Déclaration faite par M. Poul Hartling, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la conférence à l'Institut norvégien Nobel à Oslo, le 11 décembre 1981
Déclaration faite par M. Poul Hartling, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la conférence à l'Institut norvégien Nobel à Oslo, le 11 décembre 1981
Le 11 décembre 1981
DE LA TRAGEDIE A L'ESPOIR
L'histoire de l'humanité nous enseigne que des gens sont déracinés centre leur gré depuis les temps les plus reculés. Combien de fois un être humain, une famille, n'ont-ils pas vu des forces déchaînées par l'homme se précipiter et détruire - parfois en l'espace d'un instant - ce qu'ils avaient péniblement édifié à travers des générations. Combien de fois des individus ou des groupes entiers, persécutés pour leurs convictions profondes n'ont-ils pas dû prendre une décision dramatique : la route incertaine voire dangereuse de l'exil, quittant leur foyer, leur communauté et leur patrie, leurs amis et souvent leur famille, plutôt que de continuer à supporter le fardeau intolérable de l'injustice et de l'oppression.
Mais, également, à travers l'histoire, l'humanité a réagi à ces remous et a secouru les déracinés. Des gestes individuels ou des actions plus vastes de solidarité leur ont apporté une aide, un appui, et la chance de redevenir des citoyens dignes. L'octroi d'un refuge est devenu l'une des plus nobles traditions de la nature humaine : des communautés, des institutions, des villes et des nations, ont généreusement ouvert leurs portes aux réfugiés qui, il faut le souligner, constituent bien souvent à leur tour un apport de valeur pour les pays d'accueil.
C'est au XXe siècle cependant, après le cataclysme de la première guerre mondiale et la chute de grands empires, que les gouvernements ont pris conscience de la nécessité de considérer le problème des réfugiés comme un phénomène de caractère et d'intérêt dépassant de loin les frontières nationales d'un Etat. Ce problème devait devenir la responsabilité de ce que l'on appelle maintenant « la communauté internationale ».
Il fallait un homme de grand renom et d'exceptionnel talent pour mettre en marche le mécanisme international : c'est à Fridtjof Nansen, cet éminent citoyen norvégien, que la tâche fut confiée. En 1921, la jeune Société des Nations le nommait Haut Commissaire pour les réfugiés.
On précisait - à une époque où l'on était encore loin d'une définition universelle du réfugié - qu'il s'agissait d'un Haut Commissaire peur les réfugiés russes. Fridtjof Nansen dirigeait l'organisme ainsi créé, l'animait, l'inspirait. Un vibrant hommage était rendu à sa personnalité en 1922 par l'attribution du Prix Nobel de la Paix. Peu à peu, le champ de compétence de l'organisme s'étendait à d'autres catégories de réfugiés, notamment les Arméniens dès 1926. Une des grandes idées de Fridtjof Nansen était de créer un passeport pour les réfugiés. Le passeport Nansen était bien davantage qu'un document fonctionnel : il rendait à son possesseur la sécurité, la dignité et l'espoir, et lui rendait un peu de son identité perdue. Après 1930, année de la mort de Fridtjof Nansen, la Société des Nations confiait la protection des réfugiés à l'Office international Nansen pour les réfugiés, bien connu plus simplement sous le nom d' « Office Nansen ». Aujourd'hui, l'esprit et la mémoire de Nansen sont encore avec nous ; et chaque année, l'on décerne la Médaille Nansen pour des services exceptionnels rendus à la cause des réfugiés.
Mais tandis que l'Office Nansen déployait ses efforts et se voyait également, en 1938, décerner le prestigieux Prix Nobel de la Paix, la dernière guerre mondiale menaçait à l'horizon - une guerre qui allait anéantir des millions d'êtres humains, bouleverser des pays entiers, rompre des digues, et provoquer de nouveaux exodes massifs de populations.
Mais l'homme restaure constamment ce que l'homme détruit : et pendant que la seconde guerre mondiale battait son plein, les réfugiés et personnes déplacées n'étaient pas oubliés sur le plan international. Dès 1943, 44 nations convoquées à Washington signaient la Charte d'un nouvel organe international que l'on appellerait l' « Administration des Nations Unies pour l'oeuvre de secours et de relèvement » (UNRRA), avec, parmi ses tâches essentielles, celle d'aider les déracinés et de les rapatrier après la guerre chaque fois que les circonstances le permettraient.
L'UNRRA s'attela à sa tâche de rapatriement - librement consenti par les intéressés - dès la fin de la guerre en 1945. Cette même année, où la vision d'une société future meilleure prenait peu à peu la place du désarroi, voyait l'adoption de la Charte de San Francisco le 24 octobre, portant création des Nations Unies. Nations Unies qui naissaient avec de nobles objectifs : maintenir la paix et la sécurité internationales, développer des relations amicales entre nations sur le principe de l'égalité des droits et d'autodétermination, et encourager la coopération internationale pour la solution des problèmes économiques, sociaux, culturels et humanitaires.
En 1947, l'UNRRA acheva la tâche qui lui avait été confiée : par ses soins, sept millions de personnes avaient retrouvé leur foyer, on imagine avec quelle intense émotion.
Malheureusement, beaucoup de réfugiés ou de personnes déplacées ne pouvaient ou ne voulaient pas rentrer dans leur pays, alors que de nouveaux réfugiés affluaient. C'est alors, en 1947, que l'Organisation internationale pour les réfugiés voyait le jour, créée pour un temps limité par les Nations Unies et au crédit de laquelle il faut porter, entre autres accomplissements, la réinstallation de plus d'un millier et demi de réfugiés vers de nouveaux pays d'accueil, souvent outre-mer.
Il était clair pour les Nations Unies, pour un grand nombre de gouvernements, que dans un monde en perpétuel remous, un problème n'était pas près de disparaître : le problème des réfugiés, ces porteurs de tourments des catastrophes causées par l'homme. C'est en décembre 1949 - lorsque l'OIR poursuivait encore ses activités, que l'Assemblée générale des nations Unies[1] décide la création d'un Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (ou HCR), qui, après adoption de son statut par l'Assemblée générale en décembre 1950,[2] voit le jour le 1er janvier 1951.
Le HCR - fondé sur le respect des droits de l'homme - était créé pour trois, ans, au terme desquels l'Assemblée générale considérerait la nécessité d'une prorogation. Il est ironique de penser que précisément ce sont les violations des droits de l'homme qui ont donné au HCR une certaine permanence au sein do la communauté internationale. Dans trois semaines, le HCR, qui est toujours soumis à des prorogations successives par l'Assemblée générale, aura 31 ans d'existence. Il fait partie de cette poignée d'organisations qui, année après année, célèbre ses anniversaires avec un certain sentiment de regret. En effet, s'il faut savoir gré aux Nations Unies et à la communauté internationale d'avoir créé un organisme pour s'occuper des problèmes de réfugiés de façon non politique et purement humanitaire, le fait que le HCR existe depuis trois décennies n'est un titre de gloire pour personne : sans persécution, sans violation des droits de l'homme, sans conflits armés, le HCR n'aurait pas besoin d'exister.
Il est intéressant de nous arrêter un moment sur la définition même du réfugié telle qu'elle figure au statut du Haut Commissariat. Est réfugié toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut ou, du fait de cette crainte ou pour des raisons autres que de convenance personnelle, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ... ». En somme le réfugié est une personne victime de l'intolérance, contrainte de rompre, parfois brutalement, avec son passé, ses liens d'amitié ou même familiaux, son environnement ; une personne contrainte de franchir une frontière internationale pour se mettre à l'abri, parfois en n'emportant pratiquement rien avec elle. Qu'espère le réfugié ainsi démuni, dont la vision du monde est pour un moment désespérée ? D'abord la sécurité physique. En regardant derrière lui, il ressent l'appréhension mêlée au tumulte et à la confusion du départ. Il espère, en franchissant la frontière, trouver devant lui un hâvre protégé. Mais peu à peu, il aspire à bien plus que cela : à mettre un terme à sa situation insolite, à regarder l'avenir autrement qu'avec scepticisme ou même désespoir, à reconstruire sa vie avec tous les attributs matériels et moraux qui lui redonneront une place dans la société.
Aux Nations Unies, la tâche ardue de l'analyse, et la tentative d'élimination des causes qui provoquent l'exode, sera confiée aux organes politiques. Alors que l'on pourrait déplorer le fait que les gouvernements ne parviennent pas à s'attaquer efficacement aux causes des problèmes de réfugiés, ces mêmes gouvernements - il est heureux de le constater - apportent leur appui aux organismes humanitaires qui s'attaquent aux symptômes. Au-delà de la cause, il y a l'effet : au-delà du politique, il y a l'humanitaire. Oubliant les motifs de l'incendie, de l'accident, il faut secourir la victime jusqu'à ce qu'elle soit de nouveau sur pied. Comment s'y prendre ? D'abord en lui offrant un asile sûr. Le 10 décembre 1948, il y a eu 33 ans hier jour pour jour, l'Assemblée générale des Nations Unies adoptait à l'unanimité la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, des droits qui, s'ils sont violés ou on péril, peuvent provoquer la fuite de celui qui se sent menacé. L'article 14 (1) de la Déclaration vise un concept clef : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. ».
Intimement lié à l'asile, le principe du non refoulement interdit le renvoi d'un réfugié vers son pays ou vers tout autre où il a des raisons fondées de craindre une persécution. Nous sommes ici au coeur de la fonction primordiale du HCR: la protection internationale, dont la finalité est d'assurer aux réfugiés un certain nombre de droits fondamentaux. Cette idée que le réfugié - qui bien entendu a également le devoir de se conformer aux lis et à l'ordre public du pays d'accueil - doit se voir reconnaître une série de droits, a pris aujourd'hui solidement racine. L'asile et le non refoulement sent les fondements du système de protection. Le renvoi forcé d'un seul réfugié vers son pays, sera dans son principe tout aussi important et profondément préoccupant que le renvoi d'un large groupe.
Le non refoulement figure dans un texte de portée universelle, la Convention de Genève de 1951 relative au Statut des réfugiés - complétée par un Protocole de 1967 qui avait pour but de donner une portée plus universelle encore à ses dispositions. Ce traité, auquel quatre-vingt-dix pays répartis sur tous les continents ont adhéré à ce jour, prévoit un certain nombre de droits fondamentaux qui permettront aux réfugiés de mener une existence normale et indépendante.
Il existe également des conventions soit sur les réfugiés, soit sur l'asile, qui s'insèrent dans une approche plus régionale des problèmes, telle la Convention de l'Organisation de l'Unité Africaine relative aux Aspects spécifiques des réfugiés on Afrique, de 1969, et d'autres instruments régionaux en Amérique latine et en Europe.
Etendre le nombre d'adhésions aux instruments internationaux, veiller à ce que les législations nationales en reflètent pleinement les clauses et surtout veiller à ce que ces dispositions et un certain nombre de valeurs universellement admises soient effectivement appliquées au réfugié où qu'il se trouve dans le monde, voilà l'essentiel de la tâche de protection du HCR. C'est un vigoureux effort de tous les instants. Parfois, la rapidité d'une intervention peut éviter une souffrance intolérable, une persécution, ou même la mort.
Il est remarquable de penser que la définition du réfugié élaborée en 1950, dans un contexte essentiellement européen et marqué par le traumatisme de la deuxième guerre mondiale et la période de guerre froide, s'applique encore aujourd'hui à un nombre appréciable de situations qui, bien entendu, ne pouvaient pas être prévues il y a 30 ans. L'Assemblée générale des Nations Unies a toutefois dû, dans des résolutions successives, étendre le champ de compétence de l'organisation. En effet, le HCR vit et évolue avec l'histoire immédiate. Si la fondation était solide, l'édifice n'en a pas été moins façonné par le temps et les circonstances. Et le monde a radicalement changé depuis la création des Nations Unies. Plus de cent pays nouveaux ont proclamé leur indépendance, parfois au prix de luttes sanglantes. L'évolution des rapports de force dans le monde ont provoqué des tensions, des soubresauts, des conflits nationaux ou internationaux. Sous le choc de tous ces événements, dans le tourbillon des souffrances engendrées, nombreux - beaucoup trop nombreux - furent les nouveaux réfugiés, les personnes ou les groupes entiers déplacés. Pourrait-on utiliser le HCR, cet outil forgé par la communauté des Etats dans d'autres circonstances ? La réponse fut affirmative. L'évolution se fit ; le HCR s'adapta à des situations nouvelles. Les opérations de rapatriement librement consenti et l'installation des réfugiés dans leur pays d'origine sont les exemples les plus frappants de ces tâches nouvelles qui venaient s'ajouter aux tâches traditionnelles du HCR.
Pour la toute grande majorité des réfugiés, la meilleure nouvelle qui puisse leur parvenir, est celle de la possibilité d'un retour chez eux, dans leur pays, suite à un changement de circonstances : par exemple, la fin d'un conflit, la restauration de la paix et des droits de l'homme, l'avènement à l'indépendance. Un rêve longtemps caressé devient réalité: avec une profonde émotion, les réfugiés franchissent la frontière, en plein lumière cette fois, pour aller reconstruire leur foyer au pays natal.
Le statut du Haut Commissaire, lui enjoignant de promouvoir des solutions permanentes - aujourd'hui nous préférons dire durables - aux problèmes des réfugiés, prévoit ce rapatriement librement consenti, Encore faut-il l'organiser - il peut s'agir d'opérations d'ampleur considérable - et bien souvent aider les réfugiés rapatriés à reprendre racine chez eux où ils arrivent parfois démunis comme lorsqu'ils sont partis, et trouvent leur foyer vide, sinon détruit.
L'Assemblée générale des Nations Unies, le Secrétaire général, les gouvernements concernés, se sont à maintes reprises tournés vers le HCR, le priant d'organiser le rapatriement et la réadaptation initiale des rapatriés. Et c'est ainsi qu'on voit le HCR, dans le sillage de traités nationaux ou internationaux, participer, par son intervention humanitaire, au mécanisme de mise on oeuvre et de consolidation d'une paix nouvellement acquise. Par la même occasion, le HCR est parfois prié d'étendre son assistance à des groupes de personnes déplacées à l'intérieur de leurs frontières nationales pendant les conflits, et qui peuvent également - en même temps que les rapatriés - regagner leurs foyers une fois la paix revenue. Il existe d'abondants exemples de vastes opérations de rapatriement et de retour au foyer de réfugiés et personnes déplacées, dont le HCR a été chargé. Si nous survolons rapidement ces opérations par ordre chronologique, cela nous fera constamment changer de pays et de continent. L'aperçu sera rassurant : nous constaterons que partout dans le monde - où surgissent certes sans cesse de nouveaux problèmes de réfugiés - des solutions aux problèmes existants poursuivent également leur marche en avant. Nombreux sont les exemples démontrant que des solutions rapides aux problèmes de réfugiés favorisent les forces de la paix ; inversement, un manque de solutions peut mettre la paix en danger.
En 1962, c'est le retour vers l'Algérie de 250.000 personnes qui avaient cherché refuge au Maroc et on Tunisie pendant le conflit dans leur pays.
En 1972, quelque dix millions de réfugiés gagnent leur pays nouvellement indépendant, le Bangladesh, après avoir vécu pendant plusieurs mois des secours en Inde. Cette même année, le HCR aide à ramener au Soudan 150.000 personnes qui avaient cherché refuge dans quatre pays voisins.
En 1973, le HCR prête son assistance à des mouvements de populations entre le Bangladesh et le Pakistan, un des plus vastes ponts aériens ayant pour objet un échange de populations.
Puis à partir de 1974, viendront les nouvelles de l'indépendance des territoires antérieurement sous administration portugaise. Le rapatriement s'opère vers la Guinée Bissau, le Mozambique, l'Angola. En 1975, l'Assemblée générale[3] prie le Haut Commissaire « d'intensifier ses efforts en faveur des réfugiés en Afrique, notamment de ceux qui rentrent dans leur pays après l'indépendance ... ». En 1978, 200.000 Birmans qui se trouvaient au Bangladesh commencent à regagner leur pays d'origine. C'est également en 1978 qu'a commencé le rapatriement de 150.000 réfugiés zaïrois vivant en Angola. A l'inverse le HCR a prêté son concours on 1979 à environ 50.000 Angolais au Zaïre pour assurer leur retour dans leur pays. La même année, 100.000 réfugiés au Nicaragua qui vivaient au Costa Rica et au Honduras ont été rapatriés. En 1979 et en 1980, des réfugiés ont regagné le Kampuchea, l'Ouganda et la Guinée équatoriale, et ont reçu une assistance de base. Aujourd'hui une opération est en cours vers la république démocratique populaire lao, et des négociations sont menées à Bangkok et à Phnom Penh pour assurer en toute sécurité le retour volontaire ainsi que la réintégration d'autres groupes de Kampuchéens. Dans la Corne de l'Afrique, le mouvement de retour vers l'Ethiopie s'est accru depuis l'an dernier et des plans sont en voie d'élaboration pour étendre le programme actuel de rapatriement. L'opération de rapatriement la plus récente qui ait été menée à bien est celle du Zimbabwe.
Enfin, le HCR vient d'entreprendre un programme en vue d'assurer le retour et la réadaptation initiale des ressortissants tchadiens déracinés pendant les troubles survenus dans leur pays.
Cette énumération de situations témoigne d'une réalité profondément encourageante : des gouvernements, en coordination avec le HCR, agissant comme organisme international strictement apolitique, ont joint leurs forces pour mener à bien quelques-uns des plus vastes mouvements de populations de l'histoire. Ces gouvernements ont démontré que l'édification de la paix peut avancer de façon dynamique lorsqu'il existe des institutions où le consensus des nations peut s'exprimer.
Malheureusement, le rapatriement n'est pas l'aboutissement naturel ou le couronnement automatique de tous les efforts déployés pour venir en aide aux réfugiés. Parfois il faut les installer pour longtemps - ou qui sait peur toujours - dans les pays de premier accueil, appelés aussi les pays de premier asile. La tâche peut être colossale car bien souvent les pays que la géographie ou la géo-politique placent en première ligne pour l'accueil des réfugiés sont des pays en voie de développement - parfois appartenant au groupe des moins développés. Le plus fréquemment ils reçoivent les réfugiés avec grandeur d'âme et générosité, mais ils ont à faire face à leurs propres problèmes économiques et sociaux, et, en un premier temps, les réfugiés peuvent constituer pour eux un lourd fardeau. Et ce d'autant plus que dans certains pays, de multiples facteurs peuvent s'opposer à l'intégration des réfugiés, ou la rendre difficile, voire illusoire : manque de terres cultivables, d'eau ou de pâturages dans les campagnes, manque de possibilités d'emploi dans les villes, manque d'infrastructure capable d'absorber ces nouveaux groupes plaqués sur une réalité déjà bien difficile, problèmes psychologiques, sociaux, politiques. Les réfugiés dans le besoin où qu'ils soient, peuvent engendrer des tensions avec une population locale également mal lotie ou tout au moins qui craint leur concurrence face aux ressources limitées. De nombreuses manières, la seule présence de réfugiés peut être une cause de suspicions, de troubles et d'agitation aux répercussions multiples : et la situation risque de connaître des résonances bien plus inquiétantes si les réfugiés se trouvent démunis, privés d'appui, pleins d'appréhension sur l'aide à venir et sur l'audience de leur cause : seront-ils aidés, seront-ils entendus ? C'est là que la conjugaison d'efforts nationaux et internationaux pourra contribuer à calmer l'anxiété, à stabiliser une situation dont les bases sont en danger, à éviter l'éclatement de conflits - mineurs ou majeurs. C'est là que le HCR pourra contribuer, à l'égard de telle ou telle situation, à susciter un élan décisif de solidarité internationale. Des programmes parfois d'un volume considérable seront mis sur pied, financés, mis on oeuvre, destinés à apporter aux réfugiés des secours couvrant leurs besoins immédiats en matière d'abri, d'alimentation, de santé, ou leur installation à plus long terme, les menant à l'autosuffisance, but final de tous les programme du HCR.
Egalement, là où ce sera nécessaire, là où les réfugiés ne pourront ni rentrer librement dans leur pays ni rester dans leur pays d'accueil, le HCR aura un rôle à jouer dans la réinstallation des réfugiés vers un pays tiers : opération délicate car, en quelque sorte, elle consolide le déracinement. Mais là encore, des forces s'unissent pour tenter d'assurer le succès de l'opération : gouvernements, organisations non gouvernementales, individus, chacun assumera son rôle, en s'efforçant de trouver une harmonie. Ainsi, en septembre 1973, à la suite des événements au Chili, le HCR s'est vu confier une opération de réinstallation, urgente et délicate. Quelques années plus tard, plus de 25.000 réfugiés avaient bénéficié d'une solution. Mais tandis que ce chapitre se refermait, un nouveau drame, requérant des solutions rapides, se profilait en Asie du Sud-Est. une fois encore, la communauté internationale fut à la hauteur. Sept cent mille réfugiés indochinois - parmi eux quatre-cent mille « boat people » dont l'odyssée continue d'émouvoir le monde - ont ainsi été réinstallés en cinq ans. Beaucoup d'entre eux ont retrouvé des membres de leur famille proche, mettant un terme à la dure épreuve de la séparation. La réinstallation se poursuit, également à l'intérieur ou à partir d'autres continents selon les besoins, avec des difficultés mais aussi des succès. Toutefois, les succès ne doivent pas faire oublier les réfugiés qui attendent encore une solution.
J'ai vu des réfugiés en nombre impressionnant au Pakistan, leurs tentes plantées dans les rudes déserts, au pied de décors grandioses de montagnes arides, animés du désir profond d'un retour dans leur patrie : les autorités nous informent qu'ils sont plus de deux millions. Combien de « boat people » n'ai-je pas vus dans les camps du Sud-Est asiatique, traumatisés bien souvent par de pénibles ou effroyables voyages, anxieux de reconstruire leur avenir dès que possible, dans le calme et la confiance ; plus de cinquante mille dans six pays différents attendent encore une solution. De nouveaux « boat people » continuent d'arriver mais heureusement, apparaît la possibilité d'augmenter le nombre de départs organisés à partir du Viet Nam, ce qui devrait diminuer le nombre de ceux qui tentent d'aventure de la mer.
J'ai vu des réfugiés dans des pays et régions aux ressources éparses et limitées, pour lesquels des opérations de secours et d'aide d'urgence se poursuivent au fil des ans : quarante mille environ à Djibouti, des centaines de milliers en Somalie.
En Amérique centrale, j'ai vu des réfugiés dans le désarroi, cherchant à comprendre le pourquoi de leur sert, à clamer leur droit de survivre, en attendant une issue favorable à leur détresse.
Tous ces réfugiés ont certes quelque chose en commun dans leur souffrance, leur lutte quotidienne. Mais chacun vit son problème à travers sa sensibilité propre, ses aspirations, son histoire individuelle. Le problème des réfugiés, c'est celui de plus de dix millions de personnes : c'est-à-dire qu'il y a plus de dix millions de problèmes. Les statistiques ne sent que des points fixant la réalité. Nous pouvons résumer dix millions d'existences on une courte phrase mais, ensuite, il faut s'attaquer au problème humain. De nombreux réfugiés peuvent se trouver dans des camps ou rentrer dans leur pays à la suite d'une solution politique ; les situations peuvent être semblables pour un grand nombre. C'est finalement, toutefois, de l'individu et de sa famille qu'il s'agit, de la sauvegarde de sa personnalité, de son avenir.
Le premier Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Monsieur van Heuven Goedhart, a déclaré à l'occasion de l'octroi du Prix Nobel de la Paix au HCR en 1954: « ... La paix est davantage que simplement l'absence de guerre. C'est un était où personne, quel que soit le pays, où aucun groupe, d'où qu'il vienne, ne vit dans la crainte ou le besoin ... ». Aujourd'hui, plus de dix millions de réfugiés vivent dans la crainte ou le besoin. Dans notre cheminement vers un futur meilleur pour l'humanité, nous ne pouvons nous permettre d'ignorer la présence tragique de ces millions d'êtres humains pour qui la paix n'existe pas. En résolvant un problème unique, on contribue à la paix pour un individu. Lorsque nous apportons la paix à un individu, nous rendons notre monde un peu meilleur.
Ce jour, tandis que continuent les fracas du monde, les violations des droits de l'homme, les fléaux qui dressent leur labyrinthe sur la terre, nous sommes réunis ici pour la meilleure des causes : précisément celle de la paix. En 1954, lorsque le HCR a eu le grand honneur de recevoir une première fois le Prix Nobel de la Paix, l'organisation venait d'être prolongée une première fois par l'Assemblée générale des Nations Unies. Elle groupait alors une bonne centaine de collaborateurs, travaillait essentiellement en Europe ou en faveur de réfugiés européens au Moyen Orient ou en Extrême Orient, disposait d'un budget de 5 millions de dollars. Quinze pays avaient adhéré à la Convention de 1951. L'on consolidait les fondements des tâches de protection et d'assistance, l'on cherchait des solutions durables aux problèmes. Aujourd'hui, alors que le grand honneur du Prix Nobel nous échoit à nouveau, il est pénible de constater combien le problème des réfugiés s'est accru.
En 1954, il y avait 2,2 millions de réfugiés dans le monde, il y en a 10 millions aujourd'hui. Mais, pendant la même période, des problèmes à première vue insolubles ont été effectivement résolus.
Ce Paix Nobel de la Paix, dont le symbole a depuis longtemps acquis une valeur universelle, je suis venu le recevoir au nom de mon organisation. On me permettra de rendre hommage à mes collaborateurs avec une mention d'estime toute particulière pour ceux qui ont travaillé ou travaillent hors du siège, en contact quotidien avec les réfugiés, dans des conditions bien souvent difficiles.
Je voudrais également rendre hommage à mes prédécesseurs au poste de Haut Commissaire pour les réfugiés, pour l'énorme labeur accompli, adaptant constamment l'organisation à ses responsabilités et ses tâches nouvelles.
Cet honneur qui échoit au HCR, nous le devons à un grand nombre de gouvernements, et un grand nombre de peuples. Je songe à combien de pays du tiers monde qui, tout en faisant face à leurs propres problèmes, ouvrent généreusement leurs protes à des groupes de déracinés parfois considérables, leur donnent des terres et des formes d'aide multiples, et la chaleur humaine qui vient au rang des besoins fondamentaux des réfugiés. Je songe aux pays économiquement développés et à leurs efforts soutenus et vigoureux, parfois de grande envergure, pour permettre la conception, le financement, et la mise on oeuvre de programmes d'assistance dont l'ampleur n'a cessé de croître. Puissent ces pays continuer de fournir une réponse à la mesure des problèmes posés. Je songe aux pays qui démontrent une compréhension essentielle à l'égard de notre tâche de protection, qui appuient le HCR et font entendre la voix des réfugiés dans les arènes nationales et internationales, à ces pays qui, chacun à leur manière, font avancer une cause qui est juste. Tous ces pays, je ne peux les citer. Je dirai simplement que la Norvège, à cet égard, poursuit un chemin exemplaire : elle est un porte-parole énergique des droits des réfugiés où qu'ils se trouvent, elle participe à des programme dans le monde entier ; elle accueille des réfugiés sur son sol et leur offre un future.
Enfin, j'aimerais rappeler tout ce que le HCR et les réfugiés doivent aux organisations non gouvernementales qui, tissant un réseau de plus on plus dense autour de la terre, assistant les réfugiés avec un empressement, une compétence, et un dévouement déjà souvent décrits à juste titre dans les termes les plus éloquents. Je suis heureux de souligner le rôle proéminent joué depuis bien longtemps par une organisation norvégienne, le conseil norvégien pour les réfugiés.
Aujourd'hui, les voix de milliers de réfugiés dans le monde sont entendues. Des voix qui cherchent à croire en l'homme, en la dignité humaine. Des voix appelant la justice, la liberté, la paix, plaidant pour l'amour et la générosité, des voix qui appellent les gouvernements à user de la raison et non de la force.
Puis-je m'adresser directement aux réfugiés du monde - où qu'ils soient - et leur dire : oui, cette cérémonie du Prix Nobel de la Paix nous apporte le témoignage que vos voix ont été entendues. Si nous sommes heureux, pour un moment en songeant aux réalisations du passé, nous savons que les défis du présent ne sont pas une cause de réjouissance. Il faut y faire face de façon urgente et décisive. Mais aujourd'hui le monde se concentre sur votre sort et renouvelle son engagement de vous aider. Cela nous permet de vous envoyer un message d'espoir pour le futur.
Du haut de cette tribune de la paix, j'aimerais faire appel à tous ceux qui ont en mains le futur de l'humanité, afin qu'ils utilisent leur pouvoir non pas pour détruire ou tuer, non pas pour engendrer des souffrances par une recherche avide d'objectifs égoïstes, mais pour aider à alléger le fardeau de ceux qui sont dans le besoin ; à promouvoir la justice et la liberté pour l'individu.
J'en appelle à tout un chacun. Ne cessons jamais d'éprouver de la compassion envers ceux qui en ont besoin. Ne nous fatiguons jamais d'aider les victimes de l'injustice et de l'oppression. Celui qui mise sur une restauration de la dignité humaine ne peut se tromper.
Copyright Fondation Nobel, Stockholm, 1981.
[1] Dans sa résolution 319 (IV).
[2] Résolution 428 (V).
[3] Résolution 3454 (XXX)