Chassés par les gangs urbains, des Salvadoriens retrouvent la sécurité dans un village du Belize
Chassés par les gangs urbains, des Salvadoriens retrouvent la sécurité dans un village du Belize
Juan Barrera* a quitté le Salvador seul, alors qu’il n’avait que 16 ans. C’était en 1990 et, comme des milliers d’autres personnes, la guerre civile l’a forcé à abandonner son foyer. Juan a roulé sa bosse en Amérique centrale où il a survécu tant bien que mal pendant des années jusqu'à ce qu’un oncle lui parle d'un havre de paix, juste de l'autre côté de la frontière guatémaltèque, dans un petit pays anglophone appelé Belize.
Il a trouvé le village, réuni assez d'argent pour acheter un lopin de terre et a commencé à cultiver pour subvenir à ses besoins. Presque 30 ans plus tard, il a une existence confortable et cultive des choux, des concombres, des tomates et d'autres légumes qu'il vend à Belmopan, la capitale du Belize. L'un de ses fils étudie à l'université et sa fille va bientôt le rejoindre.
Juan compte parmi les centaines de réfugiés d'Amérique centrale qui ont trouvé un sanctuaire à la bien nommée Vallée de la Paix et il espère transmettre l'aide et les encouragement qu'il a reçus à une nouvelle génération de réfugiés.
En cet après-midi d'une chaleur oppressante, il est penché sur une vieille moto avec Benjamin et Carlos Menendez, deux frères adolescents du Salvador, qui vivent dans la maison d'à côté avec leur mère et quatre autres de leurs frères. Juan leur a dit qu'ils pourraient utiliser la moto s'ils arrivaient à la réparer.
En 2016, Juan a rencontré les dix membres de la famille Menendez qui avaient fui pour échapper à la nouvelle vague de violence qui déferlait sur leur patrie d'Amérique centrale et il s'est reconnu dans les six jeunes garçons de cette famille.
« La première chose qu'on se dit, c'est ‘nous aussi on a traversé ça’, » confie Juan Barrera, aujourd'hui âgé de 50 ans. « Quand on voit des gens comme ça, on a juste envie d'aider. »
Avant les troubles qui les ont forcés à fuir vers le Belize, la famille Menendez vivait heureuse au Salvador. Au terme d'une belle carrière dans l'armée, Roberto, le père, était devenu représentant de commerce dans sa ville natale. La mère, Juana, gérait la boulangerie familiale… Jusqu'au jour où tout s'est écroulé.
« Quand on voit des gens comme ça, on a juste envie d'aider. »
Dans le nord de l'Amérique centrale, des gangs urbains sanguinaires tels que MS-13 et Barrio 18 se livrent à toutes sortes de crimes, de l'assassinat à l'extorsion en passant par les enlèvements et le trafic de drogue. Ils forcent les adolescents à rejoindre leurs rangs et transforment les jeunes filles en objets sexuels.
Les six fils Menendez ont tous étés victimes de harcèlement et de menaces de la part de ces gangsters. Tous ont résisté, même si cela signifiait de rester bloqué à la maison. Chaque fois qu'ils devaient sortir, Juana s'inquiétait de ne pas revoir l'un d'entre eux.
Un jour, Juan Roberto, 10 ans, a vu des gangsters s'enfuir juste après un enlèvement et il l'a dit à ses parents. Sa famille est alors devenue une cible, d'autant plus que Roberto père avait refusé de payer le soi-disant « impôt de guerre » exigé par le gang. Son passé de militaire lui a valu d'être désigné comme ennemi par les membres du gang.
Plusieurs gangsters sont venus le voir quelques jours après. Ils lui ont donné un ultimatum : sortir tranquillement pour qu'ils en finissent avec lui ou accepter de voir ses fils abattus un par un. Roberto a choisi de protéger sa famille et a été retrouvé mort par la police plus tard dans la journée, criblé de balles et lacéré de coups de sabre.
Submergés par la peur et la douleur, les membres de la famille ont fui la ville le jour même. Ils ont loué une maison dans un autre quartier et se sont faits aussi petits que possible pendant presque un mois. Le jeune Juan Roberto, qui se sentait coupable de la mort de son père, ne cessait de répéter « Dieu est cruel ».
Diverses embrouilles administratives les ont privés de la retraite de leur père, les laissant totalement sans le sou. C'est alors qu'un cousin a suggéré qu'ils tentent de reconstruire leur existence au Belize. Juana, ses six garçons, les épouses des deux fils aînés et un petit-fils sont alors partis s’installer à la Vallée de la Paix.
La communauté a été fondée en mars 1982 par George Price, alors Premier ministre du Belize, et conçue comme un havre de paix pour les réfugiés chassés par les guerres civiles qui ravageaient alors la région, notamment le Salvador.
« Les enfants des réfugiés sont aujourd'hui médecins, policiers, ingénieurs ou, comme moi, enseignants. »
Dans un premier temps, la Vallée de la Paix a accueilli quelques dizaines de familles qui ont commencé par défricher la jungle alentour pour créer des terres agricoles. La communauté a reçu un financement international administré par le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et ses partenaires. Aujourd'hui, plus de 600 familles vivent dans le village, dit Jose Amilcar Amaya, enseignant et historien de facto de la Vallée.
« Dans cette ville, nous sommes fiers d'appartenir au Belize, mais nous sommes aussi des réfugiés, » déclare Jose Amilcar Amaya qui est venu s'établir dans la Vallée avec sa famille en 1982. « Les enfants des réfugiés sont aujourd'hui médecins, policiers, ingénieurs ou, comme moi, enseignants. »
« La Vallée de la Paix est un merveilleux exemple de la belle réussite des réfugiés, » déclare Andreas Wissner, représentant du HCR au Belize. « Il nous montre aussi comment accueillir les nouveaux réfugiés qui fuient la violence dans le nord de l'Amérique centrale. »
La famille Menendez a ressenti la chaleur de cet accueil.
« Je ne pensais pas que nous retrouverions jamais un lieu de paix, » confie Juana, entourée des poulets donnés par des voisins et qui picorent maintenant à ses pieds. « On savait que si on restait au Salvador, les membres du gang finiraient par nous tuer tous. »
Le soutien financier du HCR a permis à la famille de payer son loyer et d'acheter de quoi se nourrir pendant ses premiers mois de vie à la Vallée de la Paix. Le HCR et son partenaire de mise en œuvre, Help For Progress, les ont également aidés à présenter leurs demandes d'asile.
Juan Barrera loue sa deuxième maison à la famille Menendez pour une fraction de sa valeur.
« Nous espérons juste obtenir nos papiers, trouver un bon emploi, puis réunir assez d'argent pour acheter notre propre terre et une maison. »
Par l'intermédiaire d'une coopérative agricole, Juan Barrera a aidé la famille Menendez à obtenir un petit lopin de terre où ils plantent du maïs et des haricots pour leur propre consommation.
Les habitants de la Vallée de la Paix savent que les fils Menendez sont de bons travailleurs et font souvent appel à eux pour des tâches diverses.
« Quand il y a du travail, on gagne bien sa vie ici, » dit Alfredo, l’aîné âgé de 24 ans. Les bonnes semaines, son frère et lui peuvent gagner jusqu'à 90 dollars chacun. Lorsque la période est moins propice, ils ne gagnent que 30 dollars par semaine.
À la Vallée de la Paix, Juan Roberto et Ulises, les deux cadets, vont en vélo à l'école où ils apprennent l'anglais et l'espagnol et s'intègrent progressivement dans cette communauté bilingue. Juana n'est plus inquiète de savoir ses fils seuls dans les rues.
Malgré tout, les choses ne sont pas parfaites. Les frères Menendez travaillent tous illégalement puisque les autorités du Belize n'ont pas approuvé la moindre demande d'asile durant les dernières années. Deux des frères ont manqué la date limite de deux semaines, strictement imposée par le gouvernement pour présenter une demande d'asile, et leur sort est en suspens.
« Nous espérons juste obtenir nos papiers, trouver un bon emploi, puis réunir assez d'argent pour acheter notre propre terre et une maison, » dit leur mère, Juana.
Ses fils ont aussi leur propre rêve : aider Juana à se remettre à travailler pour faire ce qu'elle aime.
« Nous voulons gagner assez d'argent pour l'aider à rouvrir une boulangerie, » dit Alfredo. « Elle a été forte pour nous tous, alors nous voulons faire quelque chose pour elle. »
*Les noms des réfugiés salvadoriens ont été modifiés par souci de protection.