En Méditerranée, témoins horrifiés de la noyade de centaines de naufragés
En Méditerranée, témoins horrifiés de la noyade de centaines de naufragés
ATHENES, Grèce, 2 mai (HCR) - Tout ce que pouvait faire Yasin Osman Ibrahim et son fils de trois ans, Abdoulrahman, était de regarder, impuissants et horrifiés, la noyade de plus de 500 migrants et réfugiés il y a deux semaines, lors de l'un des pires naufrages en Méditerranée de toute l'histoire moderne.
En serrant Abdoulrahman contre sa poitrine, Yacine se tenait sur le pont du bateau en bois qui a sombré avec des centaines de personnes à son bord. L'embarcation bondée qui a fait naufrage était le plus grand bateau jamais utilisé par des passeurs.
Les cris étaient assourdissants. Presque personne ne savait nager. Yacine, un Somalien de 24 ans qui avait vécu dans un camp de réfugiés au Yémen, recherchait désespérément ses cinq proches parmi les gens s'agitant dans l'eau.
« Nous pensions que nous allions mourir, aussi », explique-t-il. « Nous avons pensé 'Nous serons les prochains à mourir'. »
Yacine a perdu quatre de ses proches ce jour-là : deux cousines, un cousin, et la fille d'un cousin, âgée de trois mois. Un autre cousin, Molid Osman Adam, 28 ans, a réussi à nager vers le bateau de Yacine, où les hommes l'ont soulevé à bord.
Seules 41 personnes ont survécu : 23 Somaliens, 11 Ethiopiens, six Egyptiens et un Soudanais. Le fils de Yacine, Abdoulrahman, est le seul enfant survivant, et sa cousine, Sowes Mohammed Dereye Mire, est l'une des trois femmes survivantes.
Ensuite, pendant trois jours, ils ont dérivé avec très peu de nourriture ou d'eau, en priant pour le sauvetage. Enfin, le 16 avril, un cargo philippin leur a porté secours au large des côtes libyennes et il les a emmenés au port grec de Kalamata. Ils sont désormais logés dans un hôtel d'Athènes, où ils reçoivent une aide juridique et un soutien psychologique assurés par le HCR et son partenaire local, l'ONG grecque Praksis.
Plusieurs des survivants ont raconté au HCR leur lutte pour la survie en mer.
Jusqu'à l'année dernière, Yacine n'avait pas beaucoup pensé à la vie en Europe. Il avait déjà fui son pays une fois.
Il étudiait l'informatique à l'université à Mogadiscio lorsque des hommes armés ont tué son oncle en 2009. Par peur d'être tué aussi, Yacine a fui à bord d'un bateau de passeurs dans le golfe d'Aden vers le Yémen. Pendant plusieurs années, il a vécu au camp de réfugiés de Kharaz.
Puis le Yémen a lui-même sombré dans la guerre civile, ce qui empêchait les organisations humanitaires de fournir de la nourriture et d'assurer des services au camp. Yacine ne pouvait plus supporter de voir sa famille mourir de faim. Il y a deux mois, il a dit au revoir à sa femme, Fatima, et à leur fille, Maryam, âgée de trois ans et il a embarqué dans un bateau de passeurs avec Abdoulrahman et 38 autres personnes de retour à travers le golfe d'Aden. Puis ils ont traversé le Soudan et la Libye en voiture. Ensuite, ils ont attendu pendant trois semaines dans une maison gérée par des passeurs près de Tobrouk dans l'est de la Libye avant de pouvoir traverser la mer Méditerranée.
« Je suis venu ici pour sauver mon garçon et son avenir ainsi que celui de ma femme et de notre fille », a déclaré Yacine. « Je ne veux pas que mon garçon me demande dans 20 ans, « Papa, pourquoi j'ai grandi en tant que réfugié ? Pourquoi n'as-tu pas essayé de me sortir d'ici ? Je veux qu'il grandisse comme les autres enfants, dans la paix. Je fais de mon mieux pour qu'il ait la vie sauve. »
Avant l'aube, Yacine et Abdoulrahman se sont entassés à bord d'un bateau en bois avec 200 autres personnes. Les passeurs facturaient un montant de 1800 dollars par personne en échange d'un passage sûr vers l'Italie.
Durant une journée complète, tout ce qu'ils ont vu devant eux était une ligne bleue floue où le ciel rencontre la mer. Puis, à la tombée de la nuit, ils se sont arrêtés à côté d'un plus grand bateau. Celui-ci croulait sous le poids d'environ 300 migrants et réfugiés. Des passeurs ont attaché les deux embarcations côte à côte et ont transféré tous les passagers vers le plus grand bateau.
Les passagers ont paniqué et protesté, mais les passeurs ont insisté. Un par un, ils se sont alors cramponnés aux cordages, les femmes et les enfants d'abord, chacun essayant de ne pas regarder vers l'eau en bas.
Soudain, le grand bateau a commencé à basculer.
« Son capitaine criait, 'Répartissez-vous sur le pont pour équilibrer le bateau ! Nous coulons !' », explique Mouhidinne Hussein Muhumed, survivant du naufrage et originaire de Hargeisa, en Somalie, qui voyageait avec ses six frères.
En trois secondes, ajoute-t-il, le bateau s'est retourné, plongeant ses passagers dans la mer. Mouhidinne se trouvait encore à bord du plus petit bateau, attendant son transfert.
Le capitaine a crié que le bateau coulait et que les passagers mourraient, indique encore Mouhidinne. « Et mes frères imploraient 'A l'aide !' Mais j'étais dans l'incapacité de les aider. »
« Pourquoi ai-je survécu ? » ajoute-t-il. « Pourquoi suis-je en vie ? A quoi bon ? »
Le capitaine a allumé le moteur pour continuer la traversée, tandis que les 41 personnes à bord du petit bateau essayaient de sauver les gens tombés à l'eau. Quelques heures plus tard, le capitaine a appelé à l'aide mais quand un autre navire est arrivé, il est monté à bord et a quitté les 41 survivants en les laissant se débrouiller eux-mêmes.
Pendant les trois jours suivants en mer, Mouhidinne pensait à sa femme et à leurs cinq enfants à la maison, tous âgés de moins de 10 ans, ainsi qu'à ses dizaines de neveux et nièces qui étaient désormais orphelins après la mort de ses frères.
Il a expliqué qu'ils avaient quitté la Somalie ensemble, car leurs enfants n'avaient jamais connu une vie sans conflit. Ils espéraient se construire une nouvelle vie en Europe, puis faire venir leur famille.
Mouhidinne explique que lui et d'autres survivants se trouvaient sur le pont, à tour de rôle en agitant leurs chemises au-dessus de la tête pour attirer l'attention d'autres navires de passage, mais aucun ne s'est arrêté.
Un autre survivant, Muaz Mahmoud, âgé de 25 ans et originaire d'Ethiopie, a indiqué que le capitaine avait jeté un téléphone satellite à bord avant de les abandonner. Sur l'écran était inscrit le numéro de téléphone des garde-côtes italiens, explique-t-il.
Ils ont appelé ce numéro et les garde-côtes leur ont expliqué comment trouver les coordonnées GPS du bateau. Quelques heures plus tard, ils ont été secourus.
Bien que soulagés d'être en vie, les survivants étaient encore sous le choc de cette perte massive en vies humaines.
« Ma femme et mon bébé sont morts », explique Muaz, qui se trouve aujourd'hui seul en Grèce. « Je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais les sauver, car on était au milieu de l'océan. »
Muaz dit que sa famille, membre de la communauté oromo en Ethiopie, cherchait la sécurité en Europe après que Muaz ait été emprisonné et menacé par des responsables gouvernementaux.
« Si je retourne dans mon pays, ils vont me tuer », explique-t-il.
Par Tania Karas, Athènes