CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : Compte Rendu Analytique de la Troisième Séance tenue au Palais des Nations, à Genève, le mardi 3 juillet 1951, à 10h.30
CONFERENCE DE PLENIPOTENTIAIRES SUR LE STATUT DES REFUGIES ET DES APATRIDES : Compte Rendu Analytique de la Troisième Séance tenue au Palais des Nations, à Genève, le mardi 3 juillet 1951, à 10h.30
A/CONF.2/SR.3
Présents : | |||
Président : | M. LARSEN | ||
Membres : | |||
Australie | M. SHAW | ||
Autriche | M. FRITZER | ||
Belgique | M. HERMENT | ||
Canada | M. CHANCE | ||
Colombie | M. GIRALDO-JARAMILLO | ||
Danemark | M. HOEG | ||
Egypte | M. MUSTAPHA Bey | ||
Etats-Unis d'Amérique | M. WARREN | ||
France | M. ROCHEFORT | ||
Grèce | M. PHILON | ||
Irak | M. AL PACHACHI | ||
Israël | M. ROBINSON | ||
Italie | M. del DRAGO | ||
Luxembourg | M. STURM | ||
Monaco | M. SOLAMITO | ||
Norvège | M. ANKER | ||
Pays-Bas | M. Baron van BOETZELAER | ||
République fédérale d'Allemagne | M. von TRÜTZSCHLER | ||
Royaume-Uni de Grande-Bretagne d'Irlande du Nord | M. HOARE | ||
Suède | M. PETREN | ||
Suisse (et Liechtenstein) | M. ZUTTER | ||
Turquie | M. MIRAS | ||
Yougoslavie | M. MAKIEDO | ||
Observateurs : | |||
Cuba | M. DUSSAG-FISHER | ||
Iran | M. KAFAI | ||
Haut-Commissaire pour les réfugiés | M. van HEUVEN GOEDHART | ||
Représentants d'organisations intergouvernementales | |||
Organisation internationale pour les réfugiés | M. STEPHENS | ||
Conseil de l'Europe | M. von SCHMIEDEN | ||
Représentants d'institutions spécialisées et autres organisations non gouvernementales Catégorie A | |||
Union interparlementaire | M. ROBINET de CLERY | ||
Catégorie B et Registre | |||
Caritas Internationalis | M. METTERNICH | ||
Comité consultatif mondial de la Société des Amis | M. BELL | ||
Comité de coordination d'organisations juives | M. WARBURG | ||
Comité international de la Croix-Rouge | M. LEDERMANN | ||
Commission des Eglises pour les affaires internationales | M. REES | ||
Conférence permanente des organisations bénévoles | Mlle de ROMER | ||
Congrès juif mondial | M. RIEGNER | ||
Conseil consultatif d'organisations juives | M. MEYROWITZ | ||
Conseil international des femmes | Mme GIROD | ||
Fédération internationale des amies de la jeune fille | Mme FIECHTER | ||
Pax Romana | M. BRENSAD | ||
Union internationale de protection de l'enfance | M. THELIN | ||
Union internationale des Ligues féminines catholiques | Mlle de ROMER | ||
World Union for Progressive Judaism | M. MESSINGER | ||
Secrétariat | |||
M. Humphrey | Secrétaire exécutif | ||
Mlle Kitchen | Secrétaire exécutive adjointe |
1. DISCUSSION GENERALE (suite)
Le PRESIDENT indique que le chef de la délégation française lui a fait observer au cours d'une conversation privée qu'il pourrait être souhaitable que les représentants parlent de la définition du terme « réfugié » dans leur déclaration générale, étant donné l'importance que revêt cette question pour les travaux de la Conférence. Toutefois, il serait bon que les représentants s'abstiennent d'entrer dans des détails techniques et qu'ils remettent à plus tard la soumission d'amendements à l'article premier du projet de convention ; il pourra être jugé utile alors de créer un Groupe de travail qui serait chargé de mettre au point un texte acceptable pour tous. Le Président pense que tout le monde sera d'accord pour considérer cette procédure comme étant la plus pratique.
Il en est ainsi décidé.
M. del DRAGO (Italie) déclare qu'il ne savait pas ce que le Président a indiqué au cours de la deuxième séance, à savoir que les opinions émises par le Gouvernement italien l'année précédente figuraient dans un document (E/1703/Add.6) préparé par le Secrétariat. Il estime néanmoins opportun de résumer les principaux éléments du point de vue du Gouvernement italien en la matière.
Le vif intérêt que porte le Gouvernement italien à ce problème est prouvé par le fait qu'au mois de juillet 1949, à la troisième session du Conseil général de l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR), il a demandé que l'élaboration d'une convention internationale pour la protection des réfugiés soit mené avec diligence. Le Gouvernement italien est extrêmement favorable à l'idée de réunir dans une seule convention tous les instruments internationaux pertinents actuellement en vigueur. Toutefois, il faudrait encore que certaines questions fondamentales fussent résolues de façon qui le satisfasse pour qu'il devienne partie à une telle convention.
Il est bien connu que l'Italie doit faire face à un problème toujours croissant causé par un excédent de population qui est une source de chômage. Aux étrangers « déplacés » viennent s'ajouter quelque 450 000 réfugiés italiens, dont 31 000 se trouvent dans des camps de l'Etat. Ces personnes sont devenues des réfugiés à la suite de la seconde guerre et des modifications territoriales qui résultent du Traité de paix.
Par suite de sa position géographique, l'Italie doit pourvoir aux besoins matériels de deux catégories différentes de réfugiés : ceux dont le déplacement a été provoqué par la deuxième guerre mondiale et ceux - toujours plus nombreux qui quittent les pays de l'Europe orientale pour chercher asile ailleurs. Ces deux groupes de personnes représentent un élément de trouble en raison de la précarité et de l'instabilité extrême de la situation internationale. La position de l'Italie est malaisée étant donné qu'elle se trouve près de la ligne de démarcation entre l'Europe orientale et l'Europe occidentale. Il est donc nécessaire d'envoyer les réfugiés actuellement en Italie dans des pays où ils peuvent se réinstaller en toute sécurité.
Pour que le projet de convention soit efficace et acceptable, il faut qu'il établisse une distinction nette entre les pays européens qui offrent un premier asile et les pays d'outre-mer qui acceptent les réfugiés en vue de leur réinstallation définitive.
La définition du terme « réfugié » qui apparaît dans le nouveau texte de l'article premier adopté par l'Assemblée générale et qui figure dans l'annexe à la résolution 429 (v) de l'Assemblée donne satisfaction, dans une large mesure, au voeu souvent exprimé par la délégation italienne de voir le plus grand nombre possible de réfugiés de toutes les catégories bénéficier d'une protection ; les réfugiés devraient tous être considérés purement et simplement comme étant les personnes malheureuses, privées de ressources sans foyer.
Le chapitre III du projet de convention, qui traite de l'exercice des professions, soulève des difficultés importantes pour le Gouvernement italien, qui ne saurait accepter aucune clause dont la mise en vigueur puisse aggraver de quelque façon que ce soit la situation sérieuse que créent la surpopulation et le chômage. Le Gouvernement italien se trouve chaque année en face d'un excédent d'un demi - million de naissances sur les décès, et on ne peut attendre de lui qu'il prenne des engagements au sujet recommandations relatives à la naturalisation des réfugiés qui viennent d'entrer sur son territoire.
Pour ce qui est des dispositions relatives au droit au travail, ce Gouvernement a sans cesse montré son désir de participer à toutes les oeuvres de caractère humanitaire entreprises dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies ou de toute autre association de peuples civilisés et démocratiques ; il pourrait donc s'engager à mettre en oeuvre, en Italie, une disposition de cet ordre dès que le chômage aura été ramené à un niveau qui reste à déterminer et qui sera calculé d'après la moyenne du nombre de chômeurs pendant un certain nombre d'années d'avant guerre.
Le Gouvernement italien pourra adhérer à la convention envisagée que si elle est acceptée par la majorité des pays qui reçoivent des réfugiés en vue de leur réinstallation. Il demandera une garantie lui assurant que les réfugiés autorisés à entrer en Italie pourront, conformément au statut qui leur sera conféré par la convention, quitter ce pays dans une limite de temps raisonnable, voire généreuse.
La création du Haut-Commissariat, qui doit succéder à l'OIR, intéresse tout particulièrement le Gouvernement italien ; ce Gouvernement estime que le Haut-Commissaire ne pourra tenir l'autorité dont il aura besoin pour l'accomplissement de sa tâche que des dispositions de la nouvelle convention envisagée. Etant donné que l'Italie n'est pas membre de l'Organisation des Nations Unies, il faudra prévoir un accord spécial de manière à assurer des relations de travail permanentes entre le représentant du Haut-Commissaire en Italie et les services intéressés du Gouvernement italien.
M. MAKIEDO (Yougoslavie) indique que l'attitude générale du Gouvernement yougoslave à l'égard du problème des réfugiés est bien connue et qu'il n'est pas nécessaire de l'exposer en détails. Elle procède essentiellement de raisons d'ordre humanitaire. La Constitution et la législation de la Yougoslavie contiennent certaines dispositions destinées à sauvegarder les droits et libertés des réfugiés.
Ces dispositions s'appliquent à tous ceux qui fuient les persécutions dont ils sont l'objet en raison de leurs opinions religieuses ou politiques ou de leur origine nationale ou raciale, à ceux qui cherchent refuge parce qu'ils luttent pour la démocratie ou qui ont besoin de liberté pour poursuivre leurs travaux scientifiques ou culturels, ainsi qu'à ceux qui ont été arrachés à leurs foyers par les troubles résultant de la guerre ou d'autres circonstances. Le Gouvernement yougoslave s'efforce d'adoucir la situation dos réfugiés sur son territoire en leur accordant des droits souvent égaux à ceux dont bénéficient les ressortissants yougoslaves. Il va donc même plus loin que certaines des dispositions envisagées dans le projet de convention.
Le problème des réfugiés est un problème d'ordre international et il est devenu tellement complexe qu'il ne peut être résolu que sur le plan international. Il est nécessaire d'obtenir l'accord des différents Etats pour réunir tous les instruments existants en une seule convention dont l'objet principal devrait être de soulager les souffrances d'un nombre incalculable d'êtres humains. Le Gouvernement yougoslave est disposé à prêter tout son concours pour l'accomplissement d'une telle tâche.
Le projet de convention peut servir de document de travail à la Conférence, mais il contient certaines dispositions restrictives qui ne sont pas favorables aux intérêts des réfugiés en général. Certaines de ces dispositions revêtent une importance capitale, alors qui d'autres présentent un intérêt moindre ; la délégation yougoslave a l'intention de déposer les amendements appropriés en temps voulu.
Le Gouvernement yougoslave considère que la définition du terme « réfugié » figurant dans l'article premier n'est pas satisfaisante, parce qu'elle n'est pas conçue en termes suffisamment larges et parce qu'elle fixe une limite de temps. Le Gouvernement yougoslave ne pourrait pas non plus accepter une définition qui omette d'exclure les personnes qui ont commis des crimes tels que ceux qui ceux qui sont définis à l'Article 14 (2) de la Déclaration universelle des droits de l'homme ou à l'Article 6 de la Charte du Tribunal militaire international. En l'absence de telles dispositions, des criminels de guerre notoires pourront continuer à trouver protection sur le territoire d'Etats membres de l'Organisation des Nations Unies.
Le Gouvernement yougoslave s'intéresse beaucoup à cette question car quelques unes des tyrannies les plus impitoyables que l'histoire ait jamais connues ne cesse de croître. Quant au texte du projet de convention, le Gouvernement yougoslave tient particulièrement à ce que diverses lacunes soient comblées et à ce que certaines dispositions soient insérées, prévoyant que les réfugiés devraient, à de nombreux égards, bénéficier du même traitement que les nationaux du pays d'asile ou de réinstallation. Il voudrait également que les Etats contractants s'engagent à empêcher que les réfugiés poursuivant des activités hostiles à leur pays d'origine constituent des associations politiques qui risquent de compromettre les relations amicales entre les deux pays intéressés. Il conviendrait aussi de prendre des mesures pour éviter que les réfugiés soient exploités à des fins politiques ou qu'ils soient organisés en formations militaires. Tout ce qui peut mettre la paix en danger devrait être interdit. La propagande incitant les personnes à chercher refuge dans un autre pays, ainsi que la propagande faite contre le rapatriement devraient également être interdites. La délégation yougoslave soumettra aussi, en temps voulu, des amendements précis sur ces questions. Elle sera toujours guidée par deux principes : la nécessité de favoriser le bien-être des réfugiés et la nécessité de maintenir la paix. Tous les représentants qui désirent sincèrement trouver une solution à ce problème feront certainement leurs ces deux principes.
M. ANKER (Norvège) déclare que, de l'avis de la délégation norvégienne, la discussion générale ne doit pas retarder indûment les travaux de la Conférence. La matière a déjà été abondamment examinée par le Comité spécial, aux travaux duquel la délégation norvégienne rend hommage, ainsi que par le Conseil économique et social et par l'Assemblée générale.
Le Gouvernement norvégien approuve en général les principes énoncés dans les textes soumis à la Conférence et il est disposé à signer, sous réserve de leur ratification, la convention et le protocole qui sortiront des travaux de la Conférence. Depuis longtemps, la Norvège porte un intérêt spécial aux problèmes humanitaires que pose la question des réfugiés. Elle considère qu'il n'est que naturel de prendre une part active aux travaux de l'Organisation internationale pour les réfugiés instituée par les Nations Unies après la deuxième guerre mondiale, et elle accepte allègrement les sacrifices financiers qu'impose cette participation. C'est un Norvégien, Fridtjof Nansen, qui avait été nommé Haut-Commissaire pour les réfugiés par la Société des Nations et c'est un autre Norvégien qui a été placé à la tête de l'Office Nansen créé après la mort de l'illustre explorateur. Il y a quelques années, après le rapatriement d'un nombre considérable de réfugiés, l'existence d'un « noyau résiduel » de ces réfugiés a posé un problème particulièrement angoissant. Il s'agissait de réfugiés n'ayant pu être rapatriés parce qu'incapables d'accomplir un travail utile, ou parce que trop âgés, infirmes ou invalides. Le Gouvernement norvégien avait alors décidé d'admettre sur son sol national un certain nombre de réfugiés aveugles et d'autres réfugiés provenant de ce groupe résiduel. Il continuera à faire en leur faveur tout ce qui lui sera possible.
Toutefois, le Gouvernement norvégien éprouve quelques difficultés à l'égard de certaines dispositions du projet de Convention ; c'est ainsi par exemple qu'il est préoccupé par la question faisant l'objet de l'article 19. En effet, l'on peut distinguer en Norvège deux systèmes d'assurances sociales. Le premier, qui comporte l'assurance-accident, la pension aux employés de l'Etat et l'assistance aux indigents s'applique à toute personne domiciliée en Norvège, qu'elle soit ou non ressortissante norvégienne. Le second, qui comporte l'assurance-vieillesse, les allocations familiales, les pensions aux aveugles, aux infirmes et aux marins, ne s'applique qu'aux citoyens norvégiens. Il convient toutefois de signaler, d'une part, que le Gouvernement norvégien envisage d'étendre à tous les marins domiciliés en Norvège depuis un certain temps le bénéfice de la pension versée aux marins nationaux ; d'autre part, la législation norvégienne offre la possibilité d'accorder, sous réserve de la réciprocité, le bénéfice de ce second système d'assurances sociales aux ressortissants étrangers résidant en Norvège pendant une certaine période. Des accords de ce genre ont été conclus en 1949 avec le Danemark, la Finlande, la Suède et l'Islande.
Cependant, la Norvège estime que les droits accordés aux réfugiés ne doivent pas dépendre de la réciprocité et le Gouvernement norvégien se propose d'amender la législation nationale, afin de la rendre conforme aux exigences de l'article 19 du projet de convention, si elle est adoptée.
La délégation norvégienne se réserve de présenter certains amendements au projet de convention et de formuler des observations détaillées lors de la discussion de chaque article du projet.
M. ZUTTER (Suisse) rappelle que la Suisse a toujours témoigné son ardent désir d'aboutir à une solution satisfaisante du problème des réfugiés. La situation géographique de ce pays le désigne en effet naturellement comme terre d'asile. Pendant la deuxième guerre mondiale, la Suisse a accueilli sur son territoire près de 300 000 réfugiés qui y ont séjourné pendant un temps variable. Elle est toute disposée à continuer à collaborer au règlement de la question des réfugiés et elle considère avec intérêt et sympathie tous les efforts accomplis dans ce sens par les organismes internationaux. Si la Suisse n'est pas devenue partie à certains accords internationaux concernant les réfugiés, sa législation a accordé à ceux-ci un traitement qui, à certains points de vue, est plus généreux que celui prévu par ces accords. Elle approuve dans ses grandes lignes le projet de convention et tout particulièrement les dispositions aux termes desquelles les réfugiés ne pourront être refoulés aux frontières des territoires où leur vie ou leur liberté serait menacée. Toutefois, la délégation suisse pense qu'il va sans dire que les Etats contractants devront s'engager à se prêter appui mutuellement et à aider leur pays où pénétrerait une masse de réfugiés en raison de sa situation géographique, en prenant chez eux certains de ces réfugiés. Il tombe sous le sens qu'un petit pays ne saurait accepter un nombre illimité de réfugiés sans mettre en danger son existence.
La délégation helvétique fera ultérieurement quelques observations et peut être des réserves sur certaines dispositions du projet de convention, mais elle accueille néanmoins dès maintenant ce projet avec sympathie.
M. ROCHEFORT (France) remercie le Président d'avoir accepté la proposition faite par la délégation française au sujet de la procédure à suivre pour la discussion générale du projet de convention. Il serait en effet difficile de traiter des droits des réfugiés sans avoir au préalable, au cours de la discussion générale, apporté certains éclaircissements sur l'article premier du projet de convention, c'est-à-dire sans savoir quels seraient les réfugiés qui bénéficieraient de la convention.
La Délégation française partage l'opinion exprimée par le Haut Commissariat et suivant laquelle, différant en cela des conventions précédentes, le projet actuel couvre les réfugiés en général.
Les seules restrictions sont : l'exclusion des réfugiés de caractère intérieur, ce qui n'est pas en réalité une exclusion puisque ces derniers ne sont pas des réfugiés au sens juridique du mot, et l'exclusion des réfugiés déjà couverts par une aide des Nations Unies. Et il faut noter à cet égard qu'il s'agit, ainsi que, l'a fait remarquer le représentant de l'Egypte, d'une exclusion provisoire et que cette clause est appelée à disparaître, non pas par un acte de volonté des puissances contractantes, mais à la suite des décisions que prendront les Nations Unies. On peut donc dire que cette clause comporte, en réalité, l'inclusion différée de ces réfugiés.
Le projet actuel n'impose pas de restriction géographique, puisque les mots « en Europe » ont disparu : les parties contractantes sont appelées à s'engager, non seulement en faveur des réfugiés originaires de l'Europe, mais à l'égard des réfugiés originaires de toutes les parties du monde, pour peu que ces derniers soient réfugiés en raison d'événements survenus avant le 1er janvier 1951.
Le maintien de cette date est la seule différence entre le champ de la protection statutaire (application du statut du Haut Commissariat) et celui de la protection contractuelle (application de la Convention).
Sans nul doute, le maintien d'une date est-il nécessaire, sinon comme l'a remarqué le Haut Commissaire, les gouvernements seraient appelés à signer, selon son expression, un chèque en blanc.
Toutefois, il faut remarquer que le projet actuel, même assorti d'une date, constitue lui aussi un chèque en blanc :
1 en raison de la possibilité indépendante de la volonté des puissances contractantes, d'étendre la Convention à des réfugiés déjà aidés par les Nations Unies, c'est-à-dire, en fait, les réfugiés arabes de Palestine ;
2 en raison du fait que, jusqu'à l'achèvement des travaux de la Commission d'enquête financés par la Fondation Rockefeller, il sera pratiquement impossible de savoir quels réfugiés autres que ceux qui sont originaires de l'Europe, pourront invoquer le bénéfice de la Convention.
Cette formule du chèque en blanc, on l'a justifiée devant l'Assemblée générale, toujours soucieuse de ne pas engager de trop lourdes dépenses administratives, en affirmant que cette extension du mandat n'entraînerait pas de dépenses supplémentaires, puisque le Haut Commissariat était conçu comme une autorité et non comme une Administration. Ceci vaut pour autant qu'il s'agit de la protection statutaire.
S'agissant du projet de convention, la question se présente différemment, puisqu'il ne s'agit plus d'une résolution de l'Assemblée générale mais de véritables engagements souscrits par les gouvernements.
On peut être partisan d'une formule tout à fait générale, s'appliquant à toutes les parties du monde, sans limitation de date ni de lieu. Mais cette coïncidence entre le champ de protection statutaire et celui de la protection contractuelle nécessite que le nombre des Etats adhérant à la convention soit, dans la mesure du possible, aussi grand que pour le statut.
La Délégation française avait considéré qu'une telle formule était souhaitable ; c'est pourquoi elle désirait voir le texte de la convention consacré par un vote de l'Assemblée générale. On entrait alors dans la voie d'une généralisation de la protection statutaire et contractuelle fondée sur l'existence d'une solidarité internationale, formule qui, malgré des inconvénients pratiques avait une certaine grandeur et aussi des avantages.
Mais, en réalité, nous sommes loin aujourd'hui de ce résultat. A l'Assemblée générale, 41 délégations ont voté l'art, 1er de la Convention, le seul qui ait été examiné par elle. Le Secrétariat a, semble-t-il, lancé 80 invitations. Or, cette conférence n'est pas autre chose que le Conseil de l'Europe un peu élargi. Les délégations sont au nombre de 23, et encore doit-on noter que 4 délégations représentant des Etats qui ne sont pas membres de l'Organisation des Nations Unies, de telle sorte que c'est réellement une petite fraction des 41 gouvernements qui ont adopté l'art. 1 à l'Assemblée générale, qui ont accepté de se déranger en vue de la signature de la Convention, fraction composée du reste, en très grande majorité, de pays européens.
Cela signifie qu'en réalité ceux qui ont imposé la disparition du mot « en Europe » l'ont fait sans le sentiment de responsabilités précises ; cela signifie qu'il s'agit toujours, en fait, des réfugiés de l'Europe ; cela signifie encore que les pays extra-européens où se trouvent des réfugiés d'Europe, ne désirent pas s'engager à leur égard.
Mais alors cela signifie également que le système de la protection généralisée a pratiquement échoué, et que tant en raison de l'absence d'un grand nombre de pays extra-européens où résident des réfugiés d'Europe, que de la position déjà connue de pays d'immigration ici présents, désireux de participer à l'établissement de la convention, mais décidés à ne pas la signer, sous prétexte que le problème de la protection ne se pose pas chez eux, il semble pratiquement exclu que la Conférence réussisse à donner aux réfugiés en général, à ceux d'Europe en particulier, un vrai statut international.
La délégation française est du reste heureuse de rejoindre ici également l'opinion exprimée par le Haut Commissaire selon laquelle il est important que même les pays où le problème de la protection ne se poserait pas, du moins pas de la même façon, veuillent bien signer le texte.
Ce monde n'est pas en effet le meilleur des mondes, même lorsqu'il s'agit de nouveau monde. La protection juridique n'est qu'un aspect des choses. Il faut prévoir là-bas comme ici les variations de l'opinion, la méfiance qui tient à la division du monde, pour comprendre que tout réfugié, même sévèrement sélectionné, a besoin d'une protection tant qu'il n'est pas citoyen (et il ne le sera pas dans les pays dont il s'agit avant 5 ans). De qui et de quoi pourra-t-il alors se prévaloir ? Du Haut Commissariat sans doute, mais il s'agira d'un recours fondé sur des résolutions de l'Assemblée générale et non pas sur des engagements du gouvernement intéressé.
Quoi qu'il en soit, la délégation française doit constater, par la composition même de cette conférence, et par les positions prises dans cette conférence par certaines délégations, l'échec du système de protection généralisée auquel la France avait donné son adhésion.
En fait, la conférence réunit seulement des pays qui s'intéressent aux réfugiés d'Europe, et l'on ne saurait attendre des pays d'Europe qu'ils puissent, dans ces conditions, s'engager à l'égard des réfugiés originaires de pays du monde qui ne sont pas ici présents. Quant à la grande famille des réfugiés de l'OIR dispersés dans le monde, elle jouira ici et là, des droits que les pays qui les ont reçus voudront bien leur donner et leur conserver dans le futur, mais sans engagement de leur part.
Comment ne pas conclure également dans ces conditions que le problème posé à partir d'une disposition générale d'où le mot « Europe » est absent, est un problème mal posé ?
Le problème est mal posé d'un autre point de vue : celui auquel a fait allusion à la deuxième séance le représentant du Comité international de la Croix Rouge quand il a parlé de la nécessité, dans certains cas, d'une solidarité, d'une assistance internationale ; les délégations de l'Italie et de la Suisse l'ont fait également remarquer par la suite. Or, pour tenir compte de la volonté d'une majorité extra-européenne qui n'est plus présente ici, il a fallu, en effet, au cours de l'élaboration du projet, faire disparaître toute mention de cet ordre, si ce n'est une vague allusion que ces pays ont bien voulu accepter de laisser figurer dans le préambule.
M. PETREN (Suède) désire présenter deux observations d'ordre général sur l'article premier.
En premier lieu, l'expérience a montré que certains réfugiés étaient persécutés parce qu'ils appartenaient à certains groupes sociaux. Le projet de convention ne prévoit pas ce cas et il conviendrait d'y introduire une disposition destinée à les couvrir.
En second lieu, le paragraphe A. 2 de l'article premier, relatif au champ d'application de la convention, fait état pour vivre en de son pays de raisons autres que la crainte de la persécution ; ces raisons échappent entièrement à une définition juridique. Pour cette raison, il apparaît préférable de supprimer ces dispositions dans le projet de convention.
M. HOARE (Royaume-Uni) déclare que le Gouvernement du Royaume-Uni se félicite de la proposition demandant d'achever la rédaction du projet de convention et de signer cet instrument. Elle constituera une charte extrêmement importante et très nécessaire aux nombreuses personnes qui se trouvent dans la situation infortunée de réfugiés. Il espère donc que le plus grand nombre possible d'Etats y adhéreront.
Il estime inutile d'ajouter quoi que ce soit aux paroles prononcées à la séance précédente par le Haut Commissaire pour les réfugiés au sujet de l'importance et de la valeur du projet de convention et de la méthode de travail que la Conférence devra suivre. Afin de réunir le nombre maximum d'adhésions à la convention, M. Hoare pense, comme le Haut Commissaire, que les délégations devront dans une certaine mesure accepter des solutions transactionnelles en ce qui concerne la rédaction de la convention. Il est donc disposé à accepter en gros la définition du terme « réfugié » telle qu'elle est donnée à l'article premier, bien que la délégation du Royaume-Uni eût préféré une définition plus large dans le sens indiqué par le représentant de la France.
Bien, qu'il n'ait pas l'intention de proposer des modifications fondamentales au texte du projet de convention il présentera ultérieurement des amendements et des propositions destinés à apporter des éclaircissements à ce texte. Toutefois comme le Président a invité les délégués à présenter des observations sur l'article premier, à ce stade de la discussion, il déclare maintenant, tout en se réservant de revenir plus tard sur cet article, que la délégation du Royaume-Uni est quelque peu préoccupée par le membre de phrase « elles tombent sous le coup des dispositions du paragraphe 2 de l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme » qui figure à la section E. Il suppose que ce membre de phrase vise l'exclusion des individus qualifiés de « criminels de droit commun » mais le texte n'indique pas clairement qu'il s'agit des criminels accusés ou condamnés dans leur pays d'origine ou dans le pays où ils ont cherché refuge. C'est là un point qui devra être examiné lorsque la section E viendra en discussion. Tout ce qui l'intéresse pour le moment, c'est l'idée que des « criminels de droit commun » puissent être exclus de la catégorie des réfugiés, même s'ils remplissent toutes les autres conditions. S'il est évident qu'il convient d'accorder aux Etats incapables de contrôler un énorme afflux de réfugiés et privés de la possibilité de faire un choix, le droit de refouler ou d'expulser les « criminels de droit commun » qui, dans tous les pays, constituent un élément indésirable, il estime que tant que ces criminels n'ont pas été expulsés, il n'y a aucune raison de leur refuser les droits envisagés par la convention, droits qui comprennent tous ceux qui appartiennent habituellement à la personne, tels que le droit d'ester en justice et le droit à la propriété. Il est injuste qu'une personne qu'il sera peut-être nécessaire par la suite d'expulser soit considérée en attendant comme un paria. Aussi, tandis qu'il conviendra sans doute de modifier quelque peu l'article 28, qui interdit absolument les expulsions, afin d'englober des cas comme ceux qu'il vient de mentionner, rien ne justifie l'exclusion desdites personnes du bénéfice des droits stipulés dans la convention.
M. WARREN (Etats-Unis d'Amérique) rappelle que les Etats-Unis d'Amérique ont été représentés au Comité spécial et que leur position est bien connue. Le Gouvernement des Etats-Unis s'intéresse à la rédaction d'une convention qui sera acceptable par le plus grand nombre possible d'Etats et, à cet effet, son pays offre son entière collaboration. Il est toutefois douteux que les Etats-Unis signent et ratifient cette Convention parce qu'elle n'est pas en accord avec leur législation nationale. La convention a été rédigée dans des termes adaptés à des pays qui, pour le traitement des résidents étrangers, appliquent un système de réciprocité. Conformément à la Constitution des Etats-Unis, à la législation fédérale et à celle des Etats, tous les résidents, y compris les étrangers, bénéficient de l'ensemble des droits et privilèges qui sont stipulés dans la convention. A bien des égards, la situation des réfugiés est la même que celle des ressortissants du pays ; par exemple, ils ont droit au bénéfice des assurances sociales et peuvent acquérir les droits de citoyen au bout de cinq ans. Toutefois, l'exercice de certaines professions leur est interdit et ils n'ont pas le droit de vote. En réalité, il n'y a aucune distinction entre les réfugiés et les autres étrangers résidant le pays.
La délégation des Etats-Unis examinera avec soin rédaction définitive de la convention. Si cette convention est acceptée par un grand nombre d'Etats, elle donnera aux réfugiés un statut juridique dans certains pays et leur apportera les éléments de base sur lesquels ils pourront édifier leur indépendance et se faire une vie acceptable.
Le Gouvernement des Etats-Unis pourrait difficilement accepter de prendre certains engagements et s'exposer à accepter sans réserves des réfugiés. Quelles que soient les mesures que les Etats-Unis prendront dans cet ordre d'idées, elles seront adoptées ultérieurement au moment où le problème se présentera. La politique passée des Etats-Unis est bien connue et n'a pas besoin d'être justifiée.
M. CHANCE (Canada) déclare que sa position est à peu près la même que celle du représentant des Etats-Unis. Depuis le début des travaux sur cette question au sein du Comité spécial, le Gouvernement canadien y a porté un intérêt sincère et espère que les délibérations de la présente Conférence aboutiront à un résultat constructif, acceptable par la majorité des Etats.
Un vaste océan sépare le Canada d'autres pays que le problème des réfugiés touche étroitement, aussi aborde-t-il ce sujet avec modestie et même humilité. Le Gouvernement canadien ne se trouve pas en présence d'un problème sérieux des réfugiés, mais il offrira ses bons offices pour aboutir à un compromis et pour améliorer le projet de convention
Toute personne, quelle que soit son origine, qui a « débarqué légalement » au Canada, cesse d'être un réfugiés. Elle ne bénéficie pas du droit de vote pendant une certaine période mais, en fait, elle est entièrement libre. Que le Canada adhère ou non à la convention, le peuple canadien continuera à traiter les réfugiés de la même façon que les autres immigrants de bonne foi qui bénéficient déjà dans le pays de tous les droits et de tous les privilèges que la convention s'efforce de garantir. M. Chance est loin de vouloir traiter les choses de haut en se fondant sur le seul fait que le Canada occupe une certaine situation géographique ; au contraire, il désire sincèrement voir élaborer une convention qui pourra être signée en toute sincérité par le plus grand nombre possible de pays.
Certaines difficultés découlent de la structure fédérale de son pays. Il désire signaler que même si le Canada signe l'acte final, la structure fédérale du pays est telle que les autorités provinciales sont souveraines en certains domaines. Il sait que le Secrétariat ne perd pas de vue cette considération et espère qu'il sera possible de rédiger un texte approprié pour la clause dite des Etats fédéraux.
Le PRESIDENT informe la Conférence que M. Henri Rolin, sénateur et Président de l'Union interparlementaire, a l'intention de faire une déclaration d'ordre général. Etant donné que M. Rolin ne pourra pas venir assister à la Conférence avant plusieurs jours, il conviendra de lui laisser prendre la parole dès son arrivée. Sous cette réserve, le Président estime qu'il peut considérer comme close la discussion générale.
MUSTAPHA Bey (Egypte) doute qu'il soit opportun de clore la discussion générale. Plusieurs représentants ont fait d'intéressantes déclarations qui auront certainement une influence sur la conduite des travaux de la Conférence. Il conviendrait, dans ces conditions, d'accorder aux délégations le temps nécessaire pour prendre connaissance de ces interventions, qui peuvent appeler des commentaires.
Le PRESIDENT admet que les délégations auront besoin d'un certain temps pour étudier les divers arguments qui ont été présentés. De plus, elles ne pourront examiner les déclarations d'ordre général que lorsque les procès-verbaux auront été distribués. Il propose donc que la Conférence passe à l'examen des divers articles, un par un, en commençant par l'article 2, étant entendu que les représentants pourront revenir sur les points à propos desquels ils désirent faire des déclarations d'ordre général. En d'autres ternes, la discussion générale ne doit pas être considérée comme définitivement close.
La proposition du Président est adoptée.
2. ARTICLE 2 DU PROJET DE CONVENTION RELATIVE AU STATUT DES REFUGIES (A/CONF.2/1, A/CONF.2/10, A/CONF.2/12, A/CONF.2/18) - OBLIGATIONS GENERALES
Le PRESIDENT signale que les représentants de la Belgique et de l'Australie ont déposé des amendements (A/CONF.2/10 et A/CONF.2/12) à l'article 2. Il invite ces représentants à exposer leurs propositions.
M. HERMENT (Belgique) précise que son amendement prote surtout sur la forme. La convention est un instrument qui sera conclu entre des Etats et auquel les bénéficiaires, c'est-à-dire les réfugiés, ne sont pas parties. La convention ne peut donc pas imposer directement aucune obligation aux réfugiés, et il convient de modifier la forme de l'article 2. C'est la raison pour laquelle la délégation belge présente un amendement à cet article.
M. SHAW (Australie), rappelant les déclarations des représentants des Etats-Unis et du Canada, indique que l'intérêt qu'il porte lui-même à cette question est également d'ordre général. Le projet de convention ne concerne pas directement l'Australie puisqu'elle n'octroie aux émigrants aucun avantage dont la législation australienne ne les fasse déjà bénéficier ; les réfugiés qui résident en Australie, comme tous les autres étrangers, jouissent pratiquement des mêmes droits et des mêmes privilèges que les ressortissants britanniques. L'intérêt que l'Australie porte au projet de convention provient du désir d'assurer aux réfugiés une définition satisfaisante de leur statut. La convention soulève, pour le Gouvernement de l'Australie, quelques difficultés au sujet des dispositions du Plan de réinstallation des personnes déplacées qui intéressent les immigrants entrant en Australie. C'est pour cette que M. Shaw a déposé son amendement.
En 1947, lorsque le Plan de réinstallation des personnes déplacées a commencé à être mis en oeuvre, le Gouvernement australien s'est engagé à procurer des possibilités de réinstallation à des émigrants choisis et aussi à trouver un emploi à toutes les personnes susceptibles d'être employées et ayant été choisies conformément au Plan de réinstallation. Son gouvernement a aussi accepté que les conditions de travail et le taux des salaires de ces employés ne soient pas moins favorables que ceux dont jouissent les Australiens occupés à un travail identique. Le Gouvernement australien n'a pu prendre cet engagement que parce qu'il contrôle l'emploi des personnes déplacées immigrantes. Aussi des stipulations appropriées ont-elles été insérées dans l'accord conclu avec l'Organisation internationale pour les réfugiés et chaque immigrant a été invité à signer l'engagement suivant :
Je comprends parfaitement que je dois demeurer dans l'emploi qui m'a été trouvé pendant une période d'au moins deux ans et que je ne pourrai changer d'emploi au cours de cette période sans le consentement du Département de l'immigration.
Dès le début, il a été précisé que le contrat de l'émigrant était conclu avec le Gouvernement australien et non pas avec un employeur déterminé, si bien que, dans le cas où l'emploi ne conviendrait pas, par la faute soit de l'employeur, soit de l'employé, il serait possible d'y porter remède.
Le Plan prévoit un rythme rapide pour l'entrée des émigrants, qui ne peut être maintenu pendant une période prolongée que si l'on assure que certaines industries et certains services essentiels disposent d'assez de mains-d'oeuvre pour augmenter leur production proportionnellement à l'accroissement de la population. L'octroi sans réserve du droit de se fixer librement en Australie aurait imposé aux régions métropolitaines une proportion exagérée d'émigrants nouvellement arrivés.
A ces deux considérations se rattache la nécessité pour l'Australie de développer ses ressources. La main-d'oeuvre nécessaire à cet effet ne peut être obtenue que par l'immigration, mais cet objet ne peut être accompli qu'en prenant des dispositions pour que cette main-d'oeuvre supplémentaire soit convenablement employée.
Le choix des émigrants, la participation à leurs frais de voyage en Australie, l'organisation de leur réception et, d'une façon générale, l'aide qui leur est donnée pour les adapter à leur rôle dans la collectivité, entraînent pour le Gouvernement australien des dépenses considérables. Ce gouvernement a donc jugé raisonnable que les migrants reconnaissent leurs devoirs à l'égard de leur nouveau pays et continuent, pendant une période limitée, le travail pour lequel on avait le plus besoin d'eux.
Le Plan a été également avantageux du point de vue de l'émigrant. L'engagement pris par l'émigrant de rester pendant deux ans dans l'emploi qui lui est procuré a pour contrepartie l'engagement pris par le Gouvernement australien de lui trouver de l'ouvrage. Cet engagement donne à l'émigrant l'assurance qu'il sera occupé à un travail rémunérateur dès son arrivée. Il l'empêche aussi d'être exploité par des employeurs sans scrupules parce que tous les emplois occupés par les émigrants ont été l'objet de vérifications soigneuses de la part du Service de l'emploi du Commonwealth avant qu'un emploi soit donné.
Ce Plan donne aux émigrants la possibilité de se familiariser avec l'Australie, d'une façon générale, et avec les conditions de travail du pays d'acquérir quelques notions de la langue et, assez souvent, d'accumuler de petites sommes d'argent avant d'être livrés à eux-mêmes. Il les familiarise avec au moins un genre de travail accompli dans les conditions particulières à l'Australie, travail qu'ils pourront poursuivre, comme le font la plupart d'entre eux à l'expiration de leur contrat. Il leur permet de prendre contact avec la collectivité australienne dans une mesure qui n'aurait pas été possible autrement, et ainsi il facilite leur assimilation.
Dans une grande mesure, le succès du Plan de réinstallation des personnes déplacées est dû au respect des contrats par les émigrants. Ce respect a puissamment contribué au fait que plus de 164 000 personnes déplacées ont été accueillies dans la collectivité australienne avec un minimum d'inconvénients.
Conformément aux nouveaux accords de migration qui entrent en vigueur en 1951 pour les émigrants en provenance des Pays-Bas et de l'Italie, les gouvernements de ces deux pays qui, naturellement, se préoccupent du bien-être de leurs ressortissants à l'étranger, ont admis qu'un contrat de deux ans garantit au mieux les intérêts des émigrants et ils ont accepté ces stipulations pour les émigrants de leurs pays qui viennent en Australie.
On peut considérer que les articles 3, 12, 14 et 21 du projet de convention sont en désaccord avec les conditions du contrat australien de deux ans, aussi le représentant de l'Australie a-t-il déposé sont amendement en supposant que l'article 2 a trait à l'ensemble de la Convention. Il approuve également la façon dont l'amendement belge (A/CONF.2/10) aborde cette question et il propose que les deux amendements soient fondus par l'adjonction des mots « et de respecter les conditions auxquelles avait été subordonnée son entrée dans le pays » après les mots « maintien de l'ordre public » de l'amendement belge.
M. ROBINSON (Israël) se rend compte de l'importance particulière que le représentant de l'Australie attache à son amendement. Il estime que rien ne devrait empêcher de lui donner satisfaction, soit par l'adoption de l'amendement qu'il a proposé, soit autrement.
En revanche, l'amendement présenté par la délégation belge s'écarte radicalement des intentions qui sont à la base de l'article 2. L'orateur rappelle qu'au moment où l'on a élaboré le texte de l'article 2, de nombreux représentants l'avaient jugé superflu. Certains avaient fait valoir que les lois d'un pays s'appliquent de toute évidence aux réfugiés et aux étrangers en général aussi bien qu'aux ressortissants de ce pays lui-même. L'article 2 a été inséré dans le texte pour des raisons psychologiques et pour maintenir l'équilibre, le projet de Convention ayant tendance à insister par trop sur les seuls droits et privilèges des réfugiés. Du point de vue psychologique, il est opportun qu'un réfugié qui se reporte à ce texte puisse y relever les obligations qui lui incombent vis-à-vis de son pays d'accueil. L'article 2 par conséquent assortit l'article premier d'une réserve.
Mais l'amendement belge modifierait totalement le sens de l'article 2. Si cet amendement est adopté, les réfugiés qui, par exemple, se sont rendus coupables d'une infraction vénielle à la loi se trouveront privés de tous leurs droits et privilèges. Si l'on veut transformer les réfugiés en saints, on anéantira en fait les effets de la Convention. De plus, il est indéniable - encore que l'orateur soit persuadé de la bonne foi des pays signataires - que la xénophobie se manifeste dans certains pays et que des fonctionnaires subalternes prévenus contre les réfugiés pourraient fort bien chercher des prétextes pour les priver de leurs droits. Les réfugiés ne doivent pas être pénalisés outre mesure pour de légères infractions. Dans ces conditions, l'orateur demande au représentant de la Belgique de réfléchir encore une fois à son amendement.
M. HOARE (Royaume-Uni) appuie entièrement l'intervention du représentant de l'Etat d'Israël. Il comprend bien les difficultés dont a fait état le représentant de l'Australie, car les mêmes difficultés se produisent au Royaume-Uni où les immigrants viennent principalement de pays de l'Europe continentale.
L'orateur estime que les articles 12 et 13 suffisent entièrement. L'article 12 dispose que les Etats contractants accorderont à tous les réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire le traitement le plus favorable accordé dans les mêmes circonstances aux ressortissants d'un pays étranger. En d'autres termes, les réfugiés seront admis dans ces pays dans des conditions équivalentes à celles qui s'appliquent à l'admission d'autres étrangers de catégorie analogue. Si c'est bien là ce que signifient les termes « dans les mêmes circonstances », la question est réglée. Sinon, il faudra modifier le texte de l'article 12.
Si l'orateur interprète correctement les nombreux articles de la convention, leur effet général sera d'assimiler le régime des réfugiés à celui des autres étrangers. Cet effet général se trouve limité par les mots « dans les mêmes circonstances », puisque les étrangers ne sont pas obligatoirement traités de manière uniforme, mais, dans bien des cas, suivant les circonstances particulières à chacun et les facteurs qu'ils peuvent faire valoir.
D'après l'amendement belge, chaque Etat serait libre de retirer le bénéfice du statut de réfugié à un réfugié coupable d'une infraction aux lois de ce pays. Or, on donnerait ainsi une interprétation tellement large à l'article 2 que l'orateur, pour sa part, hésitera à l'accepter. En fait, tous les droits que la Convention doit conférer aux réfugiés se trouveraient ainsi annulés.
M. HERMENT (Belgique) pense que le représentant d'Israël a exagéré la portée de l'amendement belge. Il ne s'agit en réalité, comme il a déjà été indiqué, que d'une question de forme. On ne peut inscrire dans une convention une obligation à l'égard de personnes qui ne sont pas parties à cette Convention. L'amendement belge permettra cependant aux Etats contractants de retirer le bénéfice des dispositions de la convention aux réfugiés qui contreviendraient aux lois et règlements du pays d'accueil ou qui ne s'acquitteraient pas de leurs devoirs vis-à-vis de ce pays ou encore qui troubleraient l'ordre public. La délégation belge persiste à croire que si la Convention peut accorder des droits à des réfugiés, elle ne pourrait raisonnablement leur imposer des obligations pures et simples comme ce serait le cas s'ils étaient parties contractantes à la Convention.
M. CHANCE (Canada) comprend le point de vue adopté par représentant de la Belgique, mais il partage aussi les préoccupations du représentant de l'Etat d'Israël et du représentant du Royaume-Uni qui craignent l'insertion, dans le Pacte, d'une clause qui pourrait en annuler les effets.
Le Canada se trouve dans une situation analogue à celle de l'Australie en ce sens qu'il a, lui aussi, estimé nécessaire dans l'intérêt même des immigrants, qu'il s'agisse de réfugiés, de personnes déplacées, ou d'autres immigrants, de leur imposer l'obligation de ne pas changer d'emploi pendant au moins une année à moins qu'ils ne disposent de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins. D'autre part, son pays ne se trouve pas dans la même difficulté que l'Australie au sujet du texte de la Convention. Le représentant de l'Australie a dit qu'un réfugié après avoir été admis sur le territoire australien cesse d'être un réfugié, au sens que ce terme revêt dans la Convention. En fait, il a ainsi acquis un statut juridique nouveau. Dans ces conditions, il estime que le délégué du l'Australie n'a guère de raisons de se montrer inquiet. De toute façon, s'il faut amender le texte, c'est plutôt l'article 12 qu'il conviendrait de modifier.
MUSTAPHA Bey (Egypte) estime que les appréhensions qu'a fait naître l'amendement belge sont entièrement injustifiées. L'amendement belge constitue, en effet, non pas une règle formelle et positive prévoyant des sanctions aux contrevenants, mais bien plutôt une règle morale. Certes, il y a relation de cause à effet entre l'article 2 et l'article 27, mais c'est ce dernier qui revêt un caractère punitif. De toute façon, que l'amendement belge soit adopté ou non, la délégation de l'Egypte pense qu'il est nécessaire d'ajouter à la fin de l'article 2 les mots « et des bonnes moeurs » car celles-ci sont inséparables de l'ordre public.
M. ROCHEFORT (France) présente un amendement (A/CONF.2/18) à l'article 2.
Cet amendement est inspiré de craintes que la France éprouve et qui se sont aggravées depuis quelque temps. Il est nécessaire que les pays d'accueil qui reçoivent des réfugiés clandestins aient à leur disposition les moyens propres à réprimer éventuellement les activités de certains réfugiés qui seraient susceptibles de menacer la sécurité intérieure ou extérieure.
M. von BOETZELAER (Pays-Bas) déclare apprécier à leur juste valeur les raisons pour lesquelles l'Australie a présenté son amendement, mais il estime que la portée de ce texte est peut-être l'admission des réfugiés à toutes sortes de conditions. C'est pourquoi l'orateur demande au représentant de l'Australie d'attendre la discussion de l'article 12 avant d'insister en faveur de l'adoption de sa proposition.
Quant à l'amendement présenté par la Belgique, l'orateur s'associe à l'avis exprimé par le représentant du Royaume-Uni.
M. SHAW (Australie) déclare que l'intervention du représentant du Canada où il a été question du sens que la Convention donne au terme « réfugié », soulève le problème de l'article premier. Comme la délégation australienne n'est pas précédemment intervenue dans la discussion de cet article, l'orateur s'est jusqu'à présent abstenu de soulever cette question, de peur qu'elle ne donne lieu à un débat prolongé. Les services d'immigration australiens estiment que les termes « dans les mêmes circonstances », qui figurent à l'article 12, ne sont pas suffisamment clairs puisqu'ils expriment sous une forme négative ce qui serait mieux dit sous une forme plus positive. La même difficulté se présente aux articles 3, 13, 14 et 21. En admettant qu'il accepte une formule plus développée pour exprimer l'idée dont il s'agit, cette formule devrait alors figurer dans tous ces articles. C'est pourquoi M. Shaw a estimé qu'il serait plus opportun de faire figurer dans la Convention une clause générale, soit à l'article 2, soit à l'article 3. L'amendement australien peut être placé tout aussi bien à l'un ou à l'autre de ces deux articles mais, à son avis, les difficultés devant lesquelles se trouvent les services d'immigration australiens ne seront pas éliminés simplement par une modification de l'article 12 et des autres articles mentionnés.
La séance est levée à 13 heures.