Les survivants du séisme en Türkiye font le bilan de la catastrophe
Les survivants du séisme en Türkiye font le bilan de la catastrophe
Réveillé en sursaut le 6 février par les premières secousses du tremblement de terre, Ahmet Erkan n'a, dans un premier temps, pas compris ce qui lui arrivait. Ce sont les cris venant de la chambre de leurs trois enfants qui les ont poussés, lui et sa femme Fatma, à réagir.
« Mes enfants ont commencé à crier. [Les secousses] étaient très fortes. Nous ne savions pas quoi faire », raconte Ahmet. « Les secousses nous ont projetés au sol, nous ne pouvions presque plus marcher", ajoute Fatma. « Ça a duré très longtemps. Heureusement, nous nous en sommes sortis. »
Quelques instants plus tard, se trouvant dans la rue à l'extérieur de leur immeuble à Hatay, dans le sud de la Türkiye, ce soulagement initial s'est transformé en horreur lorsqu'ils ont vu l'immeuble s'effondrer.
« Il y avait des cris de toutes parts. Des gens pleuraient. Ceux qui avaient réussi à sortir essayaient de sauver les personnes qui se trouvaient dans les décombres de l'immeuble », se souvient Ahmet.
N'ayant même pas eu le temps de mettre leurs chaussures avant de fuir le bâtiment, Ahmet réalise alors à quel point la situation est grave. « Je ne savais pas quoi faire pour protéger mes enfants. Il faisait très froid et il pleuvait beaucoup. Nous étions trempés », raconte-t-il.
« Il ne nous reste plus rien. »
Mais Ahmet perd de vue ses propres problèmes lorsqu'il apprend que l'immeuble voisin où vit son frère Moustafa s'est lui aussi effondré. « Je ne peux pas décrire ce que j'ai ressenti à ce moment-là. J'ai laissé ma femme et mes enfants dans la voiture et j'ai couru jusque chez mon frère. Le bâtiment était en ruines lorsque je suis arrivé. » Des secouristes ont aidé Ahmet dans ses efforts désespérés pour retrouver Mustafa, 35 ans, et sa famille. La femme et la fille de son frère ont été sorties vivantes des décombres, mais Moustafa et son fils Tahir, âgé de 11 ans, ont malheureusement perdu la vie suite à l'effondrement de l'immeuble.
Entouré de sa famille - dont sa mère, sa sœur aînée et ses enfants, qui ont heureusement survécu - Ahmet montre sur son téléphone un selfie en noir et blanc pris par Moustafa, au milieu d'une forêt, avec Tahir blotti contre lui.
« Pour l'instant, nous sommes encore en train d'essayer de réaliser ce qui nous arrive. Il ne nous reste plus rien. Tout est à refaire », soupire Ahmet.
Cette douleur, visible sur les visages d'Ahmet et de sa famille, est partagée par des millions de personnes dans le sud de la Türkiye et le nord de la Syrie, touchées par les séismes meurtriers du mois dernier. Plus de 55 000 personnes ont trouvé la mort dans ces deux pays, et des milliers d'autres sont toujours portées disparues.
De nombreux survivants se sont retrouvés sans abri ou traumatisés au point de ne pas pouvoir rentrer chez eux. Dans le sud de la Türkiye, parmi les 15 millions de personnes qui vivent dans les 11 provinces dévastées par le séisme, on compte quelque 1,74 million de réfugiés syriens. Mais toutes les communautés ont été frappées par la violence du séisme, et des villes entières sont en ruines.
Ahmet et sa famille vivent dans l'un des centres d'hébergement temporaire de Hatay, construits à l'origine pour accueillir des réfugiés syriens, mais désormais utilisés par les autorités pour héberger les survivants turcs et syriens du tremblement de terre. Ayant tout perdu, ils sont reconnaissants de pouvoir occuper l'un des conteneurs préfabriqués de taille suffisante pour une famille, et disposés en rangées de deux étages.
« Nous sommes tous des êtres humains, nous avons tous été affectés par ce tremblement de terre », déclare Fatma. « Nous avons tous des souffrances et des problèmes. Dieu aide tout le monde. Il n'y a pas de différence entre les Turcs et les Syriens. Nous sommes tous dans une situation très difficile. »
« Il n'y a pas de différence entre les Turcs et les Syriens. »
« Nous sommes venus ici et, heureusement, ils nous ont donné un endroit où dormir ainsi que des vêtements et de la nourriture », ajoute Ahmet.
A la demande des autorités, le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a apporté son soutien à la réponse du gouvernement dès le premier jour, dans le cadre des efforts de secours plus larges des agences onusiennes. Le HCR a fourni des biens de première nécessité, dont des milliers de tentes, de matelas, de couvertures thermiques et de chauffages qui ont été distribués aux personnes affectées par l'AFAD (agence de secours d'urgence turque), le Ministère de la famille et des services sociaux, et l'organisme turc de gestion des migrations, qui gère les centres d'hébergement temporaires.
Le 11 mars, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a visité le centre de Hatay où Ahmet et sa famille ont été hébergés et a exprimé ses sincères condoléances pour la disparition de leurs proches. Il était sur place dans le cadre d'une visite de cinq jours dans les zones touchées par le tremblement de terre en Türkiye et en Syrie, afin de rencontrer les survivants ainsi que les autorités et le personnel humanitaire qui ont répondu à la catastrophe.
« Les besoins humanitaires restent importants, aussi bien ici en Türkiye qu'en Syrie, où je me trouvais il y a seulement quelques jours », a indiqué Filippo Grandi. « Dans les villes comme Hatay, tout est à reconstruire : les maisons, les magasins, les écoles, les centres de santé. Tout a été détruit. »
De nombreuses familles de la région sont toujours à la recherche de leurs proches disparus, et l'immense chantier de reconstruction des villes dévastées sera une tâche de longue haleine. L'urgence est de répondre aux besoins des survivants, qui vont au-delà des aspects matériels.
Ahmet et Fatma ont évoqué les conséquences profondes de la catastrophe sur le bien-être psychologique de leurs enfants. « Ma plus jeune fille voulait rester dans la voiture - nous avons dû la convaincre que le conteneur ne s'effondrerait pas », explique Ahmet.
Au centre, des activités sont organisées pour divertir les enfants et les aider à oublier, l'espace d'un instant, l'épreuve qu'ils ont subie. Leur fille aînée, Merve, raconte qu'elle s'est fait des amis avec lesquels elle joue pendant la journée.
Mais, une fois de retour dans le logement de la famille, elle se renferme et esquisse un sourire crispé : « Le tremblement de terre, j'ai même peur d'en parler. »
Il faudra du temps pour réparer les dégâts visibles et invisibles causés par cette catastrophe, estime Filippo Grandi. « Il faudra des mois, voire des années, pour que ces personnes retrouvent non seulement leurs habitations, mais aussi leurs moyens de subsistance. »