Apatridie: rompre le cycle au Kirghizstan
Apatridie: rompre le cycle au Kirghizstan
OSH, Kirghizstan, 26 août (HCR) - Ravshan et sa femme Feruza travaillent dans les champs du matin au soir, trimant 14 heures par jour sous un soleil de plomb, avec très peu de pauses pour manger ou se reposer. Leurs enfants et petits enfants travaillent dur à leurs côtés, plantant du maïs, des pommes de terre et des tomates. Leur rêve serait de posséder leur propre lopin de terre et un travail formel avec des journées plus courtes et une meilleure paie.
Mais depuis trois générations, cette famille n'a aucun droit car, sur le papier, ils n'existent pas. Ce couple, trois de leurs enfants et six de leurs petits enfants sont apatrides.
Cette situation subsiste bien que Ravshan, 59 ans, et Feruza, 57 ans, soient nés et aient vécu toute leur vie dans le village de Kashgar-Kyshtak, à 15 Kms environ de la ville de Osh au sud du Kirghizstan. Ils détiennent toujours leurs anciens passeports soviétiques rouges délivrés par un pays disloqué depuis 20 ans. Ils sont devenus apatrides parce qu'ils n'ont pas demandé de nouveaux papiers d'identité après l'indépendance du Kirghizstan en 1991.
Selon des études réalisées par l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, plus de 17 000 personnes au Kirghizstan sont actuellement apatrides ou risquent de le devenir. La plupart d'entre elles vivent ici depuis plusieurs années, ont des liens familiaux étroits dans le pays et sont bien intégrées au plan culturel et social. Mais comme elles ne disposent pas de documents de citoyenneté, elles sont souvent dans l'incapacité d'enregistrer un mariage ou la naissance d'un enfant, de voyager à l'intérieur du Kirghizstan et à l'étranger, de bénéficier de pensions ou de prestations sociales, ou d'être propriétaires.
La majorité des apatrides en République du Kirghizstan sont des femmes ou des mineurs. L'absence de documents de citoyenneté accroit leur vulnérabilité et ils sont notamment soumis à l'exploitation et à des abus dans leurs familles et communautés.
Du fait de leur apatridie, Ravshan et Feruza ne peuvent pas bénéficier de leur pension de retraite bien qu'ils aient tous deux travaillé dans une ferme collective locale pendant plus de 20 ans. Feruza affirme que sa plus grande crainte est de tomber malade. L'accès aux soins de santé de base est limité pour les non citoyens et la famille ne peut pas se permettre de payer les frais élevés des soins hospitaliers.
Les enfants rencontrent des problèmes encore plus importants en raison de leur statut d'apatrides. Leur fils Shovkat, 34 ans, détenait également un passeport soviétique mais il l'a perdu il y a plusieurs années. « Je gagne 100 som (environ 2,5 dollars) par jour », déclare-t-il. « Je dois payer une amende pour le passeport perdu et d'autres frais pour obtenir de nouveaux documents, pour un montant total d'environ 3 000 som (environ 70 dollars). Pour obtenir un nouveau passeport kirghiz, je dois aller en ville plusieurs fois, payer le transport et manquer plusieurs jours de travail. Je n'ai pas beaucoup d'argent et je ne sais pas comment remplir tous ces papiers ».
Sa femme détient un passeport kirghiz mais comme Shovkat est apatride, leurs deux filles, âgées de un et quatre ans, n'ont pas de certificats de naissance et seront également apatrides. La famille ne bénéficie d'aucune prestation sociale pour les enfants car ils ne sont pas officiellement enregistrés. Les filles sont trop jeunes pour comprendre ce que l'apatridie signifie mais elles s'habituent à l'extrême pauvreté et à l'absence d'opportunités d'éducation ou d'avenir meilleur.
Shovkat travaille illégalement sur le marché dans le village voisin de Kara Suu. Il ne peut pas travailler aux champs comme sa famille car il a perdu un bout de bras lorsqu'il travaillait comme mécanicien dans un garage privé. L'absence de documents personnels et de passeport valable l'empêche de bénéficier d'une allocation mensuelle d'invalidité.
Son frère, âgé de 37 ans, détient aussi un passeport soviétique. Il affirme que sans carte d'identité valable il ne peut pas aller au-delà de son village. « J'aimerais aller travailler en Russie pour soutenir ma famille et mes parents, comme le font beaucoup de ressortissants kirghiz », dit-il. « Mais sans documents valables, je ne peux même pas rendre visite à mes proches à Osh ou Bishkek ».
Mubarak Sadykova est une activiste locale qui aide un partenaire non gouvernemental du HCR à identifier et aider les apatrides. « Rien que dans cette petite communauté, j'ai identifié environ 40 apatrides confrontés à des difficultés similaires à celles de Ravshan et de sa famille », déclare-t-elle.
Au plan international, le HCR s'est vu attribuer un mandat consistant à aider les gouvernements à prévenir l'apatridie, à résoudre les cas qui surviennent et à protéger les droits des apatrides. Au Kirghizstan, l'agence a financé des organisations de la société civile, fourni des conseils en matière de législation et de pratiques et apporté un soutien technique aux autorités chargées de résoudre les problèmes de citoyenneté.
Une partie de cette activité consiste à financer des cliniques mobiles gérées conjointement par le gouvernement et des ONG afin d'accompagner les apatrides et de les aider à devenir des citoyens kirghiz. Le HCR finance les véhicules, l'essence et des équipements pour permettre aux avocats de l'ONG locale d'aider Ravshan et des centaines d'autres familles à déposer des dossiers pour pouvoir échanger leurs vieux passeports soviétiques contre de nouveaux passeports kirghiz.
Depuis son indépendance, le Kirghizstan a adopté de nombreuses mesures positives pour réduire et prévenir l'apatridie. Sur les 20 000 réfugiés arrivés au Kirghizstan après avoir fui la guerre civile au Tadjikistan dans les années 1990, environ 10 000 se sont vu accorder la citoyenneté kirghize tandis que le reste a été rapatrié. Des milliers de personnes ont échangé leurs vieux passeports soviétiques contre de nouveaux passeports kirghiz et sont devenus des citoyens kirghiz. Mais de nouveaux apatrides font leur apparition au fur et à mesure que le HCR mène des activités d'accompagnement conjointement avec les autorités et les ONG.
En 2009, le HCR et le gouvernement du Kirghizstan ont adopté ensemble un Plan national pour la réduction et la prévention de l'apatridie. En juin de cette année, l'agence et ses partenaires de la société civile et le gouvernement se sont rencontrés pour discuter des progrès obtenus et réviser le plan national. Ils se sont mis d'accord pour réaliser une étude globale relative au volume et à la situation actuelle des apatrides et pour adopter des mesures visant à assurer que tous les enfants nés sur le territoire de la République kirghize se voient délivrer des certificats de naissance. Ils sont également convenus de lancer le processus d'adhésion de la République kirghize à la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.
A l'occasion du 50ème anniversaire de la Convention de 1961 cette année, le HCR a lancé une campagne (ajouter le lien hypertexte) visant à encourager les Etats à devenir parties aux deux conventions sur l'apatridie. En décembre, l'agence organisera une réunion au niveau ministériel à Genève pour promouvoir les efforts internationaux visant à résoudre le problème de l'apatridie.
* Les noms ont été modifiés pour des raisons de protection.
Par Natalia Prokopchuk à Osh, Kirghizstan