Déclaration faite par le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors d'une réunion speciale de représentants des membres Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire, (le 27 juin 1972, Genève)
Déclaration faite par le Prince Sadruddin Aga Khan, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, lors d'une réunion speciale de représentants des membres Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire, (le 27 juin 1972, Genève)
Le 17 juillet 1972
Je voudrais d'abord souhaiter la bienvenue aux représentants qui participent pour la première fois aux réunions du Comité exécutif, et en particulier aux représentants et observateurs qui sont venus de pays lointains ou de capitales autres que Genève pour assister à cette réunion d'information. Je suis particulièrement heureux de pouvoir saluer la présence, parmi nous, de Sayed Mamoun Behairy, Président du Conseil d'administration du Fonds spécial de réadaptation créé par le Gouvernement soudanais pour le Soudan méridional, et de Sayed Hashim Osman, Directeur du Service des organisations internationales du Ministère soudanais des affaires étrangères.
Cette réunion doit surtout me permettre de vous informer des événements les plus importants qui sont survenus au Soudan après la conclusion de l'accord conclu entre le Gouvernement de la République démocratique du Soudan et le Mouvement de libération du Soudan méridional et ratifié le 27 mars à Addis-Abéba. Pendant dix-sept ans, vous le savez, un grave conflit a bouleversé la vie du Soudan méridional, soumettant à de très dures épreuves la population de cette partie du pays. En outre, ce conflit a créé un très important problème de réfugiés, ceux-ci ayant franchi la frontière du Soudan méridional pour chercher asile dans quatre pays d'accueil - l'Ethiopie, l'Ouganda, la République Centrafricaine et le Zaïre - où depuis de nombreuses années, le HCR exécute un programme d'assistance qui a surtout pris la forme de projets d'installation rurale et dont il a souvent été question au Comité exécutif. Il suffira de rappeler qu'une dizaine de millions de dollars on été dépensés depuis les premières manifestations du problème pour venir en aide aux réfugiés soudanais et assurer leur intégration.
De plus, le conflit du Soudan méridional a déraciné de très nombreux habitants de la région, qui se sont trouvés déplacés à l'intérieur du pays. Sur un total de 700 000 personnes environ, on ne compte guère moins de 200 000 réfugiés - ceux qui ont reçu l'aide du HCR dans les quatre pays d'asile - et 400 000 à 500 000 déracinés au Soudan méridional même.
Il est clair que l'Accord d'Addis-Abéba a pris au dépourvu, non seulement le Soudan, mais aussi le monde entier. Très vite, les autorités soudanaises ont compris qu'un vaste programme de secours d'urgence et de reconstruction allait s'imposer, non seulement pour rétablir une situation normale dans le pays - où depuis de très nombreuses années l'agriculture est complètement bouleversée, les communications interrompues et les bases de la vie économique inexitantes - mais aussi pour encourager les réfugiés et ceux qui se trouvent déplacés dans le pays à réintégrer leurs foyers. En fait, si ces populations reviennent dans leurs villages d'origine, dont bon nombre ont été détruits lors du conflit, elles devront bien évidemment faire face à des problèmes presque identiques à ceux qui se posent à tout réfugié à son arrivée dans un pays d'asile. En conséquence, le Gouvernement soudanais a lancé, par l'intermédiaire de son Président, un appel à la communauté internationale et il a prié le Secrétaire général de l'ONU de demander aux organisations rattachées aux Nations Unies d'entreprendre un programme massif de réadaptation, absolument indispensable au rétablissement d'une situation normale au Soudan méridional. Pleinement informé du rôle que le HCR avait joué pour aider les réfugiés du Soudan méridional qui se trouvaient dans les pays voisins, le Secrétaire général a coordonné son action avec celle du HCR. A la suite d'un échange de renseignements, sur les modalités particulières qui se prêteraient à la mise en oeuvre d'un programme d'aide des Nations Unies, le Secrétaire général a décidé que cette aide comporterait deux phases, celle des secours d'urgence et celle de l'aide à plus long terme, dont le Soudan méridional a évidemment besoin.
Dès le début, il était manifeste que le HCR aurait un rôle décisif à jouer, en raison avant tout de sa fonction traditionnelle, qui est de faciliter le rapatriement librement consenti. Il ne faisait non plus aucun doute que la reconstruction et la réadaptation de cette vaste région, oeuvre de longue haleine, dépasseraient les capacités du HCR.
Le Secrétaire général a donc décidé de demander au HCR d'être le principal coordonnateur des activités de la première phase, qui durerait un an environ et pendant laquelle il s'agirait en priorité, de créer des conditions propres à encourager les personnes déplacées et les réfugiés à réintégrer leurs foyers. Il faut espérer qu'en un an, la communauté internationale aura atteint le point où le Programme des Nations Unies pour le développement, et d'autres institutions spécialisées des Nations Unies, pourront prendre progressivement la relève de l'action d'urgence entreprise par le HCR, d'une manière telle que les deux programmes soient bien coordonnés.
A cet égard, depuis la conclusion de l'Accord d'Addis-Abéba, un certain nombre de faits nouveaux se sont produits, que j'aimerais évoquer devant vous.
Tout d'abord, sous la présidence du Secrétaire général, le Comité administratif de coordination a abordé la question à sa réunion de Londres, au début d'avril, immédiatement après la Conférence de Khartoum. A cette Conférence, qui s'est tenue au moment de la signature de l'Accord d'Addis-Abéba et à laquelle j'assistais, le gouvernement soudanais a fait connaître à un certain nombre de gouvernements, aux institutions bénévoles et aux organisations de Croix-Rouge les besoins à satisfaire en priorité. Pendant la réunion d'avril du CAC, le Secrétaire général a informé les chefs des institutions spécialisées de la demande qu'il avait reçue et il a mis le CAC au courant des mesures que les Nations Unies se proposaient de prendre. Le 2 mai, le Secrétaire général a confirmé la nécessité d'exécuter, avant la phase de reconstruction, un programme coordonné et immédiat de secours d'urgence et il a demandé que le HCR soit le principal coordinateur des activités des Nations Unies pendant la phase initiale. Le Secrétaire général a ajouté qu'il avait demandé à M. Peterson, Directeur du Programme des Nations Unies pour le développement, d'exercer les fonctions de « point central » pendant la phase de reconstruction à long terme. Par la suite, le Conseil économique et social a adopté, à sa session de mai/juin, une résolution sur l'assistance en vue de secourir les réfugiés soudanais et d'assurer leur réadaptation et leur réinstallation.
Par cette résolution, le Conseil économique et social prie le Secrétaire général, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés et le Directeur du PNUD, le FISE, le Programme alimentaire mondial, les institutions spécialisées des Nations Unies et les organisations non gouvernementales intéressées d'accorder au Soudan le maximum d'assistance possible dans ce domaine. Il demande instamment aux gouvernements de fournir toute l'aide possible au Soudan ; il les invite à recourir au mécanisme de coordination des Nations Unies, et définir le mandat du Secrétaire général en ce qui concerne l'action à entreprendre.
En outre - et, à mon avis, cela mérite d'être souligné ici - l'Organisation de l'unité africaine a tenu sa réunion au sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement à Rabat il y a à peine quelques semaines. Pendant cette réunion, à laquelle le Secrétaire général et moi-même assistance, le Président du Soudan, la délégation soudanaise et celles d'autres gouvernements africains ont discuté de l'importance du rôle des Nations Unies dans cette tâche. Je suis heureux de dire qu'à cette occasion, les Chefs d'Etat et de gouvernement ont apporté un nouvel encouragement à notre action en adoptant à l'unanimité une résolution par laquelle ils demandaient à nouveau à la communauté internationale et aux gouvernements africains d'aider au maximum le Soudan dans son effort de réadaptation.
Lorsque cette décision fut prise, j'ai demandé à M. Jamieson, mon conseiller principal, de se rendre en mission au Soudan méridional pour évaluer les besoins et déterminer les plus urgents d'entre eux. M. Jamieson est allé donc au Soudan, où les autorités soudanaises lui ont apporté leur plus entier concours. Il a entrepris un important voyage d'étude dans le sud du pays et il a pu - je suis heureux de l'indiquer ici - le faire coïncider avec celui de M. Paul-Marc Henrey envoyé au Soudan par le Directeur du Programme des Nations Unies pour le développement afin d'étudier les problèmes de reconstruction à long terme. M. Jamieson vous donnera un compte rendu de sa mission au cours de la présente réunion.
Il ne fait aucun doute que les réfugiés ne pourront pas réintégrer leurs foyers à moins que nous n'agissions très rapidement. Le drame des hostilités qui a marqué cette région a conduit à une paralysie généralisée. Permettez-moi de citer le Président du Soudan, qui m'a dit lors de mon séjour à Addis-Abéba : « Nous avons connu le drame de la guerre, mais il nous faut aujourd'hui faire face au drame et aux exigences de la paix ». Ces exigences sont claires : donner aux réfugiés, lors de leur départ du pays où ils ont été reçus avec générosité et où beaucoup d'entre eux étaient arrivés à subvenir à peu près à leurs besoins, un minimum d'assurance quant à la possibilité pour eux de trouver au Soudan un niveau de vie analogue à celui qui était le leur dans le pays qu'ils ont quitté.
Il ne faut pas leur donner l'impression qu'ils ne peuvent recevoir d'aide de la communauté internationale que lorsqu'ils se trouvent hors de leur pays. Il ne faut pas non plus feindre d'ignorer le fait que leurs villages ont été détruits, que la terre est restée en friche, que les outils et les instruments aratoires font défaut, qu'il n'existe plus ni écoles, ni dispensaires, ni hôpitaux et enfin, que les routes ne sont plus praticables ; sans cela, comment peut-on espérer leur voir reprendre une vie normale ? C'est ainsi qu'à la suite de la mission de M. Jamieson, nous avons défini ce que nous jugeons être les tâches prioritaires.
Laissez-moi vous dire combien je suis reconnaissant à plusieurs gouvernements des marques tangibles d'intérêt qu'ils nous ont données. Avant même qu'un appel n'ait été lancé, le Gouvernement des Pays-Bas a offert une somme de 150 000 florins à consacrer aux secours d'urgence que nous estimerions les plus importants, tandis que le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique affectait 25 000 dollars à l'achat d'instruments aratoires et d'outils à main, ce qui représente assurément l'une des priorités. Ce dernier gouvernement a annoncé en outre une importante contribution en nature sous forme de feuilles de polyéthylène, matériau spécial d'une importance capitale quand il s'agit de reconstruire des maisons ou d'installer des abris provisoires et qui, beaucoup d'entre vous s'en souviendront, a joué un rôle important dans l'aide que nous avons apportée aux réfugiés en Inde. Un abri sera ainsi assuré à 50 000 personnes environ. Je tiens à adresser mes remerciements à ces deux gouvernements.
M. Jamieson vous exposera les tâches prioritaires telles qu'ils les conçoit. Elles ont aussi été indiquées dans le document qui vous sera distribué et qui servira de base à l'appel que le Secrétaire général se propose de lancer dans quelques jours, quand il prendra la parole devant le Conseil économique et social.
Il faudra naturellement que les Nations Unies puissent très rapidement faire face aux exigences de la situation. Le problème des transports ne peut être résolu ni les secours acheminés en grandes quantités que si les routes ont remises en état. Il faut aussi organiser le transport de grandes quantités de vivres, qui se trouvent déjà dans certaines parties du pays, vers les villes des trois provinces du sud qui ont été les plus gravement touchées - celles de Bahr el Ghazal, du Haut Nil et d'Equatoria. Si j'évoque cet aspect du problème, c'est parce que, dans des situations antérieures du même genre, il a parfois fallu établir des ponts aériens. L'avion a été utilisé, le Comité exécutif s'en souviendra certainement, non seulement pour transporter des vivres en Afrique, mais aussi pour assurer le rapatriement des réfugiés et en particulier pour ramener les enfants nigérians dan leur pays et les rendre à leurs familles à la fin de la guerre. Dans le cas présent aussi, il faudra organiser un pont aérien au Soudan pour transporter environ 8 400 tonnes de sorgho doura, qui est l'aliment de base dans cette partie du pays. Ce sorgho se trouve déjà au Soudan, mais il faudra le transporter dans la région où il fait défaut. Il faudra aussi assurer la fourniture rapide de médicaments et d'autres produits dont la population a besoin de toute urgence.
En raison de l'urgence des livraisons à faire vers le sud, je lance un appel à tous les gouvernements membres du Comité exécutif pour qu'il envisagent dès maintenant de fournir des avions avec, si possible, les équipages nécessaires à l'organisation d'un pont aérien d'une durée de deux à trois mois. Plusieurs types d'avions peuvent se poser sur le terrain d'atterrissage de la région ; je serais donc reconnaissant aux gouvernements de bien vouloir accorder sans délai toute leur attention à cet appel.
Si j'attache une telle importance à la nécessité d'établir ce pont aérien, c'est surtout à cause des besoins immédiats, qui sont évidents. Mais il y a une autre raison, à savoir la nécessité de montrer concrètement aux populations du sud qu'une action a été effectivement mise en route. En fait, à mon sens, la clé de notre réussite ici, c'est la rapidité. Depuis longtemps, au Soudan, la population attend, en quelque sorte, un signe de progrès économique et social. A l'issue d'une guerre longue et acharnée, la communauté internationale sera, j'en suis sûr, disposée à aider le Soudan à restaurer la paix et à rétablir une situation normale dans la région. Si nous attendons trop longtemps, il sera peut-être très difficile d'apporter la moindre amélioration à la situation de cette partie du pays. La population n'a pas perdu espoir : je crois que l'accord d'Addis-Abéba a été accueilli partout avec un grand soulagement et beaucoup d'enthousiasme. Il a fait naître des espérances chez les populations du sud, qui en attendent des résultats tangibles.
De nombreuses réunions ont eu lieu, tant à Khartoum qu'à Genève. Nous avons déjà pris contact avec les organismes bénévoles, de même qu'avec les institutions spécialisées des Nations Unes. Nous allons créer un groupe de travail dans lequel ces institutions seront représentées. Les réunions ont déjà commencé et nous savons que nous pouvons compter sur l'entière coopération de ces institutions, comme lors de notre récente opération de « point central ». mais, jusqu'à présent, rien de tout cela n'a encore donné de résultats tangibles et j'ai la conviction qu'il nous faut maintenant passer aux actes. Le HCR a été choisi, je crois, pour aboutir à des résultats rapides. J'ai donc estimé indispensable d'ouvrir dès maintenant un crédit de 300 000 dollars par prélèvement sur le Fonds extraordinaire du HCR en vue de faciliter le rapatriement et de préparer le retour des réfugiés, conformément aux statuts et aux résolutions chargeant le haut Commissaire de favoriser le rapatriement librement consenti. En effet, et ce point n'échappera pas au Comité, il ne peut y avoir de rapatriement si certains préparatifs ne sont pas faits pour accueillir les réfugiés à leur arrivée.
C'est donc maintenant le moment d'agir, et je suis convaincu que comme toujours jusqu'ici, à chaque fois qu'un grand problème s'est posé, qui exigeait une prise de contact immédiate avec notre Comité exécutif, celui-ci répondra une fois encore aux impératifs de la situation. Nous nous proposons de donner suite à l'appel du Secrétaire général en adressant une lettre à chaque gouvernement, comme nous l'avons fait pendant les activités de « point centra » destinées aux réfugiés de l'Inde, avec l'appui des Nations Unies. Nous établirons aussi un bureau à Juba pour coordonner efficacement le programme, et nous ferons rapport à nos partenaires sur les résultats que le HCR aura pu obtenir.
Je suis très reconnaissant au Gouvernement du Soudan de la coopération qu'il nous apportée. Nous pourrons, du moins je le pense, éviter tout double emploi ou chevauchement des efforts dans cette situations d'urgence. Le Gouvernement du Soudan nous a déjà dit qu'il nous tiendrait informés des contributions qui lui seront fournies à titre bilatéral. Nous savons aussi que les institutions bénévoles nous tiendront au courant des contributions qu'elles apporteront, par l'intermédiaire du mécanisme interorganisations créé avec les institutions spécialisées des Nations Unies. Je suis très heureux que M. Kittani soit présent parmi nous aujourd'hui, car ses attributions de Sous-Secrétaire général aux affaires interorganisations lui confèrent un rôle des plus importants dans les activités de ce mécanisme de coordination. Les institutions des Nations Unies ont déjà fait savoir que toute l'aide qu'elles pourront apporter s'inscrira aussi dans le cadre général de l'appel qui sera bientôt lancé, et elles se proposent de fixer leurs contributions en ne perdant pas de vue l'objectif de 22 millions de dollars que le HCR espère atteindre pour entreprendre, en une année, cette action d'urgence. Je serai très reconnaissant aux membres du Comité exécutif de bien vouloir apporte leur appui à cette initiative.