Des survivantes de violences sexuelles dans le nord du Mozambique se soutiennent mutuellement pour se reconstruire
Des survivantes de violences sexuelles dans le nord du Mozambique se soutiennent mutuellement pour se reconstruire
« Il est très encourageant de voir que la résilience de ces femmes provient de la solidarité dont elles font preuve entre elles », souligne Josefina Cheia, chargée de la lutte contre la violence basée sur le genre au HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Elle a elle-même été déplacée lors d'une attaque dans sa ville natale, il y a quatre ans.
Depuis 2017, des groupes armés non étatiques opérant dans la province de Cabo Delgado mènent des incursions et incendient des villages, envahissent des villes, volent des biens et du bétail, tuent des civils, recrutent de force des garçons et des jeunes hommes, et enlèvent et violent des femmes et des filles.
Selon les Nations Unies, une femme sur trois dans le monde a subi des violences basées sur le genre. Dans les situations de conflit, comme dans la région de Cabo Delgado, ce chiffre serait bien plus élevé. « Cette crise a un impact considérable sur les femmes », explique Josefina, ajoutant que la partie la plus difficile de son travail est de recueillir les récits des survivantes.
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« Je veux vivre en sécurité »
Maria avait 27 ans lorsqu'un groupe armé non étatique l'a enlevée, ainsi que d'autres femmes de son village, et les a emmenées dans un camp militaire où elles ont été contraintes de devenir des « épouses ». Même des fillettes de 10 ans ont été forcées à se marier, précise-t-elle.
Maria a subi des violences sexuelles et des passages à tabac. Elle a été contrainte d'effectuer des tâches domestiques pendant des mois, jusqu'à ce que son « mari » se lasse d'elle et la vende à un autre combattant pour 50 meticals (moins d'un dollar). « J'ai ensuite été vendue une deuxième fois à un autre homme », raconte-t-elle.
Elle retrouve régulièrement d'autres femmes dans un centre de protection communautaire. Elle y a suivi une formation sur les moyens de subsistance et le commerce, organisée par Médecins d'Afrique CUAMM, un partenaire du HCR, qui lui a permis de créer un petit commerce de poisson séché et de gâteaux faits maison.
Ayant retrouvé son mari, Maria a récemment donné naissance à leur deuxième enfant et la famille rêve de retourner dans son village lorsque le conflit prendra fin. « Chez nous, c'est chez nous », dit-elle. « Je veux pouvoir vivre en toute sécurité avec ma famille ».
« Je sais que j'ai beaucoup de chance »
Tausi, 33 ans, s'est fait réveiller à 5 heures du matin par des cris, puis des bruits de pas, des voix et des coups sur sa porte. Elle a attrapé sa fille de 9 ans et s'est faufilée dehors pour se cacher sous un palmier d'où elle pouvait voir d'épais panaches de fumée s'élever au-dessus du quartier, alors qu'un groupe armé lançait une offensive meurtrière pour prendre le contrôle de sa ville.
Cinq hommes ont rapidement trouvé Tausi et sa fille et les ont emmenées avec d'autres femmes et enfants. « J'ai ressenti de la panique, de la tristesse et de la douleur lorsqu'ils nous ont enlevées. Je ne pensais qu'à une chose, faire en sorte que nous survivions toutes les deux », explique Tausi.
Elles ont été emmenées dans une petite base à l'extérieur de la ville, où Tausi allait passer deux ans. « Pendant cette période, j'ai été violée à plusieurs reprises », confie-t-elle.
Comme Maria, Tausi a été forcée de devenir une « épouse ». « Je suis devenue sa domestique, son esclave sexuelle. Les femmes qui refusaient étaient affamées, torturées ou tuées. Nous avons subi des choses qu'aucun être humain ne devrait jamais connaître », raconte Tausi.
Elle ne cessait de planifier son évasion et lorsque l'occasion s'est présentée, elle l'a saisie.
Tausi est rentrée chez elle et a retrouvé son mari. Mais le traumatisme de ses années de captivité demeure, d'autant plus fort que les auteurs de ces crimes n'ont pas eu à rendre compte de leurs actes.
Nombre d'entre eux ont simplement repris leur ancienne vie et Tausi les croise parfois en ville. « Nous les voyons au marché, en train d'acheter du poisson », dit-elle. « C'est très difficile à accepter. »
« Nous avons subi des choses qu'aucun être humain ne devrait jamais connaître. »
Néanmoins, Tausi a réussi à reconstruire sa vie auprès de son mari. Elle se sent privilégiée car de nombreuses survivantes au sein de la communauté ont été rejetées par leur mari. Tausi, quant à elle, a surmonté la stigmatisation qui entoure la violence à l'égard des femmes et son calvaire a renforcé sa relation avec son mari : récemment, ils ont décidé d'avoir un deuxième enfant. « Je sais que j'ai beaucoup de chance », confie-t-elle.
« Mes enfants me donnent de la force »
Lorsque des groupes armés non étatiques ont commencé à attaquer les villages voisins, Rose, 45 ans, et ses voisins ont fui, craignant d'être les prochains. Elle s'est échappée avec ses six enfants mais, dans le chaos, elle a été séparée de tous sauf de sa fille cadette, dont elle tenait fermement la main. « Nous avons couru pendant des kilomètres. Mais même la brousse n'était pas un endroit sûr », raconte-t-elle.
Elles sont rapidement tombées sur un groupe d'hommes armés qui patrouillaient dans la zone, mais au lieu de venir en aide à ces femmes, ils les ont violées.
« Ils nous ont dit qu'ils devaient vérifier que nous n'étions pas du côté des insurgés », ajoute Rose. « Ils ont déchiré nos vêtements. Ils nous ont déshabillées et nous ont frappées sans pitié. Ils nous ont violées. Tout cela devant ma fille. Une fois qu'ils en ont eu fini avec nous, nous nous sommes enfuies, nues et vulnérables. »
« J'essaie d'aller de l'avant pour mes enfants. »
Rose a retrouvé ses enfants et son mari et s'est réfugiée dans un site pour personnes déplacées. Mais lorsque le mari de Rose a appris ce qui s'était passé, il s'est mis en colère, la rendant responsable de ce qu'elle avait subi. Il a fini par abandonner sa famille, laissant Rose s'occuper seule de leurs enfants.
Avec le soutien de Helpcode, partenaire du HCR, Rose a acquis dans l'un des centres de protection communautaire de nouvelles compétences pour pouvoir gagner sa vie. Elle est en train de devenir financièrement indépendante. « Je vais tous les jours sur mon petit terrain près du camp. Je cultive des arachides que je vends. J'ai aussi mon petit commerce de savon », explique-t-elle.
« J'essaie d'aller de l'avant pour mes enfants ; ce sont eux qui me donnent de la force. C'est grâce à eux que je continue à vivre ».
Se reconstruire et gagner en autonomie
« Mon travail est influencé par mon vécu », affirme Josefina, du HCR. Elle anime les réunions de femmes dans les centres de protection communautaire de Cabo Delgado, où elles partagent leurs expériences ainsi que leurs projets pour l'avenir. Elle contribue de la sorte à créer un environnement où ces femmes peuvent se reconstruire et gagner en autonomie.
« Cela a toujours été mon rêve, mon objectif, d'aider les femmes qui ont subi des violences sexuelles et sont déplacées », indique Josefina. « Je leur explique où elles peuvent trouver du soutien. Je leur fais comprendre qu'elles peuvent continuer à avoir de l'espoir dans leur vie ».
Les centres sont des espaces sûrs où le HCR et ses partenaires fournissent aux femmes déplacées comme Maria, Tausi et Rose un soutien psychosocial, des conseils juridiques et une formation aux moyens de subsistance.
Les femmes bénévoles issues des communautés jouent également un rôle crucial dans le soutien aux femmes et aux jeunes filles, en faisant du porte-à-porte pour nouer des relations, les sensibiliser aux risques de violence sexiste et leur indiquer comment accéder aux services existants. « Notre travail fait une énorme différence », affirme Anastacia, 29 ans, bénévole au sein de la communauté. « Certaines personnes n'ont jamais entendu parler de violence sexiste. Nous sommes là pour leur apprendre. Nous leur expliquons que ce n'est pas normal ».
« Trop c'est trop »
Au plus fort du conflit dans la province de Cabo Delgado, en 2021 et 2022, plus d'un million de personnes ont été forcées de fuir leurs foyers. Aujourd'hui, environ 580 000 personnes sont toujours déplacées dans la province, la plupart d'entre elles des femmes et des enfants, et les attaques se poursuivent, ciblant principalement les civils.
Pour les victimes de violences sexistes, la sécurité et la justice restent hors de portée. Cependant, les femmes et les jeunes filles trouvent leur force dans la solidarité avec d'autres femmes. Avec le soutien du HCR, des volontaires communautaires et des partenaires du HCR, elles luttent contre la stigmatisation et la discrimination, renforcent leurs compétences et se donnent la possibilité de reconstruire leur vie.
« Lorsque j'étais déplacée, j'ai reçu énormément de soutien de la part de nombreuses femmes. Mon but est donc de faire de même », explique Josefina. « Cela représente une lueur d'espoir [pour les autres femmes] de voir une personne comme moi, originaire de Cabo Delgado, une femme, une mère, qui a également été déplacée, et qui a été capable de s'en sortir et d'être de plus en plus forte, de se battre pour elles. »
Le fait d'aider les survivantes à retrouver « leur autonomie, leur dignité et l'espoir d'un meilleur avenir » est son plus grand accomplissement, selon Josefina. « La violence contre les femmes doit cesser. Trop c'est trop ».
Pour ce reportage, les associations de femmes de Cabo Delgado ont été contactées et des volontaires ont proposé de raconter leur histoire. Les noms des survivantes de la violence sexiste ont été modifiés pour protéger leur identité et elles ont été consultées et impliquées tout au long du processus de rédaction.
« La violence contre les femmes doit cesser. »