Un enseignant sud-soudanais consacre sa vie en exil à des réfugiés de tous âges
Le chœur de voix enfantines qui s'élève de la classe de Koat ne cesse de s'amplifier, menaçant de noyer les autres cours dispensés dans son école primaire au camp de réfugiés sud-soudanais de Jewi, dans l'est de l'Éthiopie.
Cet enseignant de 41 ans et ses élèves, installés à ses pieds, récitent en tapant des mains l'alphabet en nuer, leur langue maternelle, suivi de quelques phrases entonnées en anglais avec enthousiasme. Il est convaincu que les enfants apprennent mieux quand leurs leçons sont vivantes et ludiques.
Fort d'une expérience de l'enseignement de près de 10 ans, Koat a quelques tours dans son sac pour capter l'attention des jeunes élèves, même si c'est d'autant plus difficile à Jewi où ils sont plus d'une centaine entassés dans la même classe à toute heure du jour. Fort heureusement, son énergie est à la hauteur de celle des élèves de cinq à 15 ans qui fréquentent sa classe.
« J’ai recours aux chansons pour qu'ils s'amusent et éviter qu'ils s'ennuient. »
« Comme vous pouvez le voir, ce sont des enfants. Enseigner aux enfants, ce n'est pas facile. J'ai recours aux chansons pour qu'ils s'amusent et éviter qu'ils s'ennuient… C'est comme ça que je leur fais passer mes messages », dit Koat dont le visage parfois austère ne laisse rien présager de sa chaleur et de son enthousiasme pour l'enseignement.
Koat a consacré la pause d'été à offrir des cours supplémentaires à ses élèves dans le cadre d'une initiative de Plan International et d'autres partenaires du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, pour aider les enfants à rattraper le retard scolaire accumulé en raison des combats au Soudan du Sud.
Ce père de cinq enfants partage bien davantage qu'un amour de l'enseignement avec ses jeunes élèves. Comme eux, Koat est victime de la guerre qui a fait des réfugiés de plus de 2 millions de Sud-Soudanais. Il a fui vers l'Éthiopie avec sa famille en 2015 après l'incendie qui a rasé sa maison dans l'État de Jonglei.
Le conflit au Soudan du Sud a eu un impact particulièrement dévastateur sur les enfants. Dans le camp de Jewi où vivent 54 000 réfugiés sud-soudanais, deux tiers sont des enfants. Outre qu'ils ont perdu leur foyer et parfois assisté au massacre de parents, les années de violence les ont empêchés de poursuivre leur scolarité. Certains n'ont même pas eu le temps d'aller à l'école et nombre de ceux qui ont eu cette chance ont dû tout abandonner.
Trop conscients du handicap auquel ces enfants sont confrontés, Koat et ses collègues sont résolus à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour combler leurs lacunes, ce qui signifie que deux tiers seulement des enfants sud-soudanais vivant en Éthiopie ont accès à l'école primaire. Par ailleurs, la grosse majorité d'entre eux – 86 % — ne peut pas poursuivre d’études au secondaire.
« Nous sommes ici aujourd'hui parce que nous voulons enseigner à nos enfants à devenir les champions de demain. S'ils ne reçoivent pas un bon enseignement, ils ne réussiront pas. Si on leur donne une bonne éducation, ce seront les futurs présidents, les futurs médecins, les futurs pilotes du Soudan du Sud », déclare Koat.
Néanmoins, le manque de salles de classe, d'enseignants qualifiés et de supports pédagogiques sont des obstacles majeurs à l'accès à l'éducation des enfants réfugiés sud-soudanais. L'enseignement est dispensé dans la langue maternelle des enfants, le nuer, ainsi qu'en anglais, et les enseignants sud-soudanais s'efforcent d'adapter le programme d'enseignement éthiopien.
À la différence de Koat, de nombreux enseignants cessent de travailler, au motif que les 805 birrs (27 dollars) qui leur sont versés tous les mois pour les inciter à enseigner sont insuffisants.
Koat ne se décourage pas pour autant.
Durant les après-midi, il quitte le vacarme des élèves de son école primaire pour se rendre dans une école de fortune où il donne des cours privés à des adultes à raison de 10 birr (0,34 dollar) par personne et par mois. Les étudiants se sont regroupés pour construire l'école, de simples murs de paille surmontés d'une bâche en guise de toit, qui fuit de toutes parts à l'époque des pluies.
Il fait frais à l'intérieur et la vingtaine d'adultes réunit là sont calmes et concentrés, y compris un grand-père de 64 ans et une jeune mère avec son nourrisson endormi dans un couffin à ses pieds, et tous recopient les notes inscrites au tableau.
« Si vous vous engagez auprès des vôtres, ce n'est pas un problème. »
« Je suis fatigué », dit Koat en évoquant sa double charge. « Mais si vous vous engagez auprès des vôtres, ce n'est pas un problème. J'enseigne à ces enfants pour qu'ils soient l'avenir du Soudan du Sud. Ils changeront tout ce qu'il y a de néfaste au Soudan du Sud et ils feront beaucoup de bien. »
Patrick Kawuma, le responsable du bureau sous-régional du HCR à Gambella, est soucieux du manque de perspectives de ces jeune sud-soudanais qui grandissent sans éducation.
« On finit avec tant de jeunes désœuvrés qui n'ont rien à faire dans les camps et ils peuvent aisément être exploités par des groupes mal intentionnés », dit-il avant d'ajouter « le plus grand besoin pour ces enfants, c'est indéniablement l'éducation. »
Pour plus d'informations sur l'éducation des réfugiés, lisez le rapport 2019 sur l'éducation du HCR Stepping Up: Refugee Education in Crisis (Redoubler d'efforts : L’éducation des réfugiés en crise). Le rapport montre que plus les enfants réfugiés grandissent, plus les obstacles qui les empêchent d'accéder à l'éducation deviennent difficiles à surmonter : seulement 63 % des enfants réfugiés fréquentent l'école primaire, contre 91 % dans le monde.