En Malaysie, les réfugiés dans des camps en pleine jungle vivent difficilement et craignent un durcissement des mesures d'accueil, face au nombre croissant de migrants
En Malaysie, les réfugiés dans des camps en pleine jungle vivent difficilement et craignent un durcissement des mesures d'accueil, face au nombre croissant de migrants
PUTRA JAYA, Malaisie, 30 novembre 2004 (UNHCR) - Des centaines de demandeurs d'asile, venant du Myanmar et de la province indonésienne d'Aceh, secouée par le conflit, vivent dans des conditions très pénibles dans la jungle à la périphérie de la nouvelle capitale administrative de la Malaisie, Putra Jaya et craignent en permanence des incursions policières et un durcissement imminent de l'accueil des migrants illégaux.
Essayant désespérement de survivre, beaucoup de demandeurs d'asile, ayant fui la persécution dans leur propre pays, travaillent clandestinement sur les chantiers de construction de Putra Jaya - tout comme des milliers de migrants irréguliers. Ces deux groupes vivent dans la jungle, partageant souvent les mêmes camps de fortune ; leur nombre leur assure une certaine sécurité. Cependant pour les autorités, les deux groupes sont catalogués comme illégaux.
Une courte promenade mène à la dernière rangée des maisons récemment construites dans les tranchées de cette jungle accidentée. Après avoir gravi le versant de la colline, cachés parmi les arbres, se trouvent ces abris de fortune construits à la hâte, que les demandeurs d'asile appellent leur maison. Mais nombre de signes de cette existence précaire et craintive sont clairement apparents.
« Regarde ces sandales et ces chemises, » me dit Simon, réfugié Chin qui me guide au travers du camp en pointant du doigt un caniveau : « nous les enlevons pour courir plus rapidement quand la police donne l'assaut au camp. Et nous jetons nos chemises afin que la police ne puisse pas nous attraper par le col, » ajouta-t-il. Sandales et chemises déchirées sont dispersés le long des rues du camp et des escaliers, façonnés dans l'argile rouge. Non loin demeurent les cendres et la terre roussie des huttes incendiées lors d'un récent raid de la police. Pas le premier, ni le dernier.
Environ 500 Chins - minorité ethnique du Myanmar - vivent dans les camps cachés de la jungle de Putra Jaya. Certains d'entre eux sont là depuis plus de sept années. Avec les Chins, on trouve aussi des Rohingyas, provenant également du Myanmar, et les demandeurs d'asile d'Aceh. Bon nombre d'entre eux sont trop effrayés pour poursuivre leur voyage jusqu'à la capitale, Kuala Lumpur, et s'enregistrer auprès de l'UNHCR. Ils risquent d'être interceptés par les autorités et mis en détention. Afin de répondre à leurs craintes fondées, l'UNHCR projette l'envoi d'équipes mobiles dans la jungle pour enregistrer leur demande d'asile ; ce qui leur assurera une certaine protection contre les incursions de police et contre une mise en détention.
« Fondamentalement, les demandeurs d'asile sont considérés par le gouvernement comme migrants illégaux, et ils font partie de cette catégorie sociale. Nous nous devons d'extraire du lot les gens qui ont besoin de protection internationale et qui relèvent clairement de notre mandat, et procéder de façon discrète, » précise le Représentant de l'UNHCR en Malaisie, Volker Türk.
Un durcissement imminent de la politique du gouvernement sur les migrants illégaux a donné lieu à la mise en place d'un enregistrement urgent des demandeurs d'asile habitant la jungle.
« Lors de la dernière opération policière, ils ont brûlé toutes les huttes, notre église, ont abimé nos ustensiles de cuisine et ont jeté tout notre riz, » nous déclare anonymement un demandeur d'asile Chin en épluchant des légumes pour le repas collectif.
Il y a de la solidarité dans le camp Chin de la jungle. Ceux qui travaillent partagent leur revenu et leur nourriture avec ceux qui sont actuellement sans emploi. Mais chaque jour, tous les demandeurs d'asile sont confrontés à une grande insécurité.
Le trajet vers les chantiers de construction dure environ une heure à pied, le long des routes tracées entre les arbres, où les buffles d'eau se côtoyent sur le terre-plein central. Mais c'est ici que les autorités attendent les réfugiés et les arrêtent, souvent après une longue course-poursuite qui se termine parfois par la mort.
« Il n'y a aucune autre issue pour nous. La jungle demeure encore l'endroit le plus sûr, » nous dit un autre demandeur d'asile Chin. Tous les résidents du camp Chin sont des hommes. Ce n'est pas un endroit pour une femme, disent-ils.
« Au Myanmar, la situation est pire qu'ici. C'est pour cela que nous restons ici même si les autorités donnent l'assaut deux à trois fois par an au camp et nous pillent, ce n'est pas pire qu'au Myanmar, » indiquait un représentant de la communauté.
L'insécurité permanente tourmente les réfugiés.
« La nuit nous ne pouvons dormir en paix parce que nous craignons les opérations de police qui peuvent survenir à tout instant et nous avons également peur des voleurs. Les voleurs hurlent qu'ils sont des policiers, nous nous mettons à fuir et ils volent tous nos vêtements et tous nos effets, » dit le chef de camp, visiblement dépassé par l'injustice dont ils sont victimes.
Les habitants de la jungle n'ont quasi rien - des huttes construites à partir d'arbustes coupés dans la jungle et des bâches en plastique ; quelques ustensiles de cuisine et des vêtements usés.
Fuir les attaques de la police et des voleurs est très risqué, particulièrement en période de mousson, lorsque les pluies torentielles rendent l'état du sol très dangereux.
« Lorsque nous fuyons et que l'un d'entre nous tombe et se casse une jambe, nous n'osons pas l'emmener à l'hôpital. Nous devons attendre que l'opération de police se termine pour tenter de trouver quelqu'un qui parle un peu l'anglais pour aller à la clinique se procurer des médicaments. Autrement, nous relevons nos manches et faisons le travail nous-mêmes, » déclare un Chin.
La déclaration récente du gouvernement malaysien qu'il octroierait une autorisation de séjour provisoire aux réfugiés du groupe ethnique musulman minoritaire au Myanmar était un pas considérable dans l'amélioration du sort difficile de près de 10 000 réfugiés Rohingya dans le pays. Mais il y a également 18 000 autres réfugiés et demandeurs d'asile dont le statut auprès des autorités est peu clair.
« Nous n'avons aucun espoir en l'avenir. Si la situation politique dans notre pays était bonne, nous retournerions chez nous. Notre seul espoir est l'UNHCR et si nous pouvons être réinstallés dans un autre pays où notre vie serait meilleure ou plus confortable ... sinon notre vie s'achèvera ici, dans cet endroit, » nous déclare tristement le chef du camp.
Par Jennifer Pagonis, Putra Jaya