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Former de nouveaux dirigeants pour une région colombienne déchirée par la guerre

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Former de nouveaux dirigeants pour une région colombienne déchirée par la guerre

Une école de jeunes dirigeants financée par le HCR veut dessiner un avenir plus sûr pour la province de Chocó, une région reculée meurtrie par des décennies de conflit.
5 Avril 2017 Egalement disponible ici :
Étudiants de l'École interethnique des jeunes dirigeants dans le département de Chocó en Colombie.

Yurany Bañol se souvient parfaitement des échanges de tirs qui ont ravagé le domicile de sa famille dans la région de Chocó, en Colombie.


« Nous étions au milieu, avec l’armée là‑bas et les personnes qui s’étaient approprié les terres ici », dit Yurany, en relatant les fusillades entre les forces militaires et les opportunistes qui avaient pris le contrôle des fermes abandonnées par les personnes ayant fui la violence. « Dieu sait combien de personnes sont enterrées le long de cette route. »

L’histoire de Yurany, 24 ans, n’a rien de particulier dans cette région que traverse le rio Atrato, un large fleuve au cours paisible. Les résidents de Chocó ont souffert pendant des générations, victimes de la lutte entre les paramilitaires, les guérillas d’extrême gauche et le gouvernement pour le contrôle de la région. L’exécution de ceux qui dénonçaient l’action des groupes armés était monnaie courante, tout comme les déplacements massifs, les recrutements forcés et la violence sexuelle. Toutes les générations ont été traumatisées.

Comme beaucoup de jeunes gens vivant près de la frontière isolée et difficile d’accès de la Colombie avec le Panama, au nord‑ouest du pays, Yurany voulait un avenir différent.

« Quand on a vécu cette expérience, on veut que personne d’autre ne la vive », dit Yurany, dont la famille se défend toujours en justice pour récupérer sa terre et rentrer chez elle.

« Avant, le nombre de jeunes qui rejoignaient les groupes armés était beaucoup plus élevé, mais ce nombre a beaucoup baissé. »

Yurany et 139 autres jeunes résidents de la région avides de changement bénéficient d’un programme unique en son genre : l’École interethnique des jeunes dirigeants, que finance le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

Créée il y a quatre ans, l’école, qui accepte des étudiants afro‑colombiens, métis et autochtones âgés de 14 à 29 ans, accueille périodiquement de jeunes gens et 60 dirigeants communautaires, venus suivre des cours et discuter de la façon de mieux façonner leur avenir.

De nombreux étudiants, même ceux qui habitent à Riosucio, la plaque tournante locale, n’ont eu que peu d’occasions de poursuivre leurs études après le secondaire. La plupart aident leur famille à pratiquer l’agriculture ou la pêche de subsistance. Cependant, grâce au programme, ils peuvent acquérir des compétences spécialisées en matière d’action politique, apprendre à s’exprimer en public et découvrir les outils dont disposent les dirigeants. Cette année, un groupe de 20 étudiants présentera des propositions d’action aux conseils municipaux de la région sur une multitude de sujets, de la santé et de l’éducation au sport et à la sécurité.

« Avant, le nombre de jeunes qui rejoignaient les groupes armés était beaucoup plus élevé, mais ce nombre a beaucoup baissé, car les jeunes ont compris qu’ils pouvaient affronter leurs besoins, leurs problèmes et le manque de perspectives différemment », dit Yaneth Velasco, employée auxiliaire du HCR pour la protection dans la région et animatrice des réunions organisées par l’école.

Yurany Bañol, 24 ans, est étudiante à l'École interethnique des jeunes dirigeants dans le département de Chocó en Colombie. Sa famille a été déplacée à plusieurs reprises quand elle était enfant.

Le projet est particulièrement important à Chocó, une province reculée qui a été durement touchée par une guerre civile qui, pendant plus de cinq décennies, a déraciné quelque 7,3 millions de personnes à l’intérieur de la Colombie et forcé plus de 340 000 personnes à trouver refuge à l’étranger.

Il est peut‑être optimiste de penser qu’une école pour dirigeants aidera les jeunes gens à résoudre les nombreux problèmes du Chocó. Cependant, selon Yaneth Velasco, « les quatre dernières années ont montré que cela est possible et que nous avons des objectifs élevés, mais que nous devons continuer de miser sur le processus. »

Les étudiants devront compter sur leur confiance retrouvée et leurs acquis juridiques pour aborder l’avenir incertain de la région. Après avoir signé un accord de paix avec le gouvernement l’année dernière, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont quitté la région. Même si de nombreux résidents du Chocó ont soutenu les efforts visant à apporter la paix et que les habitants de la province ont voté à une grande majorité pour l’accord entre les FARC et le gouvernement, beaucoup craignent que le vide du pouvoir apparu après le départ des rebelles enhardisse les bandes organisées.

Profitant du fait que le gouvernement est peu présent dans la région, les groupes armés illégaux, composés de nombreux anciens paramilitaires d’extrême droite, ont déjà commencé à faire des incursions dans des territoires naguère contrôlés par les FARC. Ces groupes ont obligé plus de 2 200 personnes à abandonner leurs domiciles dans le Chocó au cours des trois premiers mois de l’année, et des rapports font état de violence.

« C’est une situation que nous avions prévue, dit Yaneth Velasco. C’est très inquiétant et cela pose de nombreux risques pour la population. » Cependant, selon elle, de nombreuses collectivités ont hâte d’accueillir une réunion de l’école, car la présence du HCR leur offre une certaine protection.

Yair Moña, 19 ans, membre de la communauté indigène de Wounaan, affirme que l'École interethnique des jeunes dirigeants a réuni des communautés autochtones et afro-colombiennes.

Au‑delà de son objectif ambitieux de former les dirigeants de demain, l’école aide déjà à rapprocher les résidents de la province multiethnique, donnant aux étudiants la possibilité de rencontrer d’autres jeunes de leur région et de se lier d’amitié avec eux. Même si des peuples autochtones, comme les Embera et les Wounaan, vivent près des populations afro-colombiennes et ont souvent été victimes des mêmes assaillants, les groupes ethniques communiquent très peu entre eux.

« Avant l’école interethnique, les Autochtones et les Afro-Colombiens ne se comprenaient pas », dit Yair Moña, 19 ans, qui est membre de la tribu wounaan. « Mais l’école a amélioré les choses. Il nous arrive maintenant de communiquer. »

Aîné de 10 enfants, Moña a déjà été déplacé dans sa courte vie, et il veut empêcher que d’autres Wounaan le soient aussi dans l’avenir.

« Je veux diriger ma communauté et défendre notre terre », dit‑il, alors que prend fin la dernière réunion organisée par l’école à Riosucio et que ses nombreux camarades de classe enfourchent leurs motos ou montent à bord des embarcations qui les ramèneront dans leurs collectivités disparates.

Le partenaire du HCR dans l’école, le programme social et pastoral de l’Église catholique, a beaucoup fait pour séparer l’activité de l’école des divisions ethniques.

« C’est le devoir de l’Église, qui jouit toujours d’une certaine crédibilité auprès de tous les groupes et est perçue comme étant impartiale, d’offrir ce service », dit Leonidas Moreno, un prêtre qui travaille dans la région depuis 37 ans. « Il ne s’agit pas d’évangéliser. Nous voulons un esprit de rassemblement. »

« Je veux diriger ma communauté et défendre notre terre. »

« Il n’a pas été facile pour les étudiants de comprendre qu’ils pouvaient maintenant parler sans avoir peur, dit le père Moreno. Avant, cela n’était pas possible. Quiconque parlait se faisait tuer. »

L’école donne aussi aux responsables gouvernementaux un aperçu d’une mobilisation fructueuse des jeunes dans des circonstances on ne peut plus complexes.

« Il s’agit d’une idée novatrice, en particulier parce qu’elle s’adresse aux régions difficiles d’accès », dit Diego Fernando Mata, un représentant de Colombia Joven, le Service de la jeunesse du gouvernement colombien. Diego Fernando Mata s’est rendu à Riosucio pour conseiller les étudiants sur leurs propositions d’action.

« Notre souhait est d’avoir une politique publique pour la jeunesse à Riosucio d’ici la fin de l’année, politique que nous élaborerons avec les jeunes, l’État et d’autres acteurs, et qui aidera à générer de nouvelles perspectives dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, de la culture, du sport et de la santé », a‑t‑il ajouté. Il a encouragé les étudiants à proposer des changements qui auront un effet quantitatif dans leurs collectivités, telles la réduction du nombre de grossesses chez les adolescentes et l’augmentation du nombre de places dans les écoles secondaires.

Les étudiants ont d’innombrables ambitions. Par exemple, ils veulent être dirigeants communautaires, travailleurs sociaux, avocats et journalistes. La collectivité de Yurany Bañol lui a déjà demandé d’être candidate à un poste au conseil municipal, mais elle a refusé, préférant apporter le changement hors des milieux politiques, qui sont notoirement corrompus.

« Si je fais quelque chose pour ma collectivité, ce sera en dehors des milieux politiques », dit Yurany, qui, comme de nombreux autres étudiants plus âgés, a déjà un enfant, dans son cas une fille de cinq ans. « Je ne veux pas qu’elle grandisse dans l’environnement où j’ai grandi. »