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Une campagne urgente permet d'affirmer l'identité de centaines de Colombiens forcés à fuir la violence

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Une campagne urgente permet d'affirmer l'identité de centaines de Colombiens forcés à fuir la violence

L'agence des Nations Unies pour les réfugiés mène une campagne d'enregistrement urgente auprès des quelque 1 400 personnes qui ont été contraintes de fuir leurs communautés isolées dans le sud-ouest de la Colombie afin d'échapper aux combats.
15 Mai 2006 Egalement disponible ici :
Une équipe d'enregistrement met en place un fourgon mobile pour le début de la campagne urgente de documentation en faveur des personnes nouvellement déplacées dans le sud-ouest de la Colombie.

SANCHEZ, Colombie, 15 mai (UNHCR) - José* attend patiemment son tour avec ses trois enfants dans le hall bondé de l'église dans le petit village de Sanchez. Il se souvient du jour où une balle a traversé le toit en tôle de sa maison pour finir sa course dans le mur de la cuisine, à quelques centimètres à peine de sa fille. Ce jour-là, il a compris qu'il était temps de partir.

Il y a encore trois semaines, José et sa famille vivaient à El Alto, au sein d'une communauté peu nombreuse installée à une heure de marche de Sanchez, sur les hauteurs. Leur petite ferme était nichée dans une vallée, située entre deux collines objet de disputes. Du fait des combats, José et sa famille sont devenus des déplacés à l'intérieur de leur propre pays.

Aujourd'hui, ils attendent patiemment leur tour. C'est le premier jour de la campagne urgente de délivrance de papiers d'identité, organisée conjointement par l'UNHCR et le Bureau d'enregistrement colombien.

« C'est le seul élément positif qui ressortira de tout ceci », explique José. « Nous avons tout perdu, nous ne savons pas comment nous allons faire pour vivre mais, au moins, les enfants auront des documents d'identité. Ils ne seront pas comme nous, à vivre comme des animaux, sans que personne ne sache même que nous existons. »

Au total, plus de 1 400 personnes issues de 19 communautés ont trouvé refuge à Sanchez les 17 et 18 avril dernier. Ils ont fui les violents combats entre les hélicoptères de l'armée et les membres d'un groupe armé irrégulier. La vaste majorité des déplacés sont d'origine afro-colombienne. Certains sont venus à pied, d'autres par bateau sur la rivière Patia. Aucune route digne de ce nom n'existe dans cette région isolée de la Cordillère occidentale des Andes.

Dans cette zone du sud-ouest de la Colombie, les communautés sont si isolées que nombre de leurs membres, parmi lesquels José et sa famille, n'ont jamais eu accès aux services de l'Etat. Ils ne disposent même pas d'un certificat de naissance pour attester officiellement de leur existence. Cette absence de papiers officiels peut avoir des conséquences fatales. Dans cette partie du pays où se déchaîne le conflit entre groupes armés irréguliers, l'impossibilité de faire la preuve de son identité peut en effet devenir une question de vie ou de mort. Et lorsque la violence force les habitants à fuir leurs communautés, l'absence de pièces d'identité ne fait qu'aggraver les nombreux problèmes liés au déplacement.

« Beaucoup de personnes déplacées n'ont pas accès à l'aide qu'elles sont en droit de recevoir de la part du gouvernement parce qu'elle ne sont pas en mesure de prouver leur identité », indique Roberto Meier, le délégué de l'UNHCR en Colombie. « Disposer de documents d'identité est le droit de tout citoyen. Dans le cas des déplacés internes, le respect de ce droit est d'une importance fondamentale. Il ne s'agit pas seulement de pouvoir accéder à un certain nombre de services, mais aussi d'être protégé. Les personnes dont l'existence n'est même pas connue sont fortement exposées aux risques d'exploitation et à la menace de toutes sortes de violences. »

Afin de s'assurer que le plus grand nombre de déplacés possible reçoive des papiers d'identité, l'UNHCR collabore depuis 2004 avec l'unité pour la prise en compte des populations vulnérables, qui relève du Bureau de l'enregistrement colombien. Depuis, plus de 250 000 personnes ont été enregistrées dans les villes, villages et communautés isolées comprenant d'importantes populations déplacées.

Pour atteindre ces communautés, trois unités mobiles du projet ont effectué des milliers de kilomètres vers les parties les plus reculées de la Colombie. Elles sont équipées d'ordinateurs, de matériel d'enregistrement des empreintes digitales, d'appareils photo et d'une antenne satellite pour connecter l'unité avec la base de données nationale à Bogota. Dans le cas de déplacements massifs comme à Sanchez, une campagne d'urgence peut être organisée en quelques jours seulement.

Dans l'église de Sanchez, Olga, âgée de 73 ans, est un peu perplexe lorsqu'on lui demande de se lever et de prêter serment sur son identité. Elle a vécu toute sa vie dans un village près d'une petite rivière à près de trois heures de là, et ni elle ni ses 15 enfants ont jamais été enregistrés auprès de l'Etat. Son cas représente un problème pour l'équipe chargée de l'enregistrement. La loi requiert la présence de deux témoins porteurs d'une carte d'identité et qui connaissent la personne depuis sa naissance. Une condition requise qui paraît simple, mais impossible à satisfaire dans le cas d'Olga car la seule personne de son village qui a une carte d'identité est âgée de 30 ans de moins qu'elle. En fait, celle-ci et le prêtre local ont fait office de témoins.

« Lorsque nous traitons de tels cas, nous essayons d'être aussi flexibles que la loi nous le permet », indique Zandra Muñoz, le coordinateur du projet. « Notre objectif est de munir rapidement de papiers d'identité les populations extrêmement vulnérables dans les situations d'urgence et nous faisons tout notre possible pour nous assurer que chaque personne en ayant besoin soit enregistrée. »

Ce travail n'est pas une sinécure. La rumeur selon laquelle une équipe mobile d'enregistrement se trouve à Sanchez s'est répandue comme une traînée de poudre. Des centaines de personnes font la queue patiemment dans et à l'extérieur de l'église, déterminés à ne pas manquer cette occasion de recevoir enfin une carte d'identité. La chaleur est étouffante et l'équipe des sept fonctionnaires travaille sans relâche pour satisfaire le plus de monde possible et ne décevoir personne.

Elena est une petite fille chanceuse. Née à Sanchez deux jours plus tôt, elle est l'un des bébés de cette région à avoir reçu des papiers d'identité dans la première semaine de sa vie. Sa mère, Adriana, a dû lui choisir un prénom lors de l'enregistrement, l'équipe lui ayant indiqué que c'est une condition préalable pour recevoir des papiers d'identité. La jeune mère est embarrassée, elle aurait dû trouver un nom plus tôt, dit-elle, mais il s'est passé trop d'événements durant ces dernières semaines.

« J'étais dans la maison quand l'hélicoptère est arrivé », affirme-t-elle. « Tout d'abord, je n'y pensais pas, mais ensuite j'ai entendu des coups de feu et ce qui ressemblait à un lâcher de bombes sur le toit de la maison. J'ai eu tellement peur que cela m'a pris une demi-heure peut-être avant de trouver le courage de courir vers la maison de ma mère pour aller chercher mon petit garçon. Tout le monde courait sans savoir dans quelle direction aller - vers la rivière ou à pied, nous ne savions pas ce qui était le plus dangereux. »

Elle regarde émerveillée sa nouvelle carte d'identité et celles de ses enfants. Grâce à ces papiers, dit-elle, elle pourrait peut-être un jour les envoyer à l'école. Mais ce sursaut d'optimisme est de courte durée. Assise sous une statut en bois du Christ, importée d'Equateur et source de fierté pour la communauté locale, Adriana retombe à nouveau dans le désespoir.

« Je ne sais pas ce qui nous attend », dit-elle. « J'ai tout perdu et je ne sais pas comment je vais nourrir mes enfants. Je ne vois aucune solution pour nous. Parfois, c'est tellement dur, je pense qu'il aurait été plus facile de mourir. »

* Tous les noms ont été changés pour des raisons de sécurité

Par Marie-Hélène Verney à Sanchez, en Colombie