Sur les rives du Lac Tchad, les familles de déplacés luttent pour s'en sortir
Sur les rives du Lac Tchad, les familles de déplacés luttent pour s'en sortir
« Six ans, neuf mois. » Alimi Abali, la cinquantaine émaciée, n’hésite pas une seconde. Il sait exactement depuis combien de temps sa famille et lui ont trouvé refuge dans le camp de Forkoloum. Cinquante mille déplacés internes vivent ici, à une vingtaine de kilomètres de Baga Sola, la deuxième plus grande ville tchadienne des rives du lac Tchad.
Alimi a beau s'être reconstruit une nouvelle vie, il reste nostalgique.
Alimi a fui avec ses trois femmes et ses onze enfants, après une attaque d'une violence inouïe contre le village qui l'a vu naître. « Boko Haram nous a attaqués une nuit alors que tout le village était rassemblé pour des festivités. Ils ont tiré sur tout le monde. Des enfants ont été enlevés, des hommes, des frères à moi sont morts. Leurs femmes et enfants ont fui avec nous. »
Sept de ses proches ont été tués cette nuit-là, et treize de ses neveux et nièces ont été enlevés.
Quand sa famille et lui sont arrivés à Forkoloum il y a sept ans, le camp était bien plus petit. Aujourd'hui, le site s'étend à perte de vue. « A notre arrivée, nous étions comme des étrangers ici. Nous dormions sous les arbres », raconte Alimi
Au fil des ans, la famille a reproduit l’habitat qu’elle occupait autrefois. Leurs solides huttes circulaires, faites de roseaux du lac et de branches de bois ramassées dans la brousse, contrastent avec les abris de fortune des derniers arrivés. Il y a même un poulailler et un cheval que la famille utilise « comme un vélo, pour les déplacements quotidiens », plaisante Alimi.
Ici, tous connaissent Alimi et l'appellent « Boulama », chef en arabe tchadien. Cette marque de respect traduit son statut de chef de village. Il est, entre autres, chargé de régler les problèmes et tensions qui surgissent au sein de la communauté.
Le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, travaille dans ce camp comme dans tout le pays pour fournir aux personnes qui ont fui leur foyer les moyens de leur autonomie. Ils reçoivent de l'argent pour créer leur propre activité, mais sont également formés à la gestion, à la coexistence pacifique avec les communautés locales et aux problèmes en matière de protection, tels que les violences sexistes.
Drapée d'un chatoyant voile rose vif, Yaka Moussa, sa femme, gère leur plus précieuse richesse : une échoppe qu'elle a ouverte il y a un peu moins de deux ans grâce. « Nous avons reçu une aide financière du HCR. Grâce à cela, nous avons acheté des marchandises en gros pour les revendre au détail », explique-t-elle. Ses étagères sont garnies d’arachides, d’huile, de boissons ou encore de lessive
Ce petit commerce subvient aux besoins de la famille. « C'est grâce à cela que nous nous nourrissons, nous habillons et nous soignons », explique Alimi. Il désigne le bébé d'un an et demi qui se blottit dans les bras de sa femme. « Notre enfant a été malade. Il a dû aller trois jours à l'hôpital et nous avons pu payer grâce à ce commerce. »
Dans la Province du Lac, la moitié des habitants, 450 000 personnes, sont déplacés ou réfugiés. La plupart d’entre eux, 400 000 personnes, sont des déplacées internes provenant d'autres parties de la province ou du pays. À leurs côtés, 30 000 anciens réfugiés tchadiens sont revenus des pays voisins, souvent en raison de la menace djihadiste croissante dans leur pays d’accueil. Enfin, la Province du Lac accueille plus de 16 000 réfugiés du Nigéria et du Niger. Au total, le HCR dénombre 229 sites accueillant des déplacés et des réfugiés dans la région.
Mariama, 25 ans, est une réfugiée nigériane, arrivée il y a un an dans le camp de Dar-Es-Salam. Elle a fui avec son mari et ses enfants après une attaque au cours de laquelle plusieurs de ses voisins ont été tués. « Pour le moment, je veux rester ici car je me sens en sécurité. Mais si la stabilité revient dans mon pays et mon village, alors je rentrerai », assure-t-elle.
Même si depuis un an l'ampleur et la fréquence des attaques des groupes djihadistes contre les populations civiles ont diminué au Tchad, la menace est toujours bien présente. Ces six dernières années, les vagues d’arrivées se sont succédé. Depuis mars 2020, la population des déplacés a augmenté de 16% dans la province du Lac. Ils viennent dans leur écrasante majorité des îles du lac, où les groupes djihadistes restent très actifs.
« Notre vie est ici désormais. »
Beaucoup de réfugiés et déplacés se concentrent dans les zones urbaines, mieux protégées par les forces de sécurité. Ces populations nouvellement arrivées accroissent la pression sur des infrastructures déjà fragiles et insuffisantes. Certaines de ces zones ont vu leurs populations doubler en quelques années seulement.
« On sait aujourd'hui qu'un grand nombre de déplacés vont rester là où ils sont. Cette mutation socio-économique doit être prise en compte dans les plans de développement », explique Papa Kysma Sylla, le Représentant du HCR au Tchad.
Le chef Alimi Abali et sa famille espèrent pouvoir bientôt ouvrir une seconde épicerie et placent ses espoirs dans l'éducation des enfants. « Notre vie est ici désormais », résume-t-il.