Discours prononcé par le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et Président du Comité de la Médaille Nansen, à l'occasion de la remise de la Médaille Nansen pour 1968 à M. Bernard Arcens, le 10 octobre 1968
Discours prononcé par le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et Président du Comité de la Médaille Nansen, à l'occasion de la remise de la Médaille Nansen pour 1968 à M. Bernard Arcens, le 10 octobre 1968
Monsieur le Président,
Nous voici a nouveau réunis, on cette salle ou chaque année la communauté internationale s'efforce de combattre la guerre et ses fléaux, alors qu'en même temps elle recherche le bien-être des peuples, ainsi que l'a prévu la Charte en fixant les objectifs du Conseil économique et social, dont beaucoup d'entre nous suivent chaque été les délibérations.
Nous sommes ici en ce jour, non seulement pour rendre un hommage si mérité a ceux qui se sont mis au service de la cause des réfugiés, mais aussi pour évoquer la misère des milliers de déshérites et de déracinés qui sont pourchassés d'une contrée à l'autre. Il est bon, à l'occasion de cette cérémonie, de nous recueillir un instant, de penser au but de notre activité et de nous demander comment faire pour l'atteindre plus vite afin de soulager la misère des réfugiés.
Qui aurait pu penser en effet, lors de la création par Fridtjof Nansen de l'oeuvre d'assistance internationale aux réfugiés et lors de la signature de la Charte qui proclame à nouveau la foi des peuples ans les droits fondamentaux et la dignité de l'homme, qu'aujourd'hui - après un demi-siecle de coopération internationale - le monde devrait encore faire face a des problèmes de réfugiés aussi tragiques et aussi désespères. Et pourtant tel est bien le cas.
A une époque ou le progrès moderne marche à pas de géant et ou les moyens de soulager la misère ne font certes pas défaut, n'est-il pas étonnant que, à l'échelle des individus, des familles, des villages ou des villes dans certaines régions du monde, l'oeuvre de l'homme se trouve anéantie et que des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants soient dans un dénuement complet, en quête d'un refuge, d'un toit et d'un peu de nourriture pour pouvoir survivre. Pourtant, à mesure que les moyens de communications deviennent plus rapides et les méthodes d'assistance plus efficaces, il devrait être plus aise de secourir l'individu. Ainsi que l'a dit Fridtjof Nansen, dont nous honorons aujourd'hui également la mémoire, il n'y a de solution pour l'humanité que dans l'amour du prochain. C'est en s'inspirant de cette pensée que Nansen a entrepris son oeuvre pour les réfugiés, en cette même ville de Genève, bercail de l'activité humanitaire internationale.
Quelques uns d'entre vous as souviendront encore de cette époque qui a marqué le début de l'oeuvre d'assistance internationale aux réfugiés. Alors limité à quelques pays d'Europe, ce problème humanitaire, qui demeure l'une des plaies de notre siècle, devait bientôt s'étendre à d'autres pays, puis a d'autres continents, au gré des bouleversements d'ordre politique et social qui ont suivi la première et la deuxième guerre mondiale. A mesure que ces problèmes gagnaient en ampleur et que s'organisait l'aide aux réfugiés, la communauté internationale a bénéficié d'un concours toujours crossant des institutions bénévoles, de milliers de personnes privées qui appuient l'activité de ces organisations et, enfin, de personnalités exceptionnelles qui se sont vouées à cette oeuvre humanitaire. Qu'il s'agisse d'hommes d'Etat, de travailleurs bénévoles ou d'institutions non-gouvernementales telle que la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge, les lauréats de la Médaille Nansen ont eu toujours ceci en commun qu'ils se sont consacrés corps et âme, chacune selon ses moyens, a l'oeuvre dont nous avons la charge ; en Europe d'abord puis dans les pays d'outre-mer, à mesure que les nouveaux problèmes s'y sont manifestés, et, aujourd'hui, Afrique.
C'est sur ce continent, vous le savez, que le problème des réfugiés se présente aujourd'hui avec le plus d'acuité, que la misère sévit et qu'une action humanitaire s'impose à l'échelle où elle peut être menée à notre époque. Néanmoins, en Afrique comme ailleurs, lorsqu'il s'agit de venir en aide aux déshérites, les concours s'offrent de toute part, à commencer pas l'accueil si généraux que la population locale accorde à ses frères d'outre-frontière. Il est permis, je crois, de dire qu'en Afrique, la générosité spontanée est à la mesure des vicissitudes auxquelles l'homme et femmes prêts à se sacrifier pour venir en aide à autrui, surgisse un véritable bienfaiteur de ses semblables, tel que vous, Monsieur Arcens, que nous désirons honorer aujourd'hui.
Je ne peux m'empêcher, en ce moment, de panser à notre première rencontre à Ziguinchor, dans cette belle province de Casamance, lorsque vous m'avez fait part des soucis que vous causait l'état de santé des réfugiés. Votre force de persuasion, je dois le dire, ne le cédait en rien a vos convictions. A ce moment-là, le Sénégal avait déjà généreusement donne asile aux milliers de réfugiés qui avaient trouvé dans la province de Casamance un accueil particulièrement chaleureux auprès de la population locale. En ouvrant toutes grandes ses portes aux nouveaux venus, en les recevant comme les membres d'une même famille, elle a permis ce miracle d'une intégration spontanée, précaire sans doute à ses débuts, mais immédiate, sans heurt, et combien fraternelle. Le Comité Nansen a voulu donc, à travers vous, rendre également hommage à cette population de la Casamance ainsi qu'au peuple sénégalais tout entier, à ses édiles et au magnifique élan de solidarité humaine que les a animés, les uns et les autres.
Mais sans doute, M. Arcens, êtiez-vous prédestiné à assumer le rôle que des circonstances inattendues vous ont appelé à jouer dans le domaine de l'aide aux réfugiés. C'est ce que donne en effet à penser la contribution importante que vous apportez depuis longtemps déjà à la vie économique et sociale de la Casamance.
Etant donne vos qualités de coeur et d'esprit et votre vocation pour les oeuvres humanitaires, il n'y a rien de surprenant d'autre part à ce que vous ayez été appelé à la présidence d'organisations bénévoles telles que le Secours catholique et la Société de la Croix-Rouge, soutiens fidèles de l'oeuvre d'assistance internationale aux réfugiés, et qui comptent déjà parmi les lauréats de la Médaille Nansen ; rien de surprenant non plus à ce que, lors de l'afflux de réfugiés dans la province de Casamance, vous ayez pris la tête du mouvement qui leur a permis d'envisager l'avenir avec confiance, agissant an sorte qu'ils ne perdent pas leur dignité d'homme.
En conjuguant vos efforts avec ceux du gouvernement sénégalais, des autorités locales qui font preuve de tant de compréhension, et des autres membres de la communauté internationale, vous avez aide des milliers de réfugiés à se refaire une nouvelle existence, à s'intégrer dans une nouvelle communauté et à bénéficier de l'aide médicale indispensable pour leur permettre de recommencer une existence normale.
Vous inspirant de la politique éclairée du Président Senghor, envers qui les réfugiés et nous tous avons une immense dette de reconnaissance, vous oeuvrez sans relâche pour que les réfugiés bénéficient d'un traitement semblable à celui des ressortissants du Pays. Vous avez su non seulement conquérir le coeur de ceux qui vous entourent, mais également rallier toutes les bonnes volontés et mobiliser tous les concours au service de la noble tâche que vous vous êtes assignée. Votre actions a acquis ainsi une valeur d'exemple qui, j'en suis sûr, contribuera à encourager tous ceux qui, en Afrique et ailleurs, ont la même vocation que vous et n'attendent qu'une occasion pour participer à l'oeuvre d'assistance aux réfugiés.
Au nom des réfugiés et du Comité chargé de décerner la Médaille Nansen, ainsi qu'en mon nom personnel, je tiens ici, en présence des membres de la communauté internationale, à vous remercier de tout coeur de la contributions que vous avez apportée a l'action humanitaire des Nations Unies.