Le HCR avertit les migrants désespérés des risques mortels associés à la traite d'êtres humains dans le golfe d'Aden
Le HCR avertit les migrants désespérés des risques mortels associés à la traite d'êtres humains dans le golfe d'Aden
BOSSASSO, Somalie, 19 décembre (UNHCR) - Une personne sur 20 ayant entrepris de traverser le golfe d'Aden cette année, à bord de frêles embarcations, est morte. Devant ces chiffres dramatiques, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés a commencé une campagne de sensibilisation dans la Corne de l'Afrique pour informer les candidats à l'immigration des périls qu'ils encourent en traversant illégalement le golfe pour gagner le Yémen.
Des dépliants colorés, comprenant notamment des dessins accompagnés de textes en somalien, traduits en trois dialectes éthiopiens, sont distribués dans toute la région du Puntland en Somalie. Parallèlement, des spots radio sont diffusés depuis le mois d'octobre. La campagne informe aussi les demandeurs d'asile arrivant d'autres pays qu'ils peuvent demander l'asile sur place en Somalie, et elle demande aux communautés hôtes de traiter humainement les migrants. La campagne de sensibilisation est actuellement élargie au sud et au centre de la Somalie ainsi qu'en Ethiopie.
A ce jour en 2007, 28 000 personnes ont déjà effectué la traversée périlleuse vers le Yémen depuis la cite portuaire de Bossasso, située au nord-est de la Somalie, pour tenter d'atteindre les riches pays du golfe. Plus de 1 400 d'entre elles sont mortes. Elles ont été tuées par des passeurs ou se sont noyées en mer. De nouvelles pertes en vie humaine, s'élevant au moins à 58 personnes, sont survenues le week-end dernier. Un bateau de passeurs a chaviré ; un autre a heurté un rocher et s'est brisé en plusieurs morceaux.
A Bossasso, la campagne de sensibilisation menée à l'attention des candidats à l'immigration est accueillie favorablement par les ONG locales. « Les migrants veulent une vie meilleure ; ils n'aiment pas penser aux dangers », a expliqué un travailleur humanitaire somalien. « Il est de notre devoir d'assurer qu'ils soient pleinement conscients que la mort peut les surprendre ». Sheikh Abdulqader, leader des anciens dans la ville, ajoute : « A nous seuls, nous ne pouvons pas empêcher ces personnes désespérées de traverser. Le soutien de la communauté internationale va nous aider à ralentir une tragédie qui dure déjà depuis trop longtemps. »
En plus de la campagne de sensibilisation, l'UNHCR a intensifié cette année son travail au Yémen dans le cadre d'un budget de sept millions de dollars et a annoncé, mardi, qu'elle allait renforcer sa présence, dans une région reculée située le long de 300 kilomètres de côte, avec l'ouverture de deux nouveaux bureaux de terrain en 2008.
A Bossasso, dans un petit café éthiopien - où l'on peut lire sur le mur une maxime involontairement ironique « le navigateur est l'avenir de l'homme » - ceux qui vont embarquer bientôt à bord de bateaux de passeurs sont peu loquaces. Une dizaine de jeunes Ethiopiens mâchent du khat, une plante narcotique locale. Ils sont à la fois impatients et apeurés de ce qui va leur arriver. Ce soir, ils quitteront la ville pour se rendre sur une plage et embarquer à bord d'un bateau délabré vers le Yémen.
Ils sont tous nerveux, à l'exception de Saïd, qui a déjà effectué une fois la traversée. Il dit avoir été refoulé d'Arabie saoudite il y a quelques mois car il n'avait pas de permis de travail. « La dernière fois, j'ai réussi à atteindre le Yémen sain et sauf alors je voyage avec le même passeur cette fois », dit-il, ajoutant que sa femme se trouve toujours en Arabie saoudite où elle travaille en tant que domestique et qu'elle lui envoie de l'argent pour payer son voyage. Les deux amis, avec qui il discute de la possibilité de partir avec lui, sourient nerveusement quand on leur parle des dangers du voyage.
Néanmoins tout le monde ne partira pas ce soir. Assise près d'un mur noirci par la fumée d'encens, la jeune Fahir semble si faible qu'elle ne peut que chuchoter. « Je suis venue d'Ethiopie avec mon mari, après que des voisins, qui construisaient une belle maison, nous aient dit qu'on pourrait gagner de l'argent en Arabie saoudite », murmure-t-elle.
Cependant, une fois à Bossasso, son mari lui a dit qu'il ne pouvait payer la traversée que pour une seule personne et il est parti, en l'abandonnant alors qu'elle était enceinte. « Je n'ai pas d'argent pour la traversée vers le Yémen ; je n'ai pas d'argent pour rentrer en Ethiopie, et ici je ne peux même pas travailler pour me nourrir car personne n'embauchera une femme enceinte », pleure-t-elle, en ajoutant qu'elle se rend compte aujourd'hui qu'elle n'aurait pas dû quitter sa maison.
Comme Fahir, de nombreux migrants sont bloqués à Bossasso. « Même si vous trouvez un emploi au port en tant que porteur, vous gagnez tout juste de quoi payer trois repas par jour et une nuit dans un hôtel misérable aux murs en carton, où vous dormez avec des dizaines d'autres personnes », explique un jeune Ethiopien.
Certains migrants n'ont même pas les moyens de se payer un toit misérable. Après avoir travaillé toute la journée dans le port, Hassan, âgé de 16 ans, doit dormir à la belle étoile dans un bâtiment en ruine. « Après la mort de ma mère, mon père a commencé à me battre. Un jour, j'ai entendu que des gens de notre village en Ethiopie étaient partis à Bossasso pour traverser vers le Yémen. Quand mon père a de nouveau essayé de me battre, j'ai fui et j'ai rejoint cette ville. » Mais il n'avait pas vraiment compris combien le voyage vers le Yémen pouvait être dangereux avant d'avoir atteint Bossasso.
Il n'y a pas que des Ethiopiens comme Hassan qui cherchent à tout prix à effectuer la traversée en mer. La violence ayant fait rage à Mogadiscio toute cette année, un nombre accru de Somaliens a commencé à choisir cette échappatoire. Pour la première fois, le nombre de Somaliens a dépassé celui des Ethiopiens à bord des 300 bateaux qui ont effectué la traversée cette année.
Malgré les dangers, Khadija veut faire de même. Il y a plusieurs mois, elle a quitté avec sa famille la capitale somalienne en proie à des troubles et elle a rejoint Bossasso, où son mari a embarqué dans un bateau, en lui promettant qu'il enverrait de l'argent à sa famille.
« Je n'ai plus jamais reçu de ses nouvelles », se lamente Khadija. « Il a dû se noyer en mer. » Elle habite à Bossasso avec ses enfants dans un abri sordide se trouvant dans l'un des sites accueillant des personnes déplacées internes.
Elle est aujourd'hui si désespérée qu'elle envisage de laisser ses jeunes enfants à sa fille âgée de 10 ans pour embarquer, elle aussi, dans un bateau vers le Yémen et pour envoyer de l'argent à sa famille. « Je ne peux ni rentrer à Mogadiscio avec mes enfants, où ils mourront, ni rester dans une ville où ils manquent de tout », explique-t-elle. « Dieu a déjà pris la vie de mon mari. Il ne prendra pas la mienne. »
Par Catherine Weibel à Bossasso