La forteresse Europe : un mur de plus en plus difficile à franchir
La forteresse Europe : un mur de plus en plus difficile à franchir
BUDAPEST, 20 avril (UNHCR) - Les pittoresques montagnes des Carpates qui séparent l'Ukraine et la Slovaquie sont, malgré leur isolement, abondamment inspectées des deux côtés de la frontière. Cette route est, en effet, de plus en plus utilisée par les migrants et les réfugiés comme un point d'entrée dans l'Union européenne (UE).
Du côté ukrainien de la frontière, des gardes patrouillent jour et nuit, interceptant les personnes qui tentent de franchir illégalement la frontière. Elles sont en nombre croissant. Alors que seules 947 personnes avaient été interpellées à la frontière slovaquo-ukrainienne en 2003, elles étaient 2 274 l'année suivante et 4 486 en 2005. Les organisations non gouvernementales estiment que ces chiffres ne représentent qu'environ la moitié des individus qui tentent de passer la frontière. Selon les évaluations existantes, 80 pour cent de ceux qui échappent aux patrouilles ukrainiennes seraient ensuite arrêtés par les autorités slovaques.
Le nombre de personnes qui demandent l'asile du côté ukrainien de la frontière, dans la région de Zakarpattia (qui est le principal point d'entrée des clandestins dans l'Union européenne) a également beaucoup augmenté. En 2005, le nombre de demandes d'asile a été multiplié par quatre par rapport à 2004. Les 797 demandes qui ont été enregistrées représentaient 50 % du nombre total des demandes déposées en Ukraine en 2005. Malgré ces chiffres élevés, le taux global de reconnaissance du statut de réfugié en Ukraine était inférieur à 0,4 % en 2005. L'an passé, pas une seule personne ayant demandé asile dans la région de Zakarpattia n'a obtenu le statut de réfugié.
La majorité des personnes récemment interpellées viennent de pays tels que la Fédération de Russie (Tchétchènes), de Moldavie, de Géorgie, de la région du Caucase mais aussi de pays plus lointains comme la Chine, l'Inde, le Bangladesh et le Viet Nam.
Toutefois, dans les pays qui constituent la nouvelle frontière orientale de l'UE - la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie - une nette diminution des demandes d'asile a été observée, en dépit du nombre croissant de personnes entrant dans l'union. Entre 2004 et 2005, leur nombre a chuté de 44 %, passant de 21 867 à 12 190 personnes.
« Nous savons que le flux comprend à la fois des demandeurs d'asile et des migrants économiques », indique Lloyd Dakin, délégué régional de l'UNHCR à Budapest. « Mais nous sommes extrêmement inquiets au sujet des systèmes stricts de contrôle aux frontières qui rendent le passage impossible même pour les réfugiés. »
Par conséquent, le bureau régional de Budapest prépare un projet majeur de surveillance des frontières pour les prochaines années qui incluera les frontières terrestres, les ports et les aéroports.
En accord avec la pratique européenne, la politique et le financement du gouvernement ukrainien se concentrent davantage sur la prévention de la migration irrégulière et les contrôles aux frontières. Ces dernières années, l'Ukraine a développé une législation, des institutions et des structures, avec pour objectif de construire un système d'asile efficace. Mais les problèmes continuent concernant le respect des standards du droit international dans l'interprétation de la législation nationale. Le traitement des détenus et les conditions carcérales restent déplorables, à cause d'affectations inadéquates du budget de l'Etat.
Par exemple, dans la région de Zakarpattia, le partenaire de l'UNHCR, la Fondation NEEKA, et d'autres organisations humanitaires doivent fournir de la nourriture, des médicaments, des vêtements, des moyens de transport, des conseils juridiques et sociaux, des interprètes. Ils doivent même financer la location de l'hôtel ou de l'abri pour les demandeurs d'asile qui ont entamé une procédure, afin qu'ils reçoivent au moins le traitement minimum.
Juste de l'autre côté de la frontière avec l'Ukraine, en Slovaquie, les réfugiés et les migrants, y compris les familles avec des petits enfants, sont maintenus dans des centres de détention jusqu'à six mois. Au centre de détention de Secovce dans l'est de la Slovaquie, les détenus sont autorisés à faire de l'exercice à l'extérieur pendant une demi-heure, deux fois par jour, dans une cour entourée de fil de fer barbelé. Les chiens de garde ont été récemment retirés après les protestations des organisations humanitaires. Les demandeurs d'asile reçoivent de la nourriture et des soins médicaux. Des travailleurs sociaux et des avocats peuvent leur rendre visite.
Hassan a fui son pays natal, la Tchétchénie, et a réussi à rentrer dans l'Union européenne. Il est actuellement au centre de détention de Secovce. « Je ne veux tuer personne », dit-il, « ni mes compatriotes tchétchènes, ni les Russes. Mais vivre dans mon pays est impossible. Et partout ailleurs, ils vous disent : vous êtes Tchétchène, alors vous êtes un terroriste. »
Cependant ceux qui sont interceptés n'échouent pas tous, semble-t-il, au centre de détention. L'UNHCR a reçu des rapports alarmants selon lesquels quelques Tchétchènes qui étaient entrés sur le territoire de l'Union européenne, en traversant clandestinement la frontière depuis Zakarpattia vers la Slovaquie, se sont vus illégalement refuser l'accès aux procédures d'asile dans ce pays. Au lieu d'être protégés, ces groupes ont été expulsés et ré-admis en Ukraine, puis refoulés vers la Fédération de Russie.
En théorie, chaque personne réclamant l'asile devrait pouvoir accéder à une procédure d'asile, être relâché du centre de détention et voir sa demande étudiée, que ce soit en Slovaquie ou en Ukraine. Mais avec le mélange de migrants et de demandeurs d'asile, ainsi que de criminels impliqués dans le racket lucratif de la traite d'êtres humains, les administrations responsables de l'application des lois se concentrent plutôt sur l'arrêt de la migration irrégulière plutôt que l'assistance aux demandeurs d'asile.
L'UNHCR indique que de meilleurs systèmes sont nécessaires pour que les demandeurs d'asile reçoivent l'aide et la protection auxquelles ils ont droit dans le cadre de la législation internationale.
« La seule façon de distinguer les demandeurs d'asile de ceux qui ne le sont pas revient aux autorités qui peuvent agir et décider selon chaque cas individuellement », ajoute Lloyd Dakin. « Ce n'est pas aux gardes frontière ou à d'autres forces de sécurité de prendre ce type de décision. »
Par Melita Sunjic à Budapest, et Natalia Prokopchuk à Kiev