Questions/Réponses : Une journaliste radio d'origine afghane surmonte les barrières socioculturelles
Questions/Réponses : Une journaliste radio d'origine afghane surmonte les barrières socioculturelles
PESHAWAR, Pakistan, 16 mars (UNHCR) - Farishta Sheikhani est une jeune journaliste afghane cherchant à surmonter par son travail les barrières traditionnelles fondées sur la nationalité et le genre au Pakistan. Elle est journaliste à l'agence de presse Internews et disc jockey à Radio Buraq, la première station FM pakistanaise diffusant des émissions pour la communauté afghane dans sa propre langue. Elle explique que son principal objectif est d'éduquer les auditeurs avec des émissions abordant tous les sujets, de la santé à la politique et la religion. Rabia Ali, employée de l'UNHCR pour l'information publique, l'a rencontrée dans la ville de Peshawar.
Quand et pourquoi avez-vous quitté l'Afghanistan ?
Je suis originaire de Shikhan, dans le Panchir, mais j'habitais à Kaboul avec ma famille. Nous avons quitté la capitale en 1994 à cause de la guerre civile, qui a causé beaucoup de morts parmi les civils. Mon père tenait un commerce de pièces détachées pour l'automobile. Nous ne voulions pas partir mais nous n'avions pas le choix. Il y avait des combats partout. J'avais seulement 10 ans lorsque nous avons trouvé refuge au Pakistan.
Comment avez-vous réorganisé votre vie au Pakistan ?
Lorsque nous sommes arrivés, nous avons dû faire face à de nombreux problèmes financiers mais la vie a continué. Au cours des premiers mois, nous avons utilisé nos économies. Puis mes tantes, qui vivent aux Etats-Unis, et mon frère aîné, qui habite au Danemark, ont commencé à nous aider financièrement. Ils continuent encore aujourd'hui.
Ma famille et mes amis m'ont toujours dit de ne pas fréquenter les Pakistanais car ils voient les Afghans seulement comme des réfugiés. Mais c'est une idée fausse. Quand j'ai commencé mes études à l'université de Peshawar, j'ai trouvé que les Pakistanais étaient sympathiques et hospitaliers, ce qui explique pourquoi ils ont permis aux Afghans de rester dans ce pays depuis trente ans. Mes échanges avec la communauté locale ont alors changé ma propre opinion mais aussi celle de ma famille et de mes amis afghans. Je peux dire très fièrement que mes meilleurs amis sont pakistanais.
Pourquoi avez-vous choisi d'étudier le journalisme ?
J'ai toujours voulu être journaliste, je voulais faire entendre la voix des Afghans. J'ai été très déçue lorsque l'université afghane Ibn-e-Sina basée à Peshawar a été fermée. J'étais en dernière année et je ne savais pas que faire - je ne pouvais pas être admise à l'université pakistanaise car j'avais suivi un cursus afghan. Mais j'ai tenu bon et les professeurs du département de journalisme de l'université de Peshawar m'ont finalement donné une chance. Ils m'ont demandé de suivre une formation rapide à laquelle ont accès des journalistes afghans et pakistanais. J'étais la seule femme parmi 15 hommes et j'ai impressionné mes professeurs par mes bonnes notes.
Malheureusement les Afghans n'aiment pas lire les journaux. J'ai choisi la radio qui est un média très populaire pour les Afghans. Actuellement, je travaille comme journaliste pour l'agence de presse Internews et en tant que DJ [disc jockey] à Radio Buraq, la première station FM pakistanaise diffusant des émissions pour la communauté afghane dans sa propre langue. L'objectif principal est d'éduquer les gens par des interviews sur des sujets variés allant de la santé à la politique et la religion. La plupart du temps, je parle en dari dans mes émissions, parfois aussi en pachtoun ou en urdu. De temps en temps, je me déplace même en Afghanistan pour préparer un reportage. Mes émissions concernent en majorité les femmes afghanes, l'éducation et les problèmes auxquels doivent faire face les réfugiés. J'ai aussi couvert le séisme au Pakistan et je me suis rendue dans les zones dévastées. Je me suis concentrée sur les besoins des femmes affectées. Mes sujets pour l'agence de presse Internews sont diffusés sur toutes les radios FM en Afghanistan.
Quels sont les obstacles auxquels doit faire face une femme journaliste ?
Je veux être la meilleure journaliste en Afghanistan, mais en tant que femme je ne peux pas me permettre d'aborder autant de sujets qu'un journaliste homme et je dois toujours réfléchir à deux fois avant de faire quoi que ce soit.
Les gens me connaissent sous le nom de DJ Malaika [ange en arabe], et je reçois de nombreuses offres d'embauche de la part de chaînes de télévision locales pour être VJ [vidéo jockey]. J'en ai discuté avec ma famille et mes amis, mais j'ai changé d'idée lorsqu'une amie m'a dit : « Farishta, penses-tu à l'avenir ? Si tu travailles à la télévision, qui voudra se marier avec toi ? » J'ai alors refusé l'offre en tenant compte du tabou que représente la télévision. Maintenant les gens reconnaissent ma voix et mon amie avait raison, aucun Afghan ne voudrait m'épouser si je rejoins la télévision car les filles qui y travaillent ne sont pas considérées comme dignes de respect dans notre société. Ma famille, qui n'avait rien dit à ce sujet de peur de me contrarier, a été très heureuse de ma décision.
Votre expérience en tant que réfugiée vous a-t-elle aidée lors de la couverture du séisme d'octobre 2005 au Pakistan ?
Lorsque je suis arrivée à Balakot [dans la Province frontière du Nord-Ouest, près de l'épicentre du séisme], la situation était tellement difficile que je n'ai pas pu retenir mes larmes. J'ai été profondément déprimée de voir toute cette souffrance. Je me suis rendue dans des écoles et j'ai interviewé une fillette âgée de huit ans qui avait perdu ses parents ainsi que l'une de ses jambes. Elle disait : « Je n'ai plus peur de rien, j'en ai vu trop. Depuis la mort de mes parents, je ne suis plus la même personne. » J'ai ressenti sa douleur, et j'ai aussi été impressionnée par son courage.
De tels désastres dépassent les frontières. Il n'y a pas de différence entre les Afghans et les Pakistanais. Toutes les victimes sont des personnes et elles ont besoin de notre soutien pour les aider à recommencer leur vie dévastée. Lorsque survient une catastrophe naturelle, nous croyons toujours que c'est la volonté de Dieu et notre destinée. Cette croyance fait cicatriser nos blessures. Cependant, dans le cas de désastres provoqués par les hommes comme la guerre, les blessures des victimes ne peuvent pas guérir. Ils ne peuvent jamais oublier ou pardonner car personne n'a le droit de détruire la vie d'autrui.
Durant les décennies de conflit en Afghanistan, quelle a été la période la pire pour les femmes ?
La période des talibans bien sûr. Quand ce régime était au pouvoir [1996-2001], je suis allée en Afghanistan une fois pendant 15 jours. Je me suis sentie prisonnière dans ma propre maison, mon pays. Une fois, je revenais du marché avec mes cousins, je portais une burqa mais j'avais oublié de porter des chaussettes pour cacher mes chevilles. Lorsque j'ai vu qu'ils battaient d'autres femmes qui ne portaient pas de chaussettes, j'en ai immédiatement acheté une paire. Heureusement, je les ai enfilées à temps, sinon ils m'auraient frappée aussi. La plupart de mes cousines ont été battues. Il était très humiliant pour les femmes de vivre en Afghanistan à cette période. Une de mes jeunes cousines, qui souffre d'un retard mental, se rendait avec sa mère chez des proches, dans la même rue. Elle a été battue si fort par les talibans car elle avait refusé de porter la burqa, bien qu'elle était tout de même voilée. Après cet incident, sa santé s'est détériorée.
Avez-vous l'intention de rentrer en Afghanistan ?
Je pourrais rentrer en Afghanistan quand les équipements seront rétablis. Par équipements, les gens entendent généralement l'eau, l'électricité et le gaz. Pour ma part, cela comprend aussi autre chose. Même si j'ai de bonnes perspectives de travail en Afghanistan, je ne rentrerai que lorsque je pourrai me déplacer seule et travailler indépendamment. Malheureusement, ce n'est pas possible à ce jour.
Je crois que le jour où les femmes auront les mêmes libertés en Afghanistan que celles que nous avons au Pakistan, ce sera le moment idéal pour moi pour rentrer. J'espère que l'Afghanistan élira une femme président ; je suis sûre qu'elle pourra faire une grande différence.
La guerre a séparé ma famille, mes trois frères et soeurs vivent à l'étranger. Mon frère travaille à Kaboul mais sa famille vit avec nous au Pakistan. Il a essayé d'installer sa famille à Kaboul, mais il a dû les ramener ici car les conditions de vie n'étaient pas favorables.
Avez-vous un modèle auquel vous vous identifiez ?
Ma soeur aînée est mon exemple. Il y a 17 ans, elle a perdu son époux avec lequel elle s'était mariée deux ans auparavant, dans une attaque à la roquette. Elle n'a jamais travaillé et elle est dépendante de la famille au niveau financier. Malgré cela, elle est si solide et si courageuse, et elle est toujours là pour aider quelqu'un si besoin. Nous discutons de nos problèmes avec elle, car nous sommes convaincus qu'elle trouvera la solution.