L'interminable attente des réfugiés bhoutanais au Népal
L'interminable attente des réfugiés bhoutanais au Népal
DAMAK, Népal, 14 juillet (UNHCR) - Lorsque les pluies de la mousson se sont abattues sur les champs de riz couleur émeraude récemment plantés, et sur les collines ondulantes des plantations de thé, les perspectives du rapatriement de plus de 100 000 réfugiés bhoutanais, contraints à l'exil depuis 14 ans, semblaient aussi embourbées que les buffles d'eau qui habitent ces contrées.
« Nous sommes comme des êtres morts », dit Hari*, réfugié bhoutanais âgé de 47 ans, dans le camp de Beldangi, faisant glisser d'un mouvement rapide un jeton sur la surface poudrée de la fine planche du Carambole, ce jeu si populaire dans cette partie du monde. Serrés autour de lui dans son humble abri, des écoliers, leurs mains pleines de cahiers, le fixent d'un regard curieux.
« On tue le temps qui passe, c'est tout, nous sommes condamnés à rester ici, sans promesse d'avenir », ajoute-t-il en montrant ces enfants qui bénéficient d'une instruction dans le camp, mais qui ne pourront peut-être jamais avoir l'opportunité de mettre leurs connaissances à profit
Après 14 ans passés sans qu'un seul réfugié ne soit retourné au Bhoutan, les tensions et les frustrations se généralisent dans les sept camps du Népal oriental gérés par l'UNHCR, une région qui, comme tant d'autres zones rurales du pays, est en proie à une insurrection maoïste.
Depuis 1993, les gouvernements du Népal et du Bhoutan ont tenté, sans succès, de négocier en vue de procéder au rapatriement des réfugiés bhoutanais. Bien qu'exclu de ce processus, l'UNHCR a toujours plaidé pour une solution durable.
« Nous ne pouvons pas les garder éternellement dans les camps, c'est inhumain et criminel de les abandonner ainsi, il appartient aux parties en présence de mettre fin à cette situation dramatique qui perdure », a déclaré le délégué de l'UNHCR au Népal, Abraham Abraham.
« D'humanitaire, le problème est devenu politique. Il faut donc trouver une solution politique solide », a-t-il ajouté.
Jusqu'à récemment, la plupart des réfugiés refusaient de prendre en considération toute option autre que le rapatriement au Bhoutan, qu'ils ont été contraints de quitter au début des années 90, suite à la mise en application de la loi sur la citoyenneté de 1985 qui a rendu la vie impossible pour les personnes d'origine ethnique népalaise. Mais, déçus de l'échec du rapatriement annoncé dans l'accord d'octobre 2003 sur toutes les modalités et conditions de retour, les réfugiés seraient prêts à accepter d'autres solutions dont l'intégration locale et la réinstallation. Ceci nécessiterait l'accord du gouvernement népalais.
« Nous voulons retourner au Bhoutan, mais nous avons finalement compris qu'il est impossible d'espérer pouvoir prendre le chemin du retour. Nous ne sommes pas tous du même avis, mais moi, je pense que nous ne pouvons plus rester ici », a expliqué Hari. « Nous demandons à l'UNHCR, ainsi qu'à nos parents et aux autorités népalaises de nous aider à trouver une solution durable nous permettant de nous installer au Népal ou dans un autre pays », a-t-il souligné, se faisant également l'écho d'un nombre croissant de réfugiés, ainsi que de quelques leaders politiques parmi eux.
Récemment, les pays de réinstallation ont donné à l'UNHCR la nette assurance d'être prêts à accepter des réfugiés en vue d'une réinstallation, dans le cadre d'une série de solutions vu l'impossibilité d'avoir recours à une seule solution pour l'ensemble des déracinés.
« Un retour de réfugiés au Bhoutan représenterait une première avancée vers une solution globale », a précisé Abraham, en ajoutant que l'Inde, grâce à son importance sur le plan régional et à ses bonnes relations avec à la fois le Népal et le Bhoutan, pourrait jouer un rôle important dans le choix d'une solution.
Le Népal a maintes fois indiqué que les réfugiés doivent être rapatriés, même s'ils sont de culture, d'ethnie et de langue népalaises. Mais au terme de 14 ans passés au Népal, certains réfugiés ont épousé des Népalais de souche et établi des liens familiaux extrêmement profonds. Pour eux, le retour au Bhoutan ou la réinstallation ne sont pas du tout ce qu'ils souhaitent.
En principe, les réfugiés n'ont pas le droit de travailler. Mais afin de mieux satisfaire leurs besoins quotidiens, ils cherchent et prennent officieusement de petits emplois à l'extérieur.
« Le gouvernement ferme les yeux sur ces petites enfreintes à la loi car il comprend fort bien que ces personnes doivent occuper leur temps de manière productive », a confié Abraham, en notant que cela crée parfois des tensions avec la population locale.
La communauté locale favorise bien entendu les réfugiés les plus instruits et les mieux formés. Les réfugiés bhoutanais bénéficiant d'un degré d'enseignement d'un niveau supérieur à celui dispensé dans les écoles locales, cela se traduit par une demande notable de réfugiés diplômés en tant qu'enseignants dans la région.
« Les réfugiés veulent vendre leur savoir mais il n'y a pas de marché [dans les camps]. Nous faisons donc en sorte que leur formation puisse être utile à l'extérieur des camps et qu'elle soit, par exemple, mise à profit dans les écoles », a indiqué un responsable du district gouvernemental à un membre de l'UNHCR lundi dernier.
Beaucoup d'élèves réfugiés sont nés au Népal et ne connaissent le Bhoutan qu'à travers les récits de leurs parents. Pourtant, ils sont nombreux à penser qu'ils iront un jour vivre dans leur patrie et à avoir des idées très précises quant à leur avenir professionnel.
« La majorité des étudiants rêvent d'aller dans leur pays et de mettre en pratique ce qu'ils ont appris ici. Ils y croient de toutes leurs forces », a confirmé un enseignant dans le camp de Khudunabari qui accueille quelque 12 000 réfugiés.
« Moi, un jour je serai docteur », nous dit une petite réfugiée de 12 ans, venue s'abriter sous le toit en chaume de la terrasse de l'école, pour se protéger d'une averse diluvienne lors d'une courte pause entre deux examens de fin d'année.
« Ils veulent être médecins, puis enseignants et ensuite chefs comptables », poursuit le professeur.
« Moi, ce que je veux avant tout, c'est retourner à l'école au Bhoutan et ensuite travailler comme assistant social » nous dit un garçon juste avant de passer un examen de sciences.
Mais le personnel de l'UNHCR et les Bhoutanais expliquent que les problèmes surgissent lorsque les réfugiés ont fini l'école parce qu'ils n'ont aucune perspective d'avenir, n'ayant officiellement pas le droit de travailler.
L'insurrection maoïste n'a en ce moment pas de conséquence négative sur la situation des réfugiés. « Mais cela pourrait influencer les jeunes dans les camps qui sont oisifs et frustrés. Leur séjour interminable dans les camps pourrait susciter des 'vocations militantes' et créer un climat d'insécurité à l'intérieur du Népal et au-delà de ses frontières » souligne Abraham.
Un effort concerté de la communauté internationale, en particulier du Bhoutan et du Népal, sera nécessaire pour mettre fin à ce drame qui s'éternise, a souligné le délégué de l'UNHCR.
« Combien de temps encore allons-nous vivre comme ça ? » a conclu Hari, avec amertume et colère. « Regardez nos enfants. Quel avenir les attend » ? demande-t-il tout en réunissant les pièces pour une autre partie de Carambole, histoire de tuer le temps, en attendant une issue, en attendant demain....
* Nom fictif
Par Jennifer Pagonis à Damak