Questions/Réponses : Un réalisateur espagnol marqué par la décision de ses parents de quitter le Chili
Questions/Réponses : Un réalisateur espagnol marqué par la décision de ses parents de quitter le Chili
MADRID, Espagne, 25 mai (UNHCR) - Le réalisateur espagnol Alejandro Amenábar a été acclamé et a obtenu des prix pour des films tels que « Abre los ojos » (Ouvre les yeux), « The Others » (Les autres) et « Mar adentro », qui a remporté l'Oscar pour le meilleur film étranger en 2005. Né à Santiago d'un père chilien et d'une mère espagnole, il a quitté l'insécurité qui régnait au Chili avec sa famille en 1973. Alejandro Amenábar, 35 ans, a récemment répondu aux questions de la responsable de l'information de l'UNHCR à Madrid, Francesca Fontanini, et évoqué sur son travail, son passé et la situation des réfugiés. Voici quelques extraits de cette interview.
Votre famille a quitté le Chili alors que vous étiez très jeune. Pouvez-vous nous en parler ?
Paradoxalement, mes parents ont toujours essayé de rester en dehors de la vie politique et n'ont jamais été membres d'aucun parti. Leur décision de quitter le Chili en 1973 a été prise à cause de l'expérience vécue par ma mère - qui est espagnole - lors de la guerre civile en Espagne [entre 1936 et 1939]. La situation sociale et économique très compliquée qui existait au Chili sous le Gouvernement de Salvador Allende [président de gauche], a convaincu ma mère qu'une autre guerre était inéluctable, et mes parents ne voulaient pas cela pour leurs enfants. Nous avons quitté le Chili 15 jours avant le coup d'Etat du Général Augusto Pinochet, [le 11 septembre 1973].
Avez-vous eu des problèmes pour vous adapter à la vie en Espagne ?
Lorsque je suis arrivé en Espagne, je n'avais qu'un an et demi. Le seul problème évident est qu'au Chili, j'avais commencé à parler un peu, alors qu'en Espagne je n'ai plus rien dit pendant un an. Ce sont mes parents qui ont été les plus touchés par le coup d'Etat. Mon père n'a pu trouver qu'un travail de nuit, et ma mère - à cause d'une erreur administrative - a perdu sa nationalité espagnole pendant plusieurs années.
Comment cette expérience précoce a-t-elle influencé vos idées à l'égard des réfugiés ?
J'estime que j'ai eu de la chance de venir dans un pays comme l'Espagne, qui à l'époque était en train de s'ouvrir à la démocratie. La situation de mes parents a prospéré et notre vie de famille a continué tout à fait normalement. Je me rends compte que la situation de beaucoup d'autres familles a été et demeure très difficile, dans le pays qu'elles fuient et dans celui qui les accueille.
Cette expérience précoce a-t-elle influencé vos créations artistiques ?
Pas beaucoup, jusqu'à présent. Je pense parfois à faire un film sur la situation au Chili en 1973, principalement parce que la décision de mes parents a marqué ma vie : ma façon de parler, de vivre, mes amis, sans doute ma profession. Il y a un an, je suis retourné au Chili avec eux et nous avons visité notre ancienne maison, de laquelle je n'avais gardé aucun souvenir. Ma mère m'a indiqué une fenêtre en disant : « là, c'était ta chambre. » Puis elle m'a montré un arbre énorme qu'elle avait planté 30 ans auparavant. J'ai été ému en pensant que quelque chose créé par mes parents était toujours là, malgré le temps et la distance. Si je faisais un film, j'insisterais surtout sur le côté humain.
Dans vos films, avez-vous essayé de transmettre un message aux gens déracinés ?
Je ne crois pas l'avoir fait jusqu'à présent. En fait, à l'exception de « Mar adentro », je ne pense pas avoir approfondi des sujets politiques ou sociaux dans mes films. En revanche, à mon sens mes films sont toujours nés de préoccupations et convictions personnelles, allant au-delà d'un simple divertissement pour les spectateurs. Peut-être qu'un jour je ferai un film sur les réfugiés.
Que pensez-vous des stars qui utilisent leur célébrité pour faire parler des souffrances des personnes déplacées dans des endroits comme le Darfour, le Tchad et l'Iraq ?
Je trouve que ce sont des décisions très courageuses. Je ferais une différence entre l'engagement politique, qui est toujours délicat et peut être sujet à controverses, et l'engagement humanitaire de célébrités comme Bono, Angelina Jolie et Audrey Hepburn. Je les admire profondément pour leur travail.
En Iraq, ce qui est triste, c'est de constater que malgré le fait que des millions de personnes en Europe descendent dans la rue pour protester contre cette guerre hypocrite et sans fondement, la classe dirigeante nous ignore et insulte l'essence même de la démocratie. Et voilà les conséquences : des dizaines de milliers de morts, de blessés, de réfugiés et de familles détruites.
Comment l'industrie du film peut-elle faire connaître la situation des réfugiés ?
Je pense que le message peut être transmis par le biais de la publicité dans les médias, d'événements de charité et de documentaires. Un bon film dramatique comme « Blood Diamond » est la meilleure façon de présenter une situation spécifique de réfugiés en Afrique.
Pensez-vous que les pays européens font suffisamment pour aider les réfugiés ?
Je pense que le mot « suffisamment » n'est jamais suffisant.
Que pensez-vous de la situation en Espagne ?
Pendant des années, l'Espagne a été un pays d'émigrants. Plus spécifiquement, pendant la période d'après-guerre, il y a eu des exilés politiques, dont beaucoup d'entre eux ont trouvé refuge en Amérique latine. C'est pourquoi cela me blesse parfois d'entendre des commentaires désobligeants envers les immigrants latino-américains qui viennent en Espagne pour trouver du travail depuis des années. Quant aux politiques spécifiques pour aider les réfugiés, je crois que le statut actuel de la démocratie en Espagne et, de manière plus large, la tradition libérale de l'Europe, sont bénéfiques à l'intégration des réfugiés.
Avez-vous un message à adresser aux réfugiés du monde entier ?
Nous pouvons tous devenir réfugiés à un moment de notre vie. Je veux juste leur exprimer mon soutien et ma solidarité.