L'aide internationale est indispensable pour arrêter la traite d'êtres humains dans le Golfe d'Aden
L'aide internationale est indispensable pour arrêter la traite d'êtres humains dans le Golfe d'Aden
BOSSASSO, Somalie, 14 février (UNHCR) - Deer, une magnifique petite Somalienne de 10 ans, est étendue sur une bâche en plastique, sous une grande tente. Elle a le regard vide et remarque à peine les nombreuses personnes qui sont autour d'elle.
En état de choc et déshydratée, elle vient juste d'être secourue - avec 125 autres personnes - après huit jours de dérive sur le Golfe d'Aden à bord d'un petit bateau de pêche. Ce voyage aux couleurs de désespoir les a ramenés à leur point de départ, sur la côte somalienne au nord-est, eux qui rêvaient d'une vie nouvelle sur une autre terre.
Du moins est-ce le cas pour ceux qui ont pu revenir de ce terrible périple. Après une semaine en mer, sous un soleil de plomb, sans eau ni nourriture, les passagers entassés en plein air sur ce bateau ont commencé à perdre la tête, racontent les survivants. L'oncle de Deer, avec qui elle voyageait, l'a confiée à une femme avant de se jeter à la mer, promettant de nager jusqu'à la côte - peut-être pendant des jours - afin d'aller chercher des secours. On ne l'a pas revu depuis. Il fait désormais partie des centaines de personnes qui périssent chaque année noyées au cours de cette périlleuse traversée en direction du Yémen.
« Ce n'est pas vrai, il est simplement à l'hôpital », s'insurge Deer, sortant de sa torpeur pendant un court moment.
« C'est ce que nous la laissons croire », explique calmement une femme plus âgée, qui a elle aussi survécu au drame et préfère s'éloigner pour ne pas énerver la petite.
Bossasso n'est pas seulement le principal port commercial du Puntland, une zone du nord-est de la Somalie qui a autoproclamé son indépendance, c'est aussi l'une des plus grandes plaques tournantes du trafic mondial. D'un côté, des armes, des cigarettes et des drogues entrent dans le port ; de l'autre, des êtres humains en partent. Au cours des trois dernières années, des milliers de Somaliens et de plus en plus d'Ethiopiens ont quitté la côte somalienne à bord de petits bateaux de pêche dans l'espoir de rejoindre le Yémen. De là, beaucoup veulent continuer leur route et travailler illégalement en Arabie saoudite, qui symbolise, dans l'imaginaire local, le pays de toutes les richesses. (Une fois arrivés au Yémen, certains Somaliens sont enregistrés par l'UNHCR comme réfugiés, mais la plupart sont des migrants économiques.)
Bien souvent les embarcations chavirent et même s'ils parviennent au terme de leur périple, les voyageurs sont régulièrement battus par les passeurs, qui les forcent à sauter par-dessus bord lorsqu'ils approchent de la côte bien que très peu d'entre eux sachent nager. Les passagers sont principalement des hommes et des femmes jeunes, âgés de 15 à 30 ans, mais aussi des enfants.
Asho Ibrahim Hassan, âgée de 28 ans, fait partie des 16 survivants qui, comme Deer, ont été conduits dans la tente de l'UNICEF (Fonds international de secours à l'enfance des Nations Unies), après avoir été sauvés en mer par un navire américain. Bien qu'elle soit manifestement encore choquée, elle parvient à faire un récit cohérent de leurs mésaventures.
Leur embarcation, comme tant d'autres quittant chaque semaine les rives du Puntland, est partie lourdement surchargée. A son bord se trouvaient 125 personnes de nationalités somalienne et éthiopienne, toutes parties « en quête d'une meilleure vie et d'un travail », raconte Asho, les lèvres enflées par les brûlures du soleil.
Elle voulait absolument retourner au Yémen, où elle a travaillé pendant 10 ans avant d'être renvoyée dans son pays. Elle avait emmené son fils âgé d'un an, impatient de retrouver son père, qui vit toujours au Yémen. Elle a donc payé l'équivalent de 33 dollars (une somme importante ici) aux trafiquants qui s'occupent des bateaux.
« Le moteur est tombé en panne le premier jour ; nous avons dérivé pendant les sept jours qui ont suivi », raconte Asho. Les passeurs, dont les opérations sont bien organisées, avaient limité au strict minimum la quantité de nourriture et d'eau que chaque passager avait le droit d'emmener pour ce voyage, qui devait initialement durer 36 à 48 heures.
Sans vivres, eau, ni protection contre le soleil, « j'étais dans un très mauvais état », dit simplement Asho. « Je pleurais mais Allah [Dieu] nous a sauvés. C'était quelque chose d'indescriptible. »
Certains détails concernant le déroulement des événements survenus sur le bateau d'Asho restent mal connus, peut-être de manière délibérée. Mais les adultes qui figurent parmi les 16 survivants s'accordent à dire que le capitaine du bateau a lui aussi fini par périr noyé, peut-être jeté par dessus bord par des clients en colère.
« Puis les Américains nous ont sauvés et le personnel à bord a été merveilleux », explique Asho. « Ils nous ont donné des tentes, de la nourriture et de l'eau. »
Bien que la nature dangereuse des bateaux clandestins soit largement connue, des milliers de Somaliens et d'Ethiopiens continuent à mettre leur vie en péril. D'après les informations recueillies auprès de leurs clients, les trafiquants ont mis en place un réseau bien rodé et professionnel qui recrute sa clientèle en lui promettant une vie meilleure au Yémen ou en Arabie saoudite. Ils utilisent aussi des radios pour se tenir informés lorsqu'un nouveau groupe de clients est en route.
La plupart des candidats au voyage sont originaires du centre et du sud de la Somalie, des zones plongées dans l'anarchie, et, de plus en plus, d'Ethiopie. Ils arrivent à Bossasso par camion et à pied, au terme d'un voyage qui peut durer jusqu'à 15 jours et qui comporte lui-même de nombreux dangers.
Les clients sont souvent escroqués par les trafiquants qui prennent leur argent sans les transporter comme ils l'avaient préalablement convenu.
En l'espace de deux jours, trois Ethiopiens ont chacun raconté à l'équipe de l'UNHCR à Puntland qu'ils se sont fait voler tout leur argent pendant le voyage aux alentours de Burao, une ville du Somaliland. Nombre d'entre eux finissent par dormir dans les rues de Bossasso, effectuant des petits travaux et essayant désespérément de rassembler à nouveau les 30 à 50 dollars nécessaires pour payer leur traversée.
Quelques femmes finissent par se prostituer ou sont violées par des passeurs, des miliciens ou d'autres voyageurs. Récemment, près des falaises de Mareero, un point de départ situé à 14 kilomètres à l'est de Bossasso, les clients attendant d'embarquer ont dit que quatre femmes avaient été violées la nuit précédente par des hommes armés en uniforme. Parfois les trafiquants emmènent leurs clients en mer pendant une journée ou presque, naviguent en rond et les déposent sur la côte somalienne, prétendant qu'ils sont arrivés au Yémen.
Malgré tout cela, la traversée périlleuse du Golfe d'Aden est presque devenue un trajet régulier pour certains. Un Somalien âgé de 30 ans, qui attend pour embarquer à Mareero, raconte avoir effectué à neuf reprises le voyage jusqu'au Yémen. Refoulé systématiquement, il se prépare pour sa dixième traversée.
Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres a appelé la communauté internationale à agir pour endiguer le flux de ces personnes désespérées. « La communauté internationale doit aider et faire pression sur les autorités locales de Puntland et de Bossasso pour sévir contre les passeurs », a-t-il affirmé en septembre dernier.
Pourtant, jusqu'à présent, tous les efforts pour décourager la traite d'êtres humains n'ont servi qu'à déplacer les points de départ hors de la ville de Bossasso, plus à l'ouest et à l'est sur les côtes. A 35 kilomètres à l'ouest de Bossasso, Qaw est devenu un point de départ si connu, qu'un commerçant a ouvert un petit magasin là-bas. Il y vend des boissons, des gâteaux, des spaghettis, de la sauce tomate, des chaussures en plastique et des lames de rasoir.
Le colonel Aidid Ahmed Nour, commissaire divisionnaire de police de Bossasso, est informé de ce qui s'y passe, mais dit ne pas disposer des voitures ni de l'essence nécessaires pour envoyer des policiers et empêcher les départs.
« Nous avons besoin du soutien de la communauté internationale », confirme Khadar Abdi Haji, le maire de Bossasso. « Le gouvernement n'a aucun bateau. Si notre police reçoit un réel soutien, nous pensons pouvoir stopper le trafic sur la côte. »
Mais au fait, de quel montant a besoin Puntland pour arrêter le trafic ? « Si vous nous payez, nous préparerons un budget complet », ajoute aimablement le colonel Aidid.
En l'absence d'intervention par les autorités compétentes, une organisation non gouvernementale locale, la SRWU (Somali Reunification Women's Union) fait tout pour empêcher les clandestins d'embarquer sur les bateaux.
Abdullahi Dahir Hagi, chargé de programme pour la SRWU, sait qu'il se bat contre le désespoir et le fatalisme qui poussent tant de jeunes hommes et femmes à entreprendre ce qu'ils savent d'avance être un voyage dangereux et extrêmement pénible.
Il emporte avec lui une liasse de photos de corps sans vie qui ont été rejetés sur les rivages du Yémen le mois dernier après que deux bateaux de passeurs aient chaviré. Il montre ces photos épouvantables à tous ceux qu'il soupçonne de vouloir entreprendre ce voyage.
« Cette mission a pour but de sauver des vies humaines », affirme-t-il. « A tous ceux qui vont payer pour mourir, nous voulons montrer les photos pour les décourager. Tous ceux qui voient ces photos décident immédiatement de rester et de travailler à Bossasso plutôt que de partir pour le Yémen. »
Son optimisme est confirmé par les faits. Un matin dans le désert au sud de Bossasso, il rencontre un groupe de neuf hommes, la plupart d'entre eux âgés de 18 ou 19 ans, originaires de Jowhar, au sud de la Somalie. Ils se dirigent vers Bossasso pour gagner de l'argent et payer une traversée illégale vers le Yémen.
L'un des voyageurs, Abdurahman Adil, âgé de 23 ans, exprime bruyamment sa consternation en examinant les images choquantes. Visiblement éprouvé, il tourne en rond comme s'il allait vomir, puis il se laisse tomber sur le sol et, accroupi, dit doucement : « Je ne partirai pas. »
L'un de ses compagnons, Abdulkadir Osman, âgé de 28 ans, adopte, lui, un air de bravade. « C'est le destin qui décidera de notre vie ou de notre mort », s'exclame-t-il.
Mais quelques minutes après, il se range à l'avis de la majorité : « Nous resterons à Bossasso », affirme-t-il d'un ton posé. « Nous n'embarquerons pas sur ces bateaux. »
En réalité, seule une minorité change d'avis. De retour dans la tente de l'UNICEF, parmi les survivants, Asho Ibrahim Hassan dit que, désormais, elle se consacrera à alerter les autres candidats au départ du danger de partir sur un bateau de trafiquants.
Mais elle doute que cela aura beaucoup d'effet. « Tout le monde connaît les risques », dit-elle, « mais ils partent quand même car ils sont en quête d'une vie meilleure. »
Par Kitty McKinsey à Puntland