Intervention de M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la réunion conjointe CAC/CP, le 2 juillet 1986
Intervention de M. Jean-Pierre Hocké, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à la réunion conjointe CAC/CP, le 2 juillet 1986
Monsieur le Président, je vous remercie.
J'aimerais dans ma brève intervention me concentrer sur quelques aspects de principe qui se dégagent de document extrêmement positif et intéressant que vous nous avez remis ainsi que des remarques d'introduction que vous avez faites hier matin. Je me réserve la possibilité, dans le cadre de la discussion qui s'engagera, d'apporter quelques précisions sur certains points spécifiés que j'ai relevés dans ce document.
Deuxièmement j'aimerais souligner d'emblée que le HCR a reconnu de longue date la nécessité d'une coordination et je me risquerais même à affirmer qu'au cours de ces dernières années, des progrès importants ont été faits. Donc, comme vous l'avez proposé, Monsieur le Président, je crois qu'il s'agit essentiellement de persévérer dans cette direction et de renforcer les mesures qui, dès que la situation l'impose, permettent la mise en place de mécanismes de coordination précis et efficaces.
Avec votre permission, je souhaiterais néanmoins opérer une distinction. Je crois que même si l'assistance se caractérise la plupart du temps par la distribution de secours, la fourniture de soins médicaux et d'autres initiatives en faveur des victimes dont nous tentons de soulager les maux, il convient toutefois de la moduler selon les diverses situations auxquelles le HCR doit faire face. En effet, je pense qu'il y a des différences importantes selon qu'il s'agisse de ce que l'on appelle des catastrophes naturelles ou des catastrophes causées par l'homme, et dans cette deuxième catégorie, il faut garder à l'esprit, et rappeler sans cesse, que le mandat du Haut Commissaire est avant tout un mandat de protection.
Les situations relevant de cette deuxième catégorie se caractérisent par la perte temporaire d'un protecteur naturel puisqu'en l'occurrence un réfugié franchit la frontière de son pays ; à partir de ce moment-là et jusqu'à ce qu'il puisse rentrer chez lui ou trouver une solution adéquate, il faut qu'il puisse être assuré du respect de son intégrité et de sa dignité. C'est à mon avis la raison profonde pour laquelle, en 1951 et, déjà au siècle dernier, avec l'apparition du droit de la guerre, la communauté internationale a reconnu cette évidence et s'est engagée par avance à garantir cette intégrité et cette dignité. Dans ces situations-là, il est à mon sens pratiquement impossible de dissocier la protection de l'assistance. En effet, ce qui importe c'est de s'assurer que la population tout entière, qu'elle soit réfugiée ou déplacée à l'intérieur d'un pays, bien souvent en raison d'une opposition au gouvernement en place, puisse être assistée selon ses besoins où qu'elle se trouve. Dans cette optique, s'il est vrai que, sur le plan concret de l'assistance, aucun mandat, comme vous l'avez dit hier à juste titre, ne doit faire obstacle à cette coordination et à cette volonté de tout mettre en oeuvre pour concourir à une plus grande efficacité et couvrir tous les besoins, il n'en reste pas moins que la fonction de protection est aussi précieuse que fondamentale. Chacun sait que, dans l'état actuel des relations internationales, la tentative de relancer la formalisation et la codification de principes de protection et de règles n'aboutirait à rien et que, au contraire, on enregistre bien souvent un phénomène d'érosion de ces textes juridiques.
Je souhaiterais donc que chacun garde à l'esprit que ces conventions représentent, en l'état actuel des choses, un consensus optimal sur ce que signifie la protection de victimes au sein de la communauté internationale et qu'il y a lieu de la préserver à tout prix avant même de songer à l'élargir. Je rappelle que ces observations se fondent sur la différence qu'il convient d'établir entre catastrophes naturelles et catastrophes causées par l'homme.
Pour être tout à fait explicite et éviter tout malentendu, cette distinction n'implique en rien que le HCR veuille éluder la discussion ou se dissocier des efforts de coordination que vous avez souhaités. Cela dit, je souhaiterais tout simplement franchir un pas de plus et suggérer très modestement que, parallèlement aux efforts que vous jugez essentiels pour renforcer cette coordination dans le domaine de l'assistance, une tentative comparable soit faite au niveau politique en vue de trouver et de mettre en oeuvre des solutions.
Je pense qu'un grand danger, dû d'ailleurs au succès relatif de l'action humanitaire au cours des dix ou quinze dernières années, guette aujourd'hui l'assistance humanitaire accordée sous la forme de fourniture ce vivres et de soins médicaux ; ce danger réside dans la tentation, pour certains, de se retrancher derrière cette assistance et de refuser de s'engager rapidement et résolument dans la recherche de solutions, c'est-à-dire dans le retour à la paix. Je pense que pour éviter ce danger, il est indispensable, dès l'instant où une crise éclate, non seulement d'agir et d'assister mais de rechercher simultanément des solutions. Chacun sait, en effet, que ces solutions sont difficiles à trouver et qu'il faut beaucoup d'énergie et de détermination pour les mettre en oeuvre. Donc, de ce point de vue là, on ne commencera jamais assez tôt. A ce propos il me semble que dès l'instant où les mécanismes mis en place ces dernières années, que ce soit en Asie ou en Afrique, ont pris en considération les deux niveaux opérationnel et politique de la coordination, non seulement les activités d'assistance en général ont réussi mais encore l'on s'est singulièrement rapproché de solutions possibles, sans d'ailleurs toujours les atteindre.
C'est, Monsieur le Président, l'essentiel des remarques que je voulais faire et livrer à votre attention ce matin. Pour le reste, comme je l'ai dit, je me réserve d'intervenir dans le débat sur des points spécifiques.
Je vous remercie.