Une famille déplacée de Mossoul dénonce la torture
Une famille déplacée de Mossoul dénonce la torture
DOHOUK, Kurdistan iraquien – Chaque fois qu’Haidar*, un jeune Iraquien déplacé de 20 ans, voit une voiture noire traverser le camp, il craint que ce soit pour le kidnapper.
Cinq mois auparavant, Haidar avait été enlevé en pleine rue à Mossoul, sa ville natale, et traduit devant un tribunal.
« On m’a bandé les yeux et un juge m’a accusé d’avoir posté des poèmes subversifs sur Internet », raconte-t-il.
« J’ai nié et je savais qu’ils m’avaient enlevé car mon père travaillait pour les forces iraquiennes. Je ne savais pas qu'ils avaient aussi kidnappé ma sœur, Zaineb, jusqu'à ce que je l'entende depuis une autre pièce en train de supplier pour qu’on nous relâche. »
« Ils m'ont mis des fils électriques sur la langue et m'ont envoyé des décharges en disant que c'était parce que j'avais pris position contre eux. »
Plus de 100 000 habitants de Mossoul et des environs ont pris la fuite depuis le 17 octobre où les forces gouvernementales ont lancé leur offensive pour reconquérir la seconde ville d'Iraq.
Certains d'entre eux, comme Haidar et Zaineb qui sont désormais en sécurité auprès du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, dans le Kurdistan iraquien, racontent les terribles épreuves qu'ils ont traversées sous la férule des extrémistes.
L'agitation commence à s'emparer d'Haidar lorsqu'il raconte qu’à la sortie du tribunal, sa sœur et lui ont été conduits en prison par leurs ravisseurs et séparés. C'est là que les tortures ont commencé.
« Pendant 18 jours, ils m'ont mis des fils électriques sur la langue et m'ont envoyé des décharges en disant que c'était parce que j'avais pris position contre eux. Ils me suspendaient par les pieds pour me frapper au visage, dans le dos et sur les jambes avec des tuyaux. Ça faisait tellement mal que je leur ai demandé de m’achever d’une balle. Pas question de te faire ce cadeau, disaient-ils, en ajoutant que je serai exécuté tôt ou tard. »
Dans une autre partie de la prison, Zaineb, qui avait été accusée de sorcellerie, a été forcée d'assister à l'exécution d'autres détenues. La tristesse transparaît dans les murmures de cette jeune femme brune de 23 ans. « Ils ont décapité deux femmes sous mes yeux. L'une d'elle [était] policière. »
« Quant à moi, ils m'ont donné des décharges électriques sur la tête, le nez et les jambes, de nombreuses fois. La douleur était intolérable. La nuit, je m'endormais en sachant que le lendemain je me réveillerais pour être torturée de nouveau », dit Zaineb. « Tous les jours, j'étais sûre que j'allais mourir. »
Pendant leur détention, leur mère Rima, 50 ans, s’est rendue tous les jours au tribunal des extrémistes pour tenter de faire libérer ses enfants. Haidar et Zaineb ont fini par être relâchés sans explication après 20 jours de captivité. Rima a dû payer 1000 dollars pour les faire libérer.
Haidar et Zaineb sont aujourd'hui hébergés avec 16 autres membres de leur famille dans un camp administré par le HCR, mais ils sont toujours assaillis par les souvenirs des tortures et des violences dont ils ont été témoins.
« J'ai le sentiment que ce n'est pas terminé et qu’ils viendront de nouveau me chercher. »
« J'ai le sentiment que ce n'est pas terminé et qu’ils viendront de nouveau me chercher », dit Zaineb. « J'ai aussi besoin d'un médecin. J'ai mal partout dans le corps à cause des décharges électriques. Je me sens aussi perturbée psychologiquement, j'aurais besoin de parler à quelqu'un. »
Son frère tient les mêmes propos. « Moi aussi j'ai besoin de voir un médecin parce que j'ai du mal à parler depuis que j'ai pris des chocs électriques sur la langue. »
Face à l'ampleur croissante des déplacements en provenance de Mossoul, le HCR s'est engagé à renforcer le soutien psychosocial et les services d’aide psychologique dans une demi-douzaine de camps qu'il a ouverts depuis la libération de la ville il y a plus de deux mois.
Nombre de ceux qui ont fui Mossoul ont vu périr des proches, des amis et des voisins et sont hantés par leurs souvenirs. Dans les camps récemment ouverts, le HCR et ses partenaires prodiguent les premiers secours psychologiques, dont une forme d’aide spécialisée appelée « écoute active, » ainsi qu'une évaluation des besoins et les traitements appropriés.
Les experts du HCR en matière de protection rendent régulièrement visite à Haidar, Zaineb et leur famille et sont en train d'organiser les soins médicaux et le soutien psychologique dont ils ont besoin via une ONG locale. Après une expérience aussi dévastatrice, ils peuvent enfin envisager l'avenir.
« Nous sommes tellement heureux d'être dans ce camp », dit Haidar. « Ce sont les meilleurs moments que nous connaissons depuis deux ans. Notre quotidien, c'était la mort et l'enfer. Là, on se sent renaître. »
*Tous les noms ont été modifiés par souci de protection.