici, Monsieur le Président, pour dire haut et fort que voilà un exemple, on l’espère, que d'autres vont suivre. Voilà la preuve concrète que ce chiffre terrible de 100 millions, et tout ce que ce chiffre représente, n'est pas inévitable. Et qu'on peut commencer à le faire décroître, pour que les réfugiés puissent rentrer chez eux et participer au développement de leur pays.
Vos défis, Monsieur le Président, membres du gouvernement, restent considérables dans ce monde instable, affaibli par la pandémie et la guerre en Ukraine, gravissime pour les Ukrainiens mais avec des conséquences qu'on connaît dans le monde tout entier.
Cette crise risque aussi malheureusement de nous faire négliger d'autres crises très graves qui, elles aussi, produisent des déplacements. Et vous en avez la preuve, même ici, vous qui accueillez, on en a parlé, des réfugiés du Burkina Faso. Et je vous remercie d'ailleurs d'avoir approuvé cette loi d'asile tellement importante.
Les défis aussi vont être, sur une plus petite échelle, ceux de vos frères et sœurs rapatriés. Leur réintégration sera longue et parfois complexe et elle aura besoin d'attention et de ressources pour être durable. Mais j’ai entièrement confiance en la détermination et la volonté de succès du gouvernement ivoirien.
Je cite, Monsieur le Président, une femme rapatriée avec laquelle j'ai parlé avant-hier et qui m'a dit, je cite : « Rentrer après 20 ans, ce n’est pas facile, mais c'est moins dur car je suis chez moi. » Voilà pourquoi je suis ici aujourd'hui, pour dire à tous que les solutions sont possibles, pour dire aux exilés qui souffrent encore à travers le monde de ne pas lâcher, de ne pas perdre l'espoir.
Merci, Président Ouattara, d'avoir lancé ce challenge. Merci de l'avoir fait avec beaucoup de vision lors de notre première rencontre à Addis Abeba, si je me souviens bien, il y a quelques années.
Merci aux pays de la région pour votre rôle humanitaire et pragmatique en même temps. Merci aux réfugiés eux-mêmes et elles-mêmes, et bien sûr aux rapatriés, aux ex-réfugiés pour leur résilience et leur persévérance tout au long de leur exil, qui leur ont permis de se préparer à ce jour de retour.
Merci à mes collègues, à nos partenaires et à nos généreux bailleurs de fonds, tous indispensables à ce succès. Nous avons écrit, si j'ose dire, une petite page d'histoire tous ensemble et il faut souhaiter, en cette Journée mondiale des réfugiés, que d'autres suivent pour que tous les réfugiés puissent cesser de l'être.
Je vous souhaite une joyeuse journée mondiale des réfugiés.