Note sur la protection internationale (présentée par le Haut Commissaire)
Note sur la protection internationale (présentée par le Haut Commissaire)
A/AC.96/777
SOMMAIRE
Une analyse des faits nouveaux intervenus, dans le domaine de la protection internationale des réfugiés en 1990 est contenue dans le rapport des Nations Unies pour les réfugiés soumis à l'Assemblée générale par l'intermédiaire du Conseil économique et social (Document E/1991/65).
La présente note traite de la situation actuelle en matière de protection internationale des réfugiés. En ce quarantième anniversaire du HCR cette note par ailleurs a, pour thème central, la nécessité de promouvoir et de donner une vigueur nouvelle aux principes de protection et en même temps d'étudier les possibilités d'un développement ultérieur du droit et de la pratique en matière de protection.
I. INTRODUCTION
1. La protection internationale des réfugiés, qui est la fonction primordiale du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), a considérablement bénéficié d'une adhésion des Etats à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et à son application ultérieure. L'année 1991 marque le quarantième anniversaire de cet instrument qui, après de nombreuses années, reste la pierre angulaire des efforts internationaux en matière de protection des réfugiés. La protection élémentaire prévue par la Convention, y compris contre le refoulement, l'expulsion et la discrimination arbitraire ainsi que la défense des droits juridiques, économiques et sociaux sont aussi pertinents aujourd'hui qu'en 1951, tant au plan de la protection immédiate des réfugiés isolés qu'au plan de la recherche d'une solution durable à leurs problèmes.
2. Cette année marque également le quarantième anniversaire du HCR. La Convention de 1951 et le Haut Commissariat des Nations Unies représentent les structures de base que la communauté internationale a mises en place pour garantir la protection et la recherche de solutions durables aux problèmes des réfugiés. Quatre décennies plus tard, la communauté internationale peut légitimement réaffirmer son engagement à ces structures qui sont un vivant témoignage d'une coopération internationale, sans cesse réaffirmée pour résoudre le problème des réfugiés dans le strict respect des droits des personnes concernées.
3. Il n'y a pas lieu toutefois de verser dans l'autosatisfaction. Les récents changements politiques, d'une importance considérable, ont conduit le monde à l'aube d'une nouvelle ère. La coopération multilatérale s'est améliorée au plan global et le rôle des Nations Unies s'est renforcé. Toutefois, ces signes positifs d'un nouvel ordre mondial pour la paix se font jour sur la toile de fond de défis de plus en plus impressionnants. Les déséquilibres économiques mondiaux, les conflits intérieurs et les violations des droits de l'homme sévissent toujours. La croissance démographique galopante, alliée à une grave dégradation de l'environnement, représentent une grave menace pour le monde. Ces problèmes accroîtront inévitablement les tensions et provoqueront des mouvements migratoires plus importants à l'échelle de la planète. Les Etats se trouvent donc confrontés à de nouveaux défis impressionnants dans les domaines de la migration, de l'asile et des mouvements de réfugiés.
4. A long terme, il convient que les Etats, individuellement et collectivement, ainsi que le HCR, s'attachent résolument à développer le droit et les mécanismes internationaux existants afin que la capacité de réponse de la communauté internationale soit renforcée pour faire face aux complexités des mouvements de population contemporains. La Convention de 1951 traduit l'approche classique de la protection des réfugiés qui conceptualise le réfugié comme une victime individuelle de la persécution et présuppose implicitement que les principales obligations à l'égard des réfugiés sont celles des Etats d'asile. Les réfugiés ainsi définis ne constituent toutefois qu'une composante des mouvements modernes de personnes en quête d'asile. Les réfugiés au sens large, c'est-à-dire les personnes fuyant la violence généralisée, l'agression étrangère, les conflits intérieurs, les violations caractérisées des droits de l'homme, et autres phénomènes perturbant gravement l'ordre public, en sont une autre composante importante. En outre, on recense un grand nombre de personnes qui se dirigent vers les pays d'accueil, tant dans le monde développé que dans le monde en développement, à la recherche de meilleures conditions de vie sociales et économiques en utilisant les mécanismes de l'asile, particulièrement lorsqu'ils n'ont aucune option en matière de migration.
5. De fait, les mouvements de population sont une résultante de la persécution, d'autres formes de violation des droits de l'homme et de conflits, mais sont également le produit de catastrophes naturelles ou écologiques, du dénuement extrême ou d'une combinaison de ces facteurs. La protection des réfugiés est aujourd'hui plus que jamais hérissée de difficultés, attribuables en partie à la complexité des mouvements de population et au manque de clarté quant aux responsabilités des Etats en matière de protection, au rôle qui revient au HCR et aux solutions appropriées à rechercher.
6. Cette note dresse un bilan des problèmes de protection dans le monde. Elle discute des nouvelles orientations possibles pour les activités de protection du HCR dans le climat mondial actuel et face aux mouvements de population contemporains qui comprennent des réfugiés.
II. LA FONCTION DE PROTECTION
7. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a pour mandat de protéger les réfugiés et de faciliter la recherche de solutions durables à leur problème.1 Telles sont les principales fonctions du Haut Commissariat. Ce sont des responsabilités opérationnelles, humanitaires et apolitiques. La compétence du HCR est universelle, a trait à une catégorie de personnes définie en termes généraux plutôt qu'un groupe national particulier et ne limite pas aux Etats qui ont adhéré aux instruments internationaux pertinents concernant les réfugiés.
8. La fonction de protection a pour objectif ultime la réalisation de solutions durables pour les personnes relevant de la compétence du Haut Commissaire dans un cadre humanitaire et conforme aux principes fondamentaux en matière de protection. Elle a deux composantes principales. Tout d'abord, il s'agit de la responsabilité quotidienne consistant à protéger des individus ou des groupes de personnes ayant franchi les frontières nationales et dont les droits fondamentaux sont menacés ou dont la situation générale requiert l'intervention du HCR pour faciliter la mise en oeuvre d'une solution. En deuxième lieu, le HCR a une responsabilité au plan de la doctrine consistant à renforcer et élargir le cadre juridique régissant le statut et les droits des réfugiés. Cette fonction implique essentiellement la promotion, l'interprétation et l'établissement de principes fondamentaux en matière de protection des réfugiés afin de renforcer des engagements internationaux visant à recevoir les personnes franchissant les frontières et ayant besoin de protection internationale ainsi que ceux qui optent pour le rapatriement, à les traiter sans discrimination et à faciliter la recherche de solutions durables à leur problème sur la base des principes humanitaires et du respect des droits fondamentaux. Les activités de promotion à cet égard incluent la diffusion des droits de l'homme liés aux réfugiés ainsi que des principes de protection, le soutien actif à l'adhésion par d'autres Etats aux instruments internationaux concernant les réfugiés, leur application effective ainsi que la formation de fonctionnaires gouvernementaux ou d'autres entités participant à la détermination du statut de réfugié, à la protection et à la recherche de solutions durables.
9. Les activités de protection internationale sont, dans une large mesure, déterminées par les besoins spécifiques des groupes concernés. Les responsabilités du HCR sont les individus qui relèvent de son mandat, soit en vertu des dispositions du statut du Haut Commissariat en matière de définition, soit conformément aux conventions internationales ou régionales, sur les réfugiés, soit en raison de l'autorité conférée au Haut Commissariat par les résolutions ultérieures de l'Assemblée générale. En principe, la préoccupation du HCR en matière de protection des réfugiés couvre tout l'éventail de l'expérience du réfugié, allant des causes de la fuite jusqu'à la réintégration durable éventuelle de l'individu dans le pays d'origine ou l'intégration dans un pays d'asile.
10. L'exercice de la fonction de protection n'implique pas simplement le recours à la législation et à la diplomatie mais revêt une dimension physique, rendue évidente par les mesures prises pour réduire les risques de fuite, promouvoir le sauvetage, réinstaller ceux qui sont encore en danger dans le pays d'accueil et aider les victimes à s'intégrer dans le pays d'asile ou à faciliter le retour volontaire. Parfois, un principe juridique s'interpose entre la menace et le réfugié; en d'autre circonstances, c'est la présence même ou les démarches diplomatiques d'un fonctionnaire du HCR. Les programmes d'assistance constituent un autre mécanisme très important, parfois le meilleur, par le biais duquel la protection peut être fournie ou du moins renforcée. Dans tous les cas, la protection effective dépendra de la coopération pleine et entière entre le Haut Commissariat et les Etats ainsi qu'avec d'autres organes intergouvernementaux et organisations non gouvernementales. D'une part, une information et des idées doivent être échangées entre ces entités, selon qu'il convient, car le succès requiert toujours l'identification exacte des situations ayant provoqué la fuite ou déterminant les conditions du retour. D'autre part, le travail de protection quotidien du HCR sur le terrain se fonde sur la discrétion et l'établissement de la confiance. Le caractère confidentiel est souvent une condition préalable à l'établissement des faits soutenant des violations alléguées ou des menaces de violation des droits de l'homme. Il peut également être un instrument essentiel de l'établissement de liens de communication positifs et d'une coopération de toutes les parties où la recherche de solutions.
III. PROBLEMES ACTUELS EN MATIERE DE PROTECTION
11. L'année dernière a été le théâtre d'une amélioration globale au plan de la protection internationale des réfugiés dans de nombreux domaines. Le HCR a été particulièrement encouragé de voir que les Etats étaient en général toujours prêts à accueillir les réfugiés et à leur offrir une protection de façon temporaire ou durable. Bon nombre de pays d'asile sur tous les continents ont dû procéder à des ajustements financiers et sociaux d'importance pour accueillir des groupes ou des populations de réfugiés et ont dû en même temps combattre des réactions négatives au sein de leur propre communauté. Ils ont toutefois mis à disposition un volume de ressources considérable pour couvrir les besoins des communautés réfugiées, démontrant par là l'engagement humanitaire résolu des gouvernements, tant au plan national qu'international. Les Etats ont continué d'assumer leurs responsabilités dans un esprit de solidarité internationale et de partage de la charge pour le bénéfice de millions de gens.
12. Dans l'exercice de sa fonction de protection, le HCR a, en règle générale, bénéficié de relations de travail étroites et d'une coopération non démentie de la part des Etats, ses partenaires. Le nombre d'Etats avec qui le HCR travail en étroite collaboration s'est également accru, ce qui offre la perspective d'un cadre véritablement universel de protection et d'assistance aux réfugiés du monde. Les situations de réfugiés complexes ont été abordées de façon plus globale à mesure que les plans d'action adoptés en 1989 lors de conférences internationales sont entrés dans la phase de mise en oeuvre. La réalisation de solutions durables par le biais du rapatriement volontaire de réfugiés dans plusieurs régions du monde ainsi que la fermeture de camps prévue depuis plus d'une décennie constituent des signes indéniables de progrès.
13. Le HCR a néanmoins dû se pencher au cours de l'année dernière sur un certain nombre de problèmes de protection. Dans de nombreux cas, ces problèmes n'ont touché que l'aspect opérationnel. Mais il est arrivé que certains touchent aux principes mêmes qu'il appartient absolument au HCR de sauvegarder. En outre, ces problèmes ont été de ceux que le HCR, la communauté internationale des Etats et les Organisations internationales ont un intérêt direct, et évident, à essayer de résoudre par des efforts concertés. Ces problèmes peuvent être regroupés de la façon suivante.
A. Adhésion et application des instruments internationaux concernant les réfugiés
14. L'adhésion et l'application effective de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et d'autres instruments internationaux et régionaux pertinents, notamment la Convention de 1969 de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) constituent la cheville ouvrière des efforts de protection déployés par le HCR dans le monde. Bien que plus d'une centaine d'Etats aient adhéré à ces instruments, il faut encore faire des efforts dans ce domaine. Sur les 108 Etats parties à la Convention de 1951 et/ou au Protocole de 1967, par exemple, seuls 8 d'entre eux se trouvent dans la région de l'Asie et de l'Océanie. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, on ne recense que 7 Etats parties à ces instruments. Le HCR continue ses efforts pour une adhésion plus large mais aurait la tâche considérablement plus aisée si les Etats contribuaient de façon plus active à cet effort.
15. Parmi les difficultés rencontrées en matière d'adhésion, il convient de dissiper les malentendus qui prévalent concernant les implications pour un Etat de l'adhésion à ces instruments, comme par exemple la crainte que l'adhésion entraîne nécessairement dans son sillage une augmentation importante du nombre des arrivées de personnes en quête d'asile. L'expérience du HCR prouve que cette crainte n'est pas justifiée. Certes l'adhésion à ces instruments concernant les réfugiés établit un lien formel entre les Etats et le HCR, ce qui facilite la préparation ainsi que la gestion et la solution des situations de réfugiés.
16. En outre, certains Etats ont avancé qu'ils craignaient devoir assumer, du fait de leur adhésion, de nouvelles responsabilités financières onéreuses en particulier à l'égard du HCR. Autre crainte sans fondement communément exprimée : l'octroi de l'asile est incompatible avec de bonnes relations entre les Etats et, en conséquence, la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 ainsi que les responsabilités qu'endossent les Etats à ce titre contribuent à créer des tensions entre ces pays. Au contraire, dans la mesure où la Convention encourage la solidarité et le partage international de la charge, l'adhésion permet de renforcer les relations entre les pays d'origine et les pays d'asile, y compris pour ce qui a trait au dénouement de situations conflictuelles que les mouvements de réfugiés provoquent. Ces dernières années, le HCR et les Etats parties ont affirmé clairement aux Etats non parties que plus grand serait le nombre de pays à adhérant aux instruments internationaux en matière de réfugiés propre à couvrir les besoins des personnes arrivant à leurs frontières, plus la communauté internationale se rapprocherait d'une solution en matière de partage équitable du fardeau que représentent les déracinés de ce monde.
17. Face à ces malentendus, le HCR a mis au point une campagne de promotion mieux ciblée afin d'expliquer les responsabilités des Etats parties et dissiper les craintes d'arrivées massives, de nouvelles obligations financières énormes et de tensions entre les Etats. Le HCR a jugé utile, à cet égard, de soumettre aux Etats envisageant de devenir partie à ces instruments, un aide mémoire détaillé sur l'adhésion.
18. Autre obstacle à la mise en oeuvre effective de ces instruments, le maintien par certains Etats d'une réserve géographique dans le cadre de leurs responsabilités.2 Le maintien de cette réserve s'est révélé un facteur de complication au cours des douze derniers mois dans plusieurs situations de réfugiés. Dans au moins un pays par exemple, le HCR n'a pas eu accès aux personnes arrivant de pays exclus aux termes de la réserve géographique.
B. Détermination du statut de réfugiés
19. L'établissement, dans les pays accueillant les réfugiés, de procédures effectives et rapides de détermination du statut de demandeur d'asile, allié à l'accès garanti des demandeurs d'asile à ces procédures, est indispensable à la garantie d'une protection aux personnes qui en ont besoin. C'est également un élément crucial dans une stratégie internationale cohérente pour la gestion et la solution des situations de réfugiés. Bon nombre d'Etats ont déployé un effort important et constructif pour mettre en place des procédures efficaces ou améliorer et rationaliser les procédures existantes afin de garantir une détermination adéquate du statut de réfugié.
20. Dans un certain nombre de pays d'accueil, toutefois, les procédures de détermination du statut de réfugiés, lorsqu'elles existent, ne garantissent pas toujours un examen complet et juste du dossier individuel présenté. Des garanties fondamentales de procédures et de traitement font défaut. Il convient de noter, dans ce contexte, l'absence de droits de recours dans certain pays. Les possibilités d'interprétation adéquates font souvent défaut. En outre, dans un certain nombre de pays, les responsables prennent les décisions requises en matière de statut sur la base d'une mauvaise compréhension des principes applicables et sans la formation requise. Le HCR a essayé de surmonter certains de ces problèmes, en particulier par le biais de la formation de fonctionnaires gouvernementaux chargés de la détermination de statut, de conseils aux gouvernements concernant les procédures correctes ainsi que du partage de l'information dans le domaine public concernant les conditions prévalant dans le pays d'origine. Les activités du HCR à cet égard sont limitées par les ressources qui sont mises à sa disposition pour les activités de formation et de promotion susmentionnées.
21. Dans certaines régions, la détermination du statut des réfugiés est compliquée par l'absence d'harmonisation des procédures et des critères qui s'est traduite notamment par des demandes d'asile multiples déposées par les demandeurs d'asile isolés essayant d'optimiser leurs chances d'obtenir une décision favorable. En outre, elle a servi à concentrer le fardeau d'un grand nombre de demandes d'asile sur certains pays censés avoir des procédures plus libérales. Les Etats de ces régions coopèrent entre eux et avec le HCR pour régler ces problèmes moyennant une harmonisation des procédures et des critères.
22. Dans un certain nombre de régions, les Etats font face à des arrivées massives de personnes ne pouvant déposer de demande valable mais se portant néanmoins candidates à l'asile. En conséquence, dans certains pays, des mesures importantes ont été prises pour accélérer les procédures visant à traiter les demandes manifestement infondées. Telle a été la démarche préconisée par le HCR. Les efforts de protection du Haut Commissariat à cet égard visent à assurer que ces procédures modifiées respectent les principes de base de la protection des réfugiés ainsi que les orientations pour l'établissement de ces procédures acceptées au niveau international.
23. Dans certaines régions, le HCR a dû faire face au problème délicat des entraves à l'accès aux procédures. Ces obstacles ont parfois pris la forme de mécanismes de contrôle à l'immigration ou de pratiques, laissant peu de chances aux demandeurs d'asile. Le souci du HCR est de veiller à ce que les mesures nécessaires de contrôle aux frontières visant à interdire l'entrée illégale de migrants économiques, ou autres, permettent toutefois aux réfugiés d'être identifiés comme tels et d'avoir rapidement accès aux procédures nationales de détermination du statut de réfugié.
24. Dans plusieurs régions du monde, seules les demandes des nationaux de certains pays sont recevables dans le cadre des procédures de détermination du statut de réfugié. Dans d'autres pays, tout accès à ces procédures est automatiquement interdit aux nationaux de certains pays spécifiques. Ces pratiques s'inscrivent notamment en faux contre les principes essentiels de protection consignés dans la Convention de 1951 relatifs à la discrimination pour des raisons de race, de religion ou de pays d'origine.
25. Le HCR participe aux discussions actuelles entre un certain nombre de pays concernant le rôle adéquat du Haut Commissariat dans les procédures nationales de détermination du statut de réfugié. Il va sans dire que lorsqu'un Etat devient partie à la Convention de 1951/Protocole de 1967, il accepte l'obligation de déterminer à qui, sur son territoire, s'applique la Convention et/ou le Protocole. Il incombe donc à l'Etat de prendre des dispositions ou d'instituer des procédures de détermination de statut répondant aux normes de base intentionnellement reconnues. En partie pour garantir le respect du principe de non refoulement, le HCR encourage tous les Etats, indépendamment de l'adhésion à la Convention, d'instituer des procédures de détermination de statut. Le HCR travaille de concert avec les Etats, offrant le cas échéant son expérience pour veiller à ce que les procédures fonctionnent bien, compte tenu de la nature et de l'ampleur de la population de personnes en quête d'asile ainsi que les circonstances prévalant dans le pays concerné. Il est indispensable que le HCR ait accès aux demandeurs d'asile revendiquant le besoin d'une protection internationale.
26. Dans un certain nombre de pays, la participation du HCR aux procédures de détermination de statut de réfugié a été inadéquate et on lui a refusé l'accès aux demandeurs d'asile. Comme il est indiqué plus haut,3 dans certaine cas, ce refus de l'accès se fonde sur l'argument suivant : le pays d'accueil a maintenu la réserve géographique à la Convention de 1951 et, en conséquence, le rôle de supervision du HCR ne s'applique pas aux personnes ne tombant pas sous la responsabilité du pays concerné. Il convient de rappeler à cet égard que l'assemblée générale a donné au HCR pour mission d'offrir une protection et des solutions durables à tous les réfugiés relevant de la compétence du Haut Commissariat, qu'ils soient officiellement reconnus comme tels ou non, il convient de rappeler également que le mandat du HCR n'est pas limité par les obligations internationales acceptées par un gouvernement particulier.4
C. Protection de base : sécurité physique, non refoulement et asile
27. Il est un problème de protection toujours actuel et extrêmement délicat pour les réfugiés : la menace ou la violation de leur sécurité physique. Le rejet sommaire des demandeurs d'asile à la frontière ou à la limite des eaux territoriales et leur refoulement vers des pays où leur sécurité physique est menacée ont requis l'intervention du HCR à plusieurs reprises au cours de l'année précédente. En outre, les demandeurs d'asile et les réfugiés ont expérimenté de sévères restrictions à leur liberté de mouvement, y compris la détention dans des conditions difficiles dans des camps fermés ou des centres de détention.
28. Dans un certain nombre de cas, les demandeurs d'asile ont été réexposés, suite au refus d'un Etat de les admettre, à un danger de mort certaine en mer où leurs frêles embarcations ne peuvent que couler. Les personnes secourues en mer n'ont pas pu être débarquées. Dans d'autres situations, un grand nombre de personnes arrivées ont dû être renvoyées à via des pays voisins vers les pays d'origine où la menace contre leur sécurité reste réelle et grave. Dans un pays, l'asile est exclu par principe. Dans d'autres Etats, on allègue la sûreté de l'Etat comme raison d'expulsion ou de refoulement des réfugiés, bien que les fondements de cette argumentation n'aient pas été vérifiés ou n'aient pas fait l'objet d'une étude adéquate.
29. Dans certains camps, les réfugiés ont été victimes d'attaques armées ou de recrutement forcé dans l'armée régulière ou les troupes irrégulières dans plusieurs pays. Les problèmes de sécurité dans les camps ne concernent pas seulement la population réfugiée. La sécurité du personnel du HCR et du personnel international a gravement été menacée dans plusieurs cas, en partie en raison du sentiment de frustration et d'aliénation que ne manquent pas de susciter parmi les résidents du camp les conditions de vie qui y règnent. La situation en matière de sécurité dans les camps s'est détériorée à un tel point que le HCR a dû temporairement s'en retirer. Lorsque les bureaux extérieurs ont mis au point des plans de sécurité des camps, le personnel du HCR a donc reçu une formation sur la manière de faire face aux attaques violentes dirigées contre leur personne
30. Un certain nombre de réfugiés n'ont pu rentrer vers les pays où ils résident depuis longtemps. D'autres ne peuvent obtenir le renouvellement de leurs papiers et ne sont pas en mesure de chercher asile dans d'autres pays. D'autres encore se trouvent aux prises avec des problèmes d'apatridie dans la mesure où leur nationalité n'est pas reconnue aux termes de la législation d'un pays quel qu'il soit.
31. Le HCR se préoccupe tout particulièrement des conditions préalables que posent plusieurs Etats à l'obtention de l'asile, même temporaire. Dans certains cas, la perspective d'une solution durable (généralement la réinstallation) à l'extérieur du pays d'asile a été citée comme une condition préalable même pour une première entrée. Dans d'autres cas, des Etats ont demandé au HCR d'assumer la responsabilité pleine et entière du financement et de l'organisation de l'accueil des demandeurs d'asile et de leur départ dans un délai particulièrement court avant qu'ils ne soient admis. Il y a même eu des cas où la demande d'un réfugié a été rejetée du fait que le candidat à l'asile ait eu la possibilité de demander l'asile dans le pays par lequel il a transité pour arriver dans le pays d'accueil.
32. Dans d'autres Etats, les conditions d'asile offertes aux réfugiés en dehors des camps ou des centres ne sont pas compatibles avec les normes minimales prévues dans les instruments internationaux. A cet égard, par exemple, le droit au travail n'a pas toujours été accordé alors que l'accès aux services administratifs, par exemple pour enregistrer les naissances ou les décès, a été refusé. Plusieurs pays n'ont toujours pas résolu le problème éternel que leur posent l'établissement et la durée de validité des documents de voyage pour les réfugiés.
33. Le HCR se réjouit qu'un certain nombre d'Etats soient prêts à offrir un statut protégé à certains groupes ou individus dont les autorités nationales déterminent qu'ils ne sont pas des réfugiés mais qu'il ont néanmoins besoin d'une forme de protection. L'Office s'est principalement intéressé, dans ces situations, à clarifier ou, le cas échéant, à élargir la portée des droits fondamentaux dont jouissent ces personnes.
34. Tous ces problèmes ne sont pas nouveaux pour le HCR. Le Haut Commissariat a, de fait, été pressé de s'y pencher de façon systématique dans tous les pays du monde. L'action du HCR au nom des personnes concernées a été compliquée dans un certain nombre de pays par une antipathie croissante que suscite chez les gouvernements et l'opinion publique l'accueil des réfugiés et des demandeurs d'asile. Le HCR a dû intensifier ses activités d'information, son dialogue avec les pays d'asile ainsi que ses activités de diffusion et de promotion, ses services de consultation et ses programmes de formation. Il est clair, toutefois, que les situations et les circonstances à l'origine de ces problèmes requièrent, en outre, de nouvelles approches pour assumer les responsabilités en matière de protection, discutées de façon plus générale dans les chapitres ultérieurs de cette note.
D. Solutions, rapatriement librement consenti, installation sur place et réinstallation
35. Le HCR a continué de promouvoir le rapatriement volontaire des réfugiés en tant que solution la plus satisfaisante lorsqu'elle est réalisable. Les efforts déployés l'année dernière par les pays d'origine et les pays d'asile pour faciliter le rapatriement librement consenti - parfois en coopération étroite avec les réfugiés eux-mêmes ou les pays voisins concernés - par le biais de commissions tripartites et quadripartites, sont particulièrement dignes d'éloges.
36. Dans plusieurs pays, toutefois, les problèmes rencontrés dans la vérification du caractère volontaire de la décision de rentrer chez soi n'ont pas été résolus. Tel est notamment le cas lorsque des forces de la résistance ont exercé une influence ou une mainmise sur la vie quotidienne des réfugiés ou lorsque les conditions de l'asile sont si dures qu'elles frisent l'incitation, voire la coercition, au rapatriement. En outre, le HCR connaît toujours des problèmes au plan de l'accès aux rapatriés dans un certain nombre de pays. Il lui a donc été extrêmement difficile de contrôler le respect des garanties de sécurité au retour. De fait, dans certains pays, on sait que les rapatriés sont en butte au harcèlement, à la détention arbitraire, aux disparitions et parfois sont victimes d'agressions directes par les forces militaires au sein de la communauté rapatriée. En conséquence, le rôle de supervision du HCR dans certains pays où un mouvement de rapatriement a eu lieu s'étend sur une longue période et a compliqué les relations de l'Office avec ces Etats concernant d'autres activités.
37. Dans certains pays, les rapatriés ont été déplacés à l'intérieur du pays en raison de la situation prévalant en matière de sécurité dans leur lieu d'origine ou leur destination choisie. Dans certains pays, le HCR a été invité à répondre aux préoccupations en matière de protection des personnes déplacées non rapatriées ainsi que des rapatriés lorsque les préoccupations en matière de protection des deux groupes se rejoignent à un tel point qu'il est très difficile d'établir un distinguo. En ce qui concerne les autres solutions traditionnelles, l'intégration sur place est devenue une option de moins en moins réalisable pour les réfugiés. De même, le HCR a éprouvé des difficultés considérables, dans un certain nombre de cas, à trouver des possibilités de réinstallation, même pour les personnes qu'il est nécessaire de réinstaller d'urgence pour des raisons de protection. Certains pays de réinstallation mettant à disposition des places exigent, ce qui devient un facteur de complication, que les personnes déjà reconnues comme réfugiés répondent aux critères normaux d'immigration appliqués aux non réfugiés, même lorsqu'il y a un besoin urgent de protection.
38. Les changements fondamentaux d'ordre civil, politique ou social dans certains pays se sont traduits par une ouverture et une démocratisation qui peuvent être interprétées comme un changement fondamental des circonstances ayant donné naissance à la situation de réfugié. Certains pays d'asile ont, de ce fait, mis fin au statut de réfugié de personnes originaires de ces pays. Dans un certain nombre de cas, la décision peut se justifier. Dans d'autres, la décision de mettre un terme au statut de réfugié a pu être prise avant qu'une période de temps suffisante ne se soit écoulée pour que l'on puisse juger de la stabilité des changements fondamentaux survenus dans le pays d'origine.
IV. Nouvelles orientations en matière de protection
39. Comme il ressort clairement de ce qui précède, en dépit de développements réels et positifs, les problèmes de protection restent nombreux et graves et prévalent sur toute la surface du globe. Certains de ces problèmes sont actuels et engagent les responsabilités normales du HCR en matière de protection. Les approches fondamentales du HCR à l'égard de ces problèmes ont été le dialogue avec le pays concerné, une assistance directe aux individus et la promotion de solutions durables qui garantissent la protection nécessaire. Il est toutefois de plus en plus évident que la nature et l'ampleur des mouvements contemporains de population, ainsi que les préoccupations en matière de protection qu'ils génèrent, mettent à très rude épreuve les capacités de réponse des Etats et des institutions concernées, y compris le HCR.
40. Les Etats ont commencé de réviser leur politique d'asile, en partie pour garantir un meilleur partage des responsabilités. Pour sa part, le HCR évalue sans cesse ses propres approches et sa doctrine à la lumière des exigences des situations actuelles et nouvelles de réfugiés. Le paragraphe suivant se concentre sur les nouvelles orientations prises par le HCR en matière de protection et les domaines où son action va se focaliser.
41. Il est clair que pour faire face aux mouvements de population impliquant des demandeurs d'asile, la communauté internationale se doit d'adopter une approche globale et orientée vers les solutions. Cette approche doit intégrer et mettre en parallèle les préoccupations en matière de droits de l'homme et en matière de développement et aborder les questions de politique étrangère et de contrôle à l'immigration. Les principes du droit des réfugiés, y compris le non refoulement, reflètent la distinction fondamentale entre les réfugiés et les immigrants. Toute reformulation d'une politique doit être conforme aux principes propres et essentiels à la protection du réfugié. En même temps, il convient de prendre ses distances par rapport à une vision traditionnelle du problème des réfugiés qui veut que la responsabilité en incombe uniquement aux pays d'accueil. Il y a lieu de mettre l'accent sur la nature des responsabilités des Etats, y compris celles des pays d'origine. Ces nouvelles approches devront se pencher sur les causes, tant pour les éradiquer que pour les prévenir. En outre, les options visant à promouvoir le retour, y compris en offrant une protection à l'intérieur des pays d'origine, doivent être activement recherchées. Enfin, toute approche doit se fonder sur une appréciation complète de tous les facteurs incitant les personnes à fuir. Ces facteurs incluent la persécution et le conflit, mais il y a d'autres causes que la communauté internationale doit étudier, telles que des conditions de vie indécentes ou l'absence de perspectives économiques, sans oublier la dégradation de l'environnement.
42. Sur la base de ces paramètres dans lequel doit s'inscrire l'action de la communauté internationale dans son ensemble, et sans perdre de vue la nécessité d'une adaptation des réponses à chaque cas, certaines activités peuvent désormais être assignées au HCR dans le cadre de son rôle de catalyseur ou d'acteur. La clé du succès réside dans une combinaison de l'action préventive de la part de la communauté internationale, de l'acceptation des responsabilités de l'Etat, des mécanismes de partage de la charge, des stratégies d'information et du renforcement du dispositif d'intervention international existant.
A. Prévention
43. Tout d'abord, il convient de prendre des mesures préventives. Dans ce contexte, la prévention signifie l'élimination des causes de départ - afin que les gens ne se sentent pas contraints de partir - plutôt que l'imposition de barrières qui laissent les causes intactes mais rendent le départ impossible. Grâce à la prévention, on peut également traiter à la racine une situation pouvant conduire à l'exode, de telle sorte que les menaces contre la sécurité et le bien-être des personnes concernées ne soient pas aggravées et que la situation reste contrôlable, tant du point de vue humanitaire que politique.
44. L'alerte précoce en cas de situations d'urgence évolutives, est indispensable à une médiation en temps voulu. Tant au plan national que parmi les organisations internationales, il convient de mettre en place des systèmes d'alerte précoce qui permettent le dépistage des problèmes et l'adoption de mécanismes de suivi appropriés. Le système des Nations Unies étudie actuellement un mécanisme éventuel d'alerte précoce par le biais d'un groupe de travail interinstitutions dont le HCR est un membre actif. Grâce à son travail sur le terrain avec les demandeurs d'asile et les réfugiés, d'un côté de la frontière, et les rapatriés, de l'autre côté, le HCR est en mesure d'apporter une contribution importante à la mise au point d'un tel mécanisme sur la base de ses activités actuelles.
45. La prévention requiert également une utilisation plus efficace des mécanismes de protection et de développement des droits de l'homme. Le strict respect des droits civils et politiques, mais également économiques, sociaux et culturels, est indispensable à l'élimination des causes profondes des flux de réfugiés. Les institutions d'aide au développement dans les services gouvernementaux ainsi qu'au sein des institutions internationales chargées du développement doivent être pressées d'orienter leur politique d'aide vers la promotion de situations favorables aux droits de l'homme et de cibler les déséquilibres socio-économiques qui sont à l'origine des mouvements de population. Les pays d'origine doivent s'assurer de l'intégration des besoins des rapatriés et/ou des personnes déplacées à l'intérieur du territoire dans leurs plans de développement nationaux. Pour sa part, le HCR continue de renforcer ses liens avec le dispositif intergouvernemental des droits de l'homme - que ce soit au plan technique, politique ou opérationnel - ainsi qu'avec les organisations non gouvernementales s'occupant des droits de l'homme sur le terrain. Le Haut Commissariat contribue notamment, de façon officielle ou officieuse, à l'étude des questions des droits de l'homme touchant aux réfugiés, à l'établissement d'un lien entre les mécanismes de supervision, à la participation et aux activités de promotion (y compris moyennant la diffusion de documents fondamentaux sur les droite de l'homme), à la coopération avec les services consultatifs et à l'utilisation de leurs compétences en général pour les activités du HCR en matière de promotion et de protection.
46. Le HCR a de tout temps joué un rôle dans les pays d'origine dans le cadre de ses activités de rapatriement librement consenti et de réintégration durable. Particulièrement ces dernières années, les activités du HCR avec les rapatriés lui ont appris à quel point de nombreuses personnes déplacées et rapatriées rencontraient les mêmes problèmes de protection. En outre, le HCR a vu beaucoup de réfugiés rentrer dans leur pays pour se retrouver aux prises avec les déplacements intérieurs de population. Cette expérience a convaincu le Haut Commissariat qu'une protection adéquate des personnes déplacées, à l'intérieur du territoire en particulier, est un facteur clé dans la prévention des flux de réfugiés et dans la garantie d'une réintégration durable des rapatriés dans leur pays d'origine.
47. Le HCR doit relever un défi particulièrement important à cet égard : la conception de méthodes permettant de répondre aux préoccupations en matière de sécurité et de protection avant le départ afin d'éviter le besoin de fuir. Grâce à son expérience acquise, lors des récentes situations d'urgence où il a été appelé à joué un rôle, le HCR est conscient que la protection des personnes à l'intérieur du pays d'origine est réalisable lorsqu'elle s'accompagne des garanties nécessaires conformes aux normes internationales en matière de droits de l'homme. La protection à l'intérieur du pays, par exemple moyennant la création de zones de sécurité sous garantie internationale, doit toutefois être pesée en regard ses droits des individus à quitter leur propre pays, à chercher et à trouver asile ou à rentrer de leur plein gré et à ne pas être obligés de rester sur un territoire où leur vie, leur liberté ou leur intégrité physique sont menacées. Il convient également de concilier les principes de base de la souveraineté de l'Etat et de l'inviolabilité du territoire avec la protection à l'intérieur du pays d'origine. En outre, il convient de ne pas oublier les limites du mandat actuel du HCR. Il s'agit de déterminer, après mûre réflexion, la mesure dans laquelle une activité dans un pays d'origine - hormis le rapatriement librement consenti doit, ou peut, être considérée comme une responsabilité normale du Haut Commissariat et conforme aux obligations statutaires du HCR à l'égard des personnes relevant de sa compétence. C'est notamment le cas lorsque le HCR est invité à jouer un rôle concernant les nationaux n'ayant jamais été considérés comme réfugiés. Le HCR doit rester ouvert à toute nouvelle philosophie et ne montrer flexible sur la façon dont il peut au mieux s'acquitter de ses responsabilités. A l'heure actuelle, le contenu de ces responsabilités et les limites des compromis qui lui impose son devoir de protéger doivent être clairement compris. Ce sera pour le Haut Commissariat un équilibre toujours plus difficile à atteindre.
B. Acceptation de la responsabilité de l'Etat
48. Le fait qu'un Etat assume ses responsabilités sur son propre territoire est conforme à l'approche de la protection internationale orientée vers les solutions. Cette approche exige également que la fonction de protection du HCR embrasse des mesures capables de faciliter l'élimination des causes profondes et de garantir, le cas échéant, le rapatriement librement consenti des réfugiés et leur réintégration durable. L'exercice adéquat de la fonction de protection bénéficiera donc du développement et de l'acceptation ultérieure du concept de la responsabilité de l'Etat.
49. La responsabilité des causes de la fuite/du déplacement des réfugiés et d'autres groupes a deux aspects, préventif et curatif. C'est une responsabilité qui incombe au pays d'origine mais également à la communauté internationale des Etats, en vertu des obligations fondamentales de l'Etat de visant à protéger la vie et la dignité de l'homme et à garantir les droits des citoyens ainsi que des obligations inhérentes à la qualité de membre de la communauté internationale. Le défi consiste aujourd'hui à donner un contenu pratique plus important à ces obligations en matière de déracinement des personnes, de demander aux Etats de mettre fin aux violations des droits de l'homme sur leur territoire, d'instaurer une coopération internationale pour réduire les facteurs de fuite et partager le fardeau afin que les pays d'origine et les pays d'asile (premier asile) puissent mieux accepter leurs responsabilités respectives. Parmi les mécanismes dont disposent les Etats, il convient de mentionner les pressions orchestrées au plan international, le dialogue interétatique et les politiques d'aide au développement. La tâche du HCR à cet égard inclut l'instauration d'un dialogue et une meilleure compréhension du concept de la responsabilité de l'Etat en ce qui concerne les personnes déplacées relevant de la compétence du Haut Commissariat. En outre, moyennant les programmes d'assistance et l'exercice scrupuleux de son mandat de protection, le HCR peut et doit encourager parmi les Etats l'acceptation de leurs responsabilités. Il peut aussi travailler directement avec les pays d'origine et les pays d'asile, dans le cadre des dispositions régionales convenues, telles que la Conférence internationale sur les réfugiés en Amérique centrale (CIREFCA) et le Plan d'action global pour les réfugiés indochinois (PAG) pour veiller à ce que la responsabilité, une fois acceptée par l'Etat, se traduise par des garanties juridiques et pratiques. A cet égard, l'accord donné par les Etats de réaccepter leurs citoyens et de restaurer leurs droits par le biais de déclarations d'amnistie peut être, et l'est souvent, négocié avec l'assistance du HCR. Il y a plusieurs domaines où le HCR peut déployer une action encore plus concertée pour protéger les personnes relevant de sa compétence et chercher des solutions durables à leur problème. Le Haut Commissariat examinera ces possibilités au cours des prochains mois.
C. Mécanismes de partage du fardeau
50. La responsabilité de l'Etat est étroitement liée au partage de la charge. Le Comité exécutif, à sa trente-neuvième session en 1988, a réaffirmé que « les problèmes des réfugiés sont du ressort de la communauté internationale et que leur solution dépend de la volonté et de la capacité des Etats à y faire face de façon concertée et entière, dans un esprit véritablement humanitaire et de solidarité internationale. »5 Le Comité exécutif estime que la solidarité internationale aide les Etats à s'acquitter de leurs responsabilités en matière de coopération avec le HCR dans ses activités de protection et aide d'autres Etats à respecter les principes humanitaires, protéger les réfugiés et adopter une approche humaine en matière d'octroi de l'asile. A l'avenir, il faudra aller au-delà des déclarations de principe à cet égard et mettre au point des mécanismes ou des dispositions qui permettront un partage des responsabilités juste et efficace. Les dispositions existant déjà incluent les Conventions régionales européennes sur l'attribution des responsabilités concernant l'examen des demandes d'asile. Le Comité exécutif a également élaboré des principes directeurs sur cette question, notamment la conclusion de 1989 sur les mouvements irréguliers.6 Enfin les concepts de pays sûrs et de pays à risques sont utilisés dans le cadre de certaines procédures de détermination du statut de réfugiés ou d'octroi de l'asile afin de définir les pays à qui l'on peut raisonnablement demander d'assumer la responsabilité des individus concernés.
51. Il convient maintenant d'entamer une réflexion novatrice sur des mécanismes supplémentaires de partage de la charge et de clarifier les paramètres des dispositifs existants. Ici également le HCR a un rôle important à jouer. Il doit s'attacher, de concert avec les Etats, à ce que les mécanismes mis au point répartissent de façon efficace les responsabilités sans que cela se fasse aux dépends de la protection des réfugiés tout en ouvrant la voie à des solutions durables et adéquates. A cette fin, par exemple, le Sous-comité plénier sur la protection international a été invité à examiner le concept de pays sûr lors de cette session. Le HCR consulte également les gouvernements concernés sur le rôle le plus idoine pour le HCR dans la mise en oeuvre des conventions régionales concernant l'attribution de responsabilités en matière d'examen des demandes d'asile. La façon dont le Haut Commissariat peut oeuvrer dans le sens d'une harmonisation et d'une accélération des procédures d'asile, de la détermination du statut de réfugié et de l'interprétation de la Convention de 1951, est actuellement à l'étude.
D. Stratégies d'information
52. Les personnes quittent leur pays, mal informées sur le statut de réfugié et les modalités et perspectives relatives à l'octroi de l'asile. L'arrivée d'un grand nombre de demandeurs d'asile ne pouvant déposer de demande valable fait de plus en plus de ravages dans l'opinion publique des pays d'accueil. Il appartient de toute évidence aux gouvernements et au HCR d'éduquer l'opinion publique en faisant des activités d'information, y compris le partage des informations, un élément indispensable des stratégies futures de lutte contre les flux migratoires cherchant à utiliser les voies de l'asile. Ces stratégies doivent notamment viser à assurer, y compris dans les pays d'origine, la disponibilité d'informations exactes concernant les procédures de détermination du statut de réfugié, l'octroi de l'asile et des politiques d'immigration dans les pays d'accueil, sans oublier ce que le HCR représente, peut ou ne peut pas faire.
53. En même temps, les décisions autorisées en matière de procédures de détermination de statut de réfugié et de protection effective des personnes en ayant besoin dépendent d'informations claires, justes et actuelles concernant les situations prévalant dans les pays d'origine. La diffusion d'informations du pays d'origine, déjà du domaine public, est un besoin pressant. Le rôle du HCR en matière de compilation et de diffusion éventuelle de cette information est actuellement à l'étude. Le HCR a déjà travaillé sur une base ponctuelle avec les Etats pour élargir sa base de données et celle des Etats à cet égard.
E. Renforcement du dispositif existant en matière d'intervention internationale
54. Le débat au sein des organes intergouvernementaux, principalement le Conseil économique et social (ECOSOC), a montré le besoin urgent d'un mécanisme efficace d'intervention d'urgence permettant à la communauté internationale de réagir de façon immédiate et décisive face aux situations d'urgence humanitaires impliquant des mouvements massifs de population, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur, y compris les réfugiés. Le HCR participe activement à ces discussions et a souligné la nécessité de la constitution d'une force et du resserrement des liens de coopération interinstitutions.
V. DEVELOPPEMENT ULTERIEUR DU DROIT DES REFUGIES
55. Dans la mesure où les activités de protection sont menées à bien dans le cadre de règles ou de principes juridiques, il est fondamental pour la protection effective des individus que le cadre juridique soit global et ne reste pas statique afin de relever les défis qui lui sont lancés.
56. Comme l'ont reconnu les participants à la quatorzième Table ronde sur les problèmes actuels en matière de droit humanitaire international, qui s'est tenue à l'Institut International du droit humanitaire de San Remo en Italie en 1989, même lorsque les situations ne sont pas spécifiquement couvertes par les Conventions internationales sur les réfugiés, les réfugiés, les demandeurs d'asile et les personnes déplacées sont toutefois protégés par le biais des principes généraux du droit international, les pratiques humanitaires des organisations internationales, le principe de l'humanité, et les garanties en matière de droits fondamentaux de l'homme. Dans le cadre de cet organe de droit international, trois ensembles de principes ont eu tendance à se développer séparément, bien que parallèlement, alors qu'il eût peut être été préférable de les lier plus étroitement dès les premières phases des travaux. Il s'agit du droit de la protection des réfugiés, des droits de l'homme en général et du droit humanitaire. Ensemble, ces trois branches du droit - qui en réalité sont étroitement interdépendantes et se chevauchent souvent - devraient idéalement permettre à un individu de faire valoir son droit, non seulement auprès de son propre pays ou, dans certains cas, d'un autre pays, mais auprès de la communauté internationale au sens large - un droit à son intervention directe sur une base humanitaire. En d'autres termes, lorsque les gouvernements ne reconnaissent pas les droits individuels ou lorsqu'il n'y a aucun gouvernement auquel l'individu puisse s'adresser en première instance, il est urgent que cette personne ait d'autres recours pour faire valoir ce droit. La communauté internationale semble prête à emprunter cette voie suite aux événements récents et il pourrait être intéressant d'examiner comment les fondements juridiques de ce développement pourraient être renforcés.
57. La Convention de 1951 est l'un des instruments juridiques clés de la protection des réfugiés. Elle a fait l'objet d'une adhésion massive et est reconnue comme étant toujours très pertinente dans le contexte de la protection des réfugiés. Il y a toutefois certaines lacunes ou incertitudes dans la protection qu'elle peut et doit offrir aux personnes qui en ont besoin. Le HCR aura pour tâche essentielle, dans les années à venir, de mettre au point des stratégies tant pour augmenter le nombre d'adhésions à la Convention de 1951 que pour renforcer ses mesures de protection; il lui faudra également résoudre les interprétations divergentes par toutes les voies appropriées, y compris les conclusions du Comité exécutif, les résolutions ou déclarations des Nations Unies et peut être de nouveaux instruments juridiques. Les possibilités qu'offre le recours à la juridiction consultative de la Cour internationale de justice pourraient également être étudiées de près.
VI. CONCLUSION
58. Le thème central de cette note en ce quarantième anniversaire est la nécessité de promouvoir et de redonner vigueur aux principes existant en matière de protection et, en même temps, d'étudier les possibilités d'un développement ultérieur du droit et de la pratique en matière de protection. Dans le cadre des valeurs et principes de base, ce processus de développement doit impérativement obéir au bon sens. La protection de l'individu dans des circonstances délicates et changeantes dépendra de l'efficacité d'une approche qui adapte de façon intelligente et pratique les valeurs et principes généraux aux circonstances actuelles.
59. Un nouvel ordre multilatéral pour la coopération sur les questions de réfugiés, de migrations et humanitaires se fait jour. Le HCR ne sera pas le dernier à en sentir les effets. De toute évidence, un certain nombre de défis vont au-delà de la capacité de réaction, des ressources, de l'expérience et du mandat du Haut Commissariat. Il y aura toutefois des domaines importants où la contribution du HCR pourra se révéler d'une importance cruciale. Le moment est peut être venu d'une réévaluation scrupuleuse par la communauté internationale, de concert avec le HCR, du mandat et du rôle du Haut Commissariat dans ce nouvel ordre multilatéral.
1 Voir le statut de l'Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (annexé à la résolution 428 (v) de l'Assemblée générale du 14 décembre 1950). Depuis lors, moyennant toute une série de résolutions, l'Assemblée générale a élargi le domaine de compétence du Haut Commissariat afin qu'il couvre également les rapatriés, les demandeurs d'asile et les personnes déplacées de son ressort.
2 Voir article 1 b de la Convention de 1951.
3 Voir paragraphe 17 ci-dessus.
4 Voir le statut du Haut Commissariat, paragraphes 1 et 9.
5 Conclusion no 52 (XXXIX) de 1988 concernant la « solidarité internationale et la protection des réfugiés ».
6 Conclusion no 58 (XL).