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Déclaration faite par M. Félix Schnyder, Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la 129ème séance du Comité intergouvernemental pour les migrations européennes

Discours et déclarations

Déclaration faite par M. Félix Schnyder, Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la 129ème séance du Comité intergouvernemental pour les migrations européennes

12 Mai 1961
Différentes langues:

Monsieur le Président, c'est pour moi un très grand plaisir de pouvoir m'adresser pour la première fois au Conseil du CIME et je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir bien voulu m'en fournir aujourd'hui l'occasion.

L'émigration qui est la raison d'être du CIME, est aussi, chacun le sait, l'une des solutions fondamentales au problème des réfugiés dont mon office a la charge. A ce titre, les activités du CIME et du Haut Commissariat sont en fait complémentaires. Ces deux organisations sont donc, qu'elles le veuillent ou non, condamnées à collaborer de la manière la plus étroite, en vue de la poursuite de cet objectif commun : la réinstallation des réfugiés européens désireux d'émigrer dans les pays qui consentent à les accueillir. Devrai-je rappeler que, bien loin de constituer une source de difficultés, cette obligation de coopérer, et la confrontation quotidienne d'idées, d'informations et de suggestions qu'elle implique, est pour nous stimulant, l'occasion d'établir avec nos collègues du CIME des contacts vivifiants qui profitent en définitive aux réfugiés que nous voulons aider.

Pour donner un exemple concret de cette coopération et des résultats que l'on en peut attendre, je citerai, Monsieur le Président, ce simple chiffre : parmi les 8.700 réfugiés relevant du mandat du Haut Commissariat provenant d'Allemagne, d'Autriche, de Grèce et d'Italie qui ont été rétablis, au cours de l'année 1960, avec la concours du Comité des Migrations, plus de 20% ont été accueillis au titre des programmes spéciaux pour réfugiés handicapés établis à la requête du Haut Commissariat, et à la mise en oeuvre desquels le CIME a pris une part décisive. Ce pourcentage, je le souligne, ne couvre pas la totalité des réfugiés handicapes ayant émigré au cours de cette même année ; il faudrait y ajouter ceux qui ont été acceptés dans le cadre des programmes normaux d'immigration, ainsi que les handicapés sociaux qui n'ont pas fait l'objectif d'un enregistrement spécial.

Mais ces chiffres n'illustrent pas seulement les résultats de l'action commune du Haut Commissariat et du CIME; ils sont révélateurs d'une situation nouvelle, aux termes de laquelle la porte est désormais largement ouverte à l'émigration de réfugiés qui ne satisfont pas à tous les critères d'immigration habituels. C'est là, je ne saurais trop y insister, la véritable clef du problème me des réfugiés, dans toute la mesure où la solution de ce dernier dépend de l'émigration.

Mais quels sont, très succinctement, les principaux problèmes qui intéressent nos deux organisations et sur lesquels doit actuellement, à mon avis, se concentrer notre attention ?

Le premier et le plus urgent d'entre eux est à coup sûr la liquidation du problème résiduel des réfugiés hébergés dans des camps et des réfugiés non établis résidant hors des camps en Europe. Le Directeur du CIME et moi-même nous efforçons actuellement à dresser la liste des réfugiés appartenant à ce groupe, et qui désirent émigrer. J'espère que le travail en cours sera terminé dans le courant du second semestre de cette année, et qu'il sera alors possible de dresser un bilan exact des besoins, en ce qui concerne l'émigration, et de définir les objectifs à atteindre dans ce domaine.

Dans le même ordre d'idées, je me préoccupe de trouver les moyens permettant d'être assuré que les réfugiés non encore établis, et qui désirent émigrer, sont informés en temps utile des diverses possibilités qui leur sont offertes à cet égard. Il est clair toutefois, dès à présent, que la liquidation de ce problème résiduel est liée, dans une large mesure, à la continuation des programmes spéciaux en faveur des réfugiés handicapés, des tuberculeux ou des post-tuberculeux notamment, qu'il s'agisse des programmes mis en oeuvre par les gouvernements eux-mêmes, par des communautés locales ou par les agences bénévoles. Il serait utile, pour accroître encore l'efficience et la portée de ces programmes, que les gouvernements veuillent bien accepter d'y inclure des catégories de réfugiés qui sont jusqu'à présent demeurés en dehors. Je pense plus spécialement aux réfugiés atteinte de troubles nerveux au de la personnalité des réfugiés, pour lesquels la solution est si difficile à trouver.

En liaison avec le Directeur du CIME, j'envisage d'autre part actuellement la possibilité de faire procéder à un examen médical systématique de tous les réfugiés handicapés désireux d'émigrer, pour lesquels cela pourrait être utile, afin de les faire bénéficier, le échéant, d'un traitement approprié et d'établir, d'autre part, pour chacun d'eux un dossier médical et social complet, de nature à faciliter la tâche des missions de sélection. Je saurais gré aux gouvernements des pays d'immigration du concours qu'ils pourraient éventuellement nous apporter, en nous permettant par exemple d'utiliser les services d'un ou plusieurs de leurs experts les plus qualifiés. La tâche de tous ceux qui coopèrent à la mise en oeuvre de ces programmes serait, d'autre part grandement facilitée si les réfugiés handicapés actuellement dispersés dans les camps pouvaient être regroupés dans un ou deux camps seulement, ainsi que le Gouvernement italien a bien voulu consentir récemment à le faire. Je souhaiterais que cet exemple puisse être suivi, en Allemagne et en Autriche notamment. Il y aurait intérêt, d'autre part, à ce que des dispositions permettant d'opérer une classification précise des réfugiés handicapés, soient également prises en ce qui concerne les réfugiés résidant hors camps.

En même temps que l'on s'applique à résoudre le problème du groupe résiduel des anciens réfugiés européens, il convient de faire face à celui des nouveaux réfugiés. Bien que lion ne puisse évidemment prévoir, à l'avance, le rythme de ces arrivées, il y a tout lieu de penser que l'émigration demeurera une soupape nécessaire si l'on veut éviter une nouvelle accumulation des réfugiés dans les camps, avec toutes les conséquences politiques, sociales, morales et financières néfastes qui en découlent. L'unique moyen d'échapper à ce terrible processus est de permettre aux réfugiés qui arrivent, et qui ne peuvent ou ne veulent s'intégrer dans les pays de premier accueil, d'émigrer sans retard dans les pays qui sont en mesure de les recevoir. Une aide internationale devrait, dans ce but, continuer d'être assurée en cas de besoin, en vue de faciliter l'accueil et la réinstallation de ces réfugié, et d'affermir ainsi, voire d'élargir encore si possible, les possibilités d'accueil susceptibles de leur être accordées.

C'est une question un peu du même ordre qui se pose actuellement pour les réfugiés d'origine européenne en provenance de Chine continentale. Un millier d'entre eux environ attendent encore que des visas ou promesses de visas leur soient accordés par un pays de destination. Si lent et incertain que puisse être le rythme d'arrivée de ces réfugiés à Hong Kong, il importe que le délégué commun du CIME et du Haut Commissariat à Hong Kong soit assuré lorsqu'ils atteindront ce lieu de transit, de pouvoir les diriger sans délai vers les pays qui veulent bien les accueillir. De même convient-il que le CIME dispose des fonds nécessaires à leur transport. J'en appelle aujourd'hui aux gouvernements ici représentés pour qu'ils veuillent bien manifester à nouveau leur générosité à l'égard d'un groupe de réfugiés pour lequel ils ont témoigné déjà tant de sollicitude. Ainsi pourrions-nous espérer en terminer bientôt avec ce problème.

Parmi les réfugiés d'origine européenne dont l'émigration s'avère nécessaire, il me faut également citer ceux d'entre eux qui, résidant hors d'Europe, en Afrique du Nord et au Proche Orient, notamment, sont actuellement contraints par les circonstances de quitter les pays où ils étaient établis. Mon office se préoccupe en ce moment même d'identifier ceux de ces réfugiés qui désirent émigrer. Il souhaiterait que les gouvernements des pays d'immigration veuillent bien ensuite considérer leur cas avec bienveillance et faire en sorte que les formalités préalables à leur émigration soient facilitées au maximum, en prévoyant notamment un examen des candidats sur place ou par l'intermédiaire des instances qui leur apparaîtraient les plus appropriées.

Je mentionnerai enfin, Monsieur le Président, comme l'un des problèmes devant retenir notre commune attention, celui des réfugiés que l'on désigne communément sous le nom de réfugiés nationaux. Bien qu'il n'ait aucune compétence directe sur ces réfugiés, qui relèvent essentiellement du représentant spécial du Conseil de l'Europe pour les réfugiés nationaux et les surplus de population, mon office ne peut en fait se désintéresser complètement d'un problème qui risque, à plus ou moins brève échéance, d'affecter le sort des réfugiés relevant de son mandat et qui sont établis dans les pays d'origine des réfugiés en question. L'Assemblée Générale des Nations Unies, d'autre part, m'a expressément convié, vous le savez, à prêter mes bons offices, si la demande m'en est faite par les gouvernements intéressés, à la solution de problèmes intéressant des réfugiés qui ne sont pas du ressort de l'Organisation des Nations Unies. Dans toute la mesure où l'émigration peut constituer pour ces réfugiés nationaux une solution convenable, répondant au voeu des gouvernements intéressés, je suis tout prêt donc a intercéder, comme je l'ai déjà fait, en vue de faciliter la recherche de pays de réinstallation pour ceux d'entre eux qui le désirent.

Après ce rapide tour d'horizon consacré à des problèmes actuels, j'aimerais, si vous me le permettez Monsieur le Président, émettre quelques suggestions quant à la définition d'une politique future d'émigration en ce qui concerne les réfugiées. On ne saurait trop souligner en effet l'importance que revêt l'émigration comme solution à leur problème. Je l'ai dit à propos de ceux qui arrivent et continueront vraisemblablement d'arriver dans certains pays européens : seule une émigration ordonnée, organisée, permettant à tous les réfugiés qui ne peuvent ou ne veulent s'intégrer sur place de gagner, au fur et à mesure de leur arrivée, et dans les moindres délais possibles, un pays de réinstallation, permettra d'éviter que l'on ne vois renaître peu à peu et se développer ces douloureux abcès de fixation que sont les camps de réfugiés.

L'émigration doit, de toute évidence, répondre essentiellement aux besoins et aux possibilités d'accueil des pays d'immigration eux-mêmes. Il nous faut donc tenir compte, dans l'élaboration de notre programme des voeux, des préoccupations et des plans établis par les gouvernements des pays d'accueil eux-mêmes. Toutefois, on ne doit pas perdre de vue qu'une place devra toujours continuer d'être faite à des mouvements de population ayant pour origine des considérations d'ordre plus spécifiquement humanitaire. Pour autant qu'elle s'applique aux réfugiés, l'émigration doit, à mon sens, revêtir un triple caractère : économique, social et humanitaire. Elle a une signification économique évidente lorsque les réfugiés sont des travailleurs susceptibles de contribuer à la prospérité et au développement du pays qui les reçoit. Elle revêt un caractère à la fois social et humanitaire lorsqu'il s'agit de réunir les familles trop souvent dispersées, ou de permettre l'admission de familles entières, malgré l'inaptitude éventuelle au travail de certains de leurs membres. L'émigration, enfin, a un caractère strictement humanitaire lorsqu'elle concerne des personnes physiquement au socialement handicapées, que seules des considérations d'ordre spirituel ou moral peuvent commander à un pays d'admettre sur son sol.

Grâce à l'élan de solidarité internationale qu'elle a suscité, l'Année mondiale du réfugié a vu ainsi des pays qui, de par leur position géographique, ne sont pas des pays d'asile, ouvrir généreusement leurs portes à des catégories de réfugiés qui, jusque là, n'étaient pas admis. Il importe que cet esprit demeure, afin qu'il porte tous ses fruits pour le présent et pour l'avenir, et que soient maintenus les critères libéraux d'immigration qui ont marqué cette nouvelle prise de conscience des devoirs qu'impose à la communauté internationale la solution d'un problème comme celui des réfugiés.

La mise en oeuvre de programmes spéciaux pour les réfugiés handicapés demeure, je l'ai dit, nécessaire, en vue d'assurer la résorption complète et rapide du problème résiduel des réfugiés européens. Je compte pour cela sur la générosité des gouvernements, dont dépend la décision, mais aussi sur les agences bénévoles, dont la participation à cette oeuvre est plus que jamais indispensable. L'effort accompli de tout temps par ces dernières, et plus spécialement à l'occasion de l'Année mondiale, a suscité l'admiration et justifie notre gratitude. La part qu'elles ont prise et qu'elles doivent continuer à prendre à l'émigration à caractère humanitaire est en particulier déterminante. En contact direct avec les réfugiés, les agences bénévoles sont seules en mesure, dans bien des cas, de les aider à trouver leur voie, grâce au soutien constant qu'elles leur apportent et au souci qu'elles ont du bien-être physique et moral du réfugié. Il est de notre devoir de les aider. L'un des moyens les plus efficaces que les gouvernements aient de soutenir l'action des agences bénévoles serait d'assumer en tout ou partie des frais de documentation, de transport et d'accueil réfugiés des réfugiés handicapés. Certains gouvernements déjà ont montré l'exemple, en prenant à leur charge la totalité des frais de transport et de réception. J'espère que cet exemple pourra être suivi d'une manière plus générale encore.

Quelque encourageante qu'aient été ses résultats, l'Année mondiale n'a pu résoudre d'un coup tous les problèmes de réfugiés. Telle n'était d'ailleurs pas sa prétention. Mais elle a montré la voie, dans laquelle nous sommes maintenant engagés et dans laquelle nous devons persévérer. A une époque où le monde part à la conquête de l'espace, il est permis d'espérer que le sort de ces êtres déracinés que sont les réfugiés, continuera à retenir l'attention de la communauté internationale, et de susciter le même enthousiasme dans l'effort que pendant l'Année mondiale. C'est le voeu que je voudrais me permettre de formuler en terminant, Monsieur le Président, et en vous remerciant encore de l'aimable hospitalité que vous avez bien voulu m'accorder.