Les réfugiés burundais témoignent de nouvelles exactions
Les réfugiés burundais témoignent de nouvelles exactions
Alors qu'Abdoul Yamuremye rentrait chez lui dans la banlieue de Bujumbura, capitale du Burundi, avec son épouse, Hadija, leur fils de six ans et leur petite fille, des amis ont interpelé le marchant de ferraille. « Ne rentrez pas à la maison », les ont-ils avertis. « Il y a des hommes armés. »
Cette nuit du jeudi avant Pâques, ils ont dormi à la mosquée. Le lendemain, Abdoul s'est rendu seul chez lui et pour y découvrir que sa maison servait de morgue à ses deux frères, à une amie ainsi qu'à ses trois enfants qui logeaient tous chez lui.
Il a retrouvé le corps de son amie dans la cuisine, assassinée alors qu'elle préparait le dîner composé de haricots, de riz et de frites. « Il y avait du sang partout, mais à part ça, tout était à sa place - la nourriture, les casseroles, le plateau », raconte Abdoul, 32 ans.
Au salon, ses deux frères adolescents de 15 et 19 ans avaient été abattus alors qu'ils regardaient la télévision. À côté d'eux, un des enfants, un garçon de sept ans, avait été criblé de balles. « Ils regardaient probablement le football », explique Abdoul. « Il adorait le football. » Dehors, il y avait encore les corps des deux soeurs du jeune garçon, l'une venait de fêter ses 10 ans et l'autre en avait 2. Aucun d'entre eux n'avait été épargné.
« Il y avait du sang partout, mais à part ça, tout était à sa place - la nourriture, les casseroles, le plateau. »
« Il y avait eu beaucoup de garçons étranges dans le quartier », dit-il. « Ils me regardaient et ils se frottaient les mains comme s'ils faisaient la lessive. Ils disaient 'On va faire le ménage, on va vous dégager de cet endroit comme ça.' »
Il y a un an cette semaine, Pierre Nkurunziza, le président du Burundi a annoncé qu'il allait se présenter à l'élection pour un troisième mandat, en dépit de la limite constitutionnelle de 2 mandats. Sa déclaration, avalisée ensuite par les tribunaux, a provoqué des manifestations de protestation dans les rues suivies d'une répression meurtrière. Les Imbonerakure, milices violentes du parti au pouvoir, ont ratissé le pays pour faire la chasse aux opposants, provoquant l'apparition de gangs de combattants armés opposés au président. Il y eut des centaines de morts.
Dans les semaines qui ont suivi, des dizaines de milliers de gens ont fui le petit pays d'Afrique centrale. Aujourd'hui, plus d'un quart de million de Burundais ont cherché refuge dans les pays voisins, en Tanzanie pour la plupart - 135 000 -, comme c'est le cas pour Adbul et sa famille.
Depuis le début 2016, le flot de réfugiés fuyant le Burundi s'est ralenti pour se situer à environ 280 personnes par jour en moyenne, comparé aux 2 500 réfugiés qui arrivaient chaque jour en Tanzanie seulement au pic de la crise des réfugiés en mai 2015. Parallèlement, le flux d'informations provenant de l'intérieur du pays s'était tari. Pour le monde extérieur, il semblait que la situation était en cours de stabilisation.
Les réfugiés qui parviennent encore à s'échapper rapportent des récits qui dressent un tableau bien différent de la vie au Burundi. Des reporters du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, ont passé une semaine dans deux camps en Tanzanie à s'entretenir avec des réfugiés burundais.
Récit après récit, ils y ont entendu les cas de nouvelles attaques, d'assassinats, de torture et de peur, survenus pour certains au début avril à peine.
Il est facile de comprendre pourquoi ils s'en sont pris à Nolasque Nduwimana, professeur d'histoire de 31 ans dans un internat catholique pour filles. « Oui, bien sûr que je soutenais l'opposition », déclare-t-il. « Est-ce que je méritais de mourir pour autant ? »
Des amis l'ont averti en lui disant que son nom figurait en tête d'une liste dressée au cours d'une réunion locale du comité du parti dirigeant. Il avait prévu de partir, mais voulait d'abord terminer de noter les examens de ses élèves.
Il a presque attendu trop longtemps. « Ils ont dit 'On va faire le ménage, on va vous dégager de cet endroit comme ça' ».
Le Vendredi saint de cette année, vers minuit, cinq hommes ont fait irruption dans sa chambre ; ils l'ont forcé à se mettre par terre, ont pointé deux mitraillettes vers sa tête et ont reçu l'ordre : « Tuez-le. »
À ce moment-là, un autre professeur dans une autre chambre au bout du couloir a appelé et distrait les attaquants. Nolasque a saisi cette fraction de seconde pour avoir la vie sauve.
Il a fui, pieds nus, en pyjama, récupérant juste ses lunettes sur la table de chevet avant de sauter par la fenêtre de la salle de douche et de s'enfuir en courant. Homme de lettres, plus habitué des bibliothèques que de la forêt, il a passé trois jours à dormir dehors et à s'approcher lentement de la frontière sous le couvert de la nuit.
Déguisé en prêtre - « L'église est la seule chose que les milices respectent encore », dit-il - il est parvenu à passer en Tanzanie.
Pendant les premiers jours qu'il a passés dans un camp de réfugiés, il refusait de quitter sa tente. Et aujourd'hui encore, quand il parle, il a les lèvres tendues, témoins de la lutte qu'il livre pour ne pas s'effondrer.
Ce camp est trop près du Burundi, dit-il. Il veut qu'on le conduise plus loin. « On peut me trouver ici », dit-il. Ses lèvres sont tendues. Son traumatisme psychologique est encore récent et il a besoin d'aide.
Le HCR coopère avec ses partenaires du gouvernement de Tanzanie pour offrir un accompagnement de base et un soutien psycho-social aux réfugiés, mais il a besoin d'une aide plus importante.
« Le problème c'est que notre appel aux bailleurs de fonds est sous-financé au point que nous parvenons tout juste à fournir des abris, des articles ménagers, des latrines et des douches. Il s'agit vraiment du plus élémentaire », explique Dost Yousafzai, le chef du Bureau auxiliaire du HCR à Kibondo, dans la région de Kigoma en Tanzanie, à proximité de la frontière du Burundi et des trois camps de réfugiés.
Pour répondre aux conséquences de la crise burundaise dans toute la région d'Afrique centrale, le HCR estime avoir besoin de 314 millions de dollars. Jusqu'à présent les bailleurs n'ont offert que 46 millions de dollars, c'est-à-dire un septième de ce qu'il faudrait.
« Avec si peu de soutien », poursuit-il, « nous allons malheureusement devoir renoncer à l'accompagnement psychologique des personnes qui ont survécu à l'horreur, ou à l'éducation des enfants, ou aux soins pour les handicapés et les vieux, ou encore à la protection de l'environnement autour des camps. »
Les besoins sont aussi graves que les récits qu'on nous rapporte sans cesse. Manase Gahungu, un pharmacien hospitalier a passé trois mois en prison. Il a vu des camarades de cellule attachés avec des cordes et embarqués de nuit.
Il ne les a jamais revus. Il a été torturé à plusieurs reprises par des hommes qui découpaient des morceaux de la chair de ses bras avec des couteaux comme on coupe de la viande.
Il a finalement pu s'échapper en payant un bakchich de 600 dollars aux gardiens.
« Le problème c'est que notre appel aux bailleurs de fonds est tellement sous-financé.
« Sabine, une grand-mère qui a la cinquantaine et qui a demandé que son vrai nom ne soit pas publié, sait que son mari a été tué parce qu'il était "loyal et s'insurgeait contre l'injustice. »
Elle n'a jamais pu l'enterrer car elle a dû fuir.
« Je fais des cauchemars, je rêve que des chiens mangent son corps », dit-elle.
Un autre homme, un ancien garde de sécurité qui déclare s'appeler Davide, a vu des camionnettes transporter des corps pour aller les enterrer dans des charniers dans la forêt.
« Il y en avait tellement qu'ils les avaient attachés avec des cordes pour qu'ils ne tombent pas », raconte-t-il.
Ernest est un réfugié dont les parents et trois jeunes soeurs ont été tués par une grenade simplement jetée dans leur maison. Il raconte que des hommes étaient venus à plusieurs reprises pour demander de l'argent que son père n'avait pas. Ils disaient qu'il fallait payer les cotisations de membre pour adhérer au parti au pouvoir. Il pense qu'il s'agissait simplement d'une tentative d'extorsion.
« Il faut que le monde soit plus solidaire du peuple burundais et surtout de ceux qui sont encore dans le pays », dit-il. « Il y a des gens qui meurent aujourd'hui et d'autres mourront demain. »