En ce jour de célébration, les peuples autochtones de Colombie ont bien peu de raisons de se réjouir
En ce jour de célébration, les peuples autochtones de Colombie ont bien peu de raisons de se réjouir
COLOMBIE, 9 août (UNHCR) - A quelque 2 000 mètres au dessus du niveau de la mer, le sommet de la tour de la Sierra Nevada surplombe les rives caraïbes du nord de la Colombie. Les Indiens kogis sont les gardiens de cette montagne. D'après leurs croyances, il s'agit d'un endroit magique, qui forme le coeur de l'univers et qui est relié par des lignes noires invisibles à d'autres lieux sacrés de la Colombie.
Les Kogis s'appellent eux-mêmes les « grands frères de l'humanité » et ont, jusqu'à récemment, évité tout contact avec le monde extérieur. Les flancs inférieurs de la Sierra Nevada sont habités par trois groupes distincts, les Arhuacos, les Wiwas et les Kankuamos, dont le rôle est de protéger les gardiens qui se trouvent au dessus.
Malheureusement, au cours de la dernière décennie, le conflit armé en Colombie a pénétré leur monde sacré sous diverses formes : groupes armés irréguliers luttant pour des territoires, assassinats ciblés, menaces et violences. Aujourd'hui, les Kogis regardent leur sommet enneigé et les lignes noires semblent s'être transformées en autant de traces ensanglantées pour leurs frères indigènes.
« Alors que nous nous apprêtons à fêter la Journée internationale des populations autochtones, notre peuple continue à vivre au coeur de la violence, de l'impunité généralisée et du manque de protection étatique », a déclaré Evelis Andrade Casama, le Président de l'Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC), lors d'une conférence de presse à Bogota mercredi.
D'après l'ONIC, quelque 17 000 autochtones ont été victimes de violations des droits de l'homme - ou du droit international humanitaire - au cours des sept premiers mois de l'année. Cela représente, en moyenne par jour, 80 personnes qui subissent divers crimes, allant du déplacement forcé, aux assassinats ciblés, en passant par des menaces contre leur vie.
L'ONIC a précisé que 12 pour cent environ du nombre total d'autochtones étaient actuellement menacés en raison du conflit, souffrant de violences, d'intimidations et d'un accès réduit aux ressources économiques. De ce fait, le taux de malnutrition atteint près de 75 pour cent parmi les enfants des groupes Embera et Wounaan, dans la région de Chocó, sur la côte pacifique.
De l'autre côté du pays, dans le Putumayo, au sud, les Indiens Cofán sont, eux aussi, menacés par la famine, car le conflit entrave leur liberté de mouvement et réduit les possibilités d'aller pêcher, chasser ou de s'occuper de leurs cultures traditionnelles.
« Nous ne sommes pas nombreux, nous ne sommes que 1 200 Cofáns », précise Ivan Queta au nom du groupe. « Nous tentons de préserver notre culture, d'apprendre notre langue à nos enfants. Mais, comment nos enfants peuvent-ils aller à l'école, alors qu'ils meurent de faim et que nous devons nous déplacer d'un endroit à un autre pour trouver la paix ? »
D'après la loi colombienne et internationale, l'Etat a le devoir d'accorder une attention particulière à la protection des minorités ethniques qui sont prises dans un conflit armé. Les déplacements forcés affectent les populations autochtones d'une manière destructrice, non seulement en tant qu'individus, mai aussi en tant que groupes culturels ayant un mode d'organisation et une culture propres.
L'UNHCR travaille avec l'Etat pour l'aider à remplir son devoir de protection, et avec les organisations indigènes, à travers tout le pays. L'agence onusienne fait aussi campagne pour sensibiliser l'opinion sur l'ampleur de la crise qui se poursuit d'année en année.
« Nous devons nous demander ce que nous faisons pour surmonter cette situation », a déclaré le délégué de l'UNHCR en Colombie, Roberto Meier, lors d'une conférence de presse. « L'an passé, nous avons dénoncé le meurtre de cinq indigènes Awa déplacés survenu lors de la Journée internationale des populations autochtones. Une année plus tard, nous recevons une triste nouvelle : cinq Awa sont morts dans l'explosion d'une mine sur leurs propres terres. »
Il a ajouté qu'environ 1 300 Awa étaient bloqués dans les territoires de Nariño, également au sud du pays, incapables de fuir les combats à cause de la présence de mines sur leurs territoires. Un groupe de quelque 600 personnes se sont réfugiées dans cinq écoles dans le territoire d'Awa ; des centaines d'autres personnes ont été obligées à se déplacer de nouveau cette année, certaines ont même franchi la frontière avec l'Equateur.
D'autres populations autochtones ont fui en quête de sécurité au Brésil, au Venezuela et au Panama. Afin de traiter la dimension régionale de la crise, l'UNHCR est en train de développer une stratégie commune basée sur les ressources locales et sur les besoins des deux côtés des frontières colombiennes, en commençant par l'Equateur et le Venezuela.
Leonor Zabaleta, qui a reçu cette année un prix des droits humains du Gouvernement suédois, s'est exprimée au nom des quatre tribus de la Sierra Nevada, en indiquant que toutes les lois et l'assistance humanitaire du monde ne suffiraient pas à arrêter cette tragédie. « En Colombie, il y a une loi pour aider les victimes des déplacements forcés, mais rien n'est concrètement en place pour nous garantir que nous n'ayons pas à nous déplacer. Mais si nous devons quitter nos terres, nous perdons tout », a-t-elle ajouté.
Alors que le conflit armé continue de faire rage en Colombie, on craint toujours pour la survie culturelle des 80 groupes indigènes qui, ensemble, représentent environ 3 pour cent de la population totale du pays et constituent l'un des héritages autochtones les plus riches et variés du monde.
Par Marie-Hélène Verney et Gustavo Valdivieso, en Bogota, Colombie