En Colombie, le conflit pourrait entraîner la disparition de certaines populations indigènes, selon le HCR
En Colombie, le conflit pourrait entraîner la disparition de certaines populations indigènes, selon le HCR
UNHCR, BOGOTA (Colombie), le 22 avril - Des populations indigènes de Colombie sont menacées dans leur existence même par le conflit prolongé qui secoue le pays, affirme l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, investie actuellement dans une mission d'assistance auprès des milliers d'indigènes fuyant les combats dans le sud-ouest du pays.
Cette semaine, les affrontements entre l'armée colombienne et la guérilla des Forces armées révolutionnaires armées de Colombie (FARC) ont provoqué l'exode d'environ 3 500 Indiens Nasa de la zone du village de Toribio, dans la province de Cauca, au sud-ouest. Ce nombre pourrait atteindre 5 000 si les combats se poursuivaient. L'UNHCR et d'autres agences des Nations Unies se sont rendus sur place vendredi dernier pour évaluer les besoins de la population en matière humanitaire et pour appuyer les efforts des autorités civiles.
Les Nasa ne sont cependant qu'un des nombreux groupes victimes de plus de deux décennies de combats en Colombie. On a constaté cette année une augmentation des attaques contre les communautés indigènes et leurs dirigeants.
« Il est même à craindre que, si ce processus se poursuivait, quelques-uns de ces groupes, en particulier les plus faibles et les plus vulnérables, puissent disparaître - et avec eux leur culture - du fait qu'ils ont été éloignés de leurs terres ancestrales et dispersés, peut-être à tout jamais », a déclaré vendredi à Genève, devant la presse, Ron Redmond, porte-parole de l'UNHCR.
« Certaines communautés minoritaires de la région de l'Amazone se trouvent en danger réel d'extinction », a précisé Rodolfo Stavenhagen, Rapporteur spécial des Nations Unies pour les Droits des peuples indigènes. « La situation des communautés indigènes déplacées est extrêmement préoccupante, surtout pour les femmes et les enfants. »
La Colombie abrite plus de 80 groupes indigènes, totalisant presque 1 million de personnes. Les déplacements forcés ont affecté ces populations de manière disproportionnée puisque, ne représentant que 2 ou 3 % de la population du pays, ils constituent 8 % des gens déplacés. Dans l'absolu, toutes les populations indigènes de Colombie sont gravement exposées au risque d'éloignement forcé de leurs terres ancestrales.
Les populations indigènes déplacées sont souvent restées dans leur région d'origine, dans la tentative de préserver des liens avec leurs territoires ancestraux, ou ont fui pour se réfugier dans des endroits reculés où il est difficile de les retrouver, ce qui contribue à rendre leur tragédie invisible.
Du fait que l'identité et la culture indigènes sont intimement liées au territoire, les communautés indigènes subissent des dommages irréversibles lorsqu'elles sont confrontées à un déplacement forcé : perte des modèles traditionnels et culturels, dont la langue, et détérioration drastique de leur mode de vie. Ces altérations affectent plus particulièrement les catégories vulnérables comme les enfants, les jeunes et les personnes âgées.
Au nord-ouest du pays, dans la province de Chocó, quelque 4 000 indigènes Embera risquent de façon imminente d'être déplacés en raison des combats entre la guérilla et des groupes paramilitaires dans le secteur de Bojaya. En mars 2004, plus de 1 200 personnes issues de cinq communautés indigènes de ce même secteur ont été contraintes de fuir. Depuis le début de cette année, les groupes armés irréguliers ont accru leurs activités, bloquant l'acheminement vers certaines communautés de biens alimentaires, de médicaments, d'essence et d'autres produits de première nécessité.
Dans la région septentrionale de la Sierra Nevada de Santa Marta, quelque 40 000 personnes appartenant à quatre groupes indigènes (Wiwa, Kogui, Kankuamos et Arhuaco) luttent pour leur survie et pour la défense de leur culture. Prises entre différents groupes armés en lutte pour le contrôle de la région, les populations de la Sierra Nevada font face à une situation marquée par un exode croissant et la restriction dans l'approvisionnement en aliments et en médicaments.
« Nous nous opposerons au prix de notre vie à ces attaques contre notre territoire, la Sierra Nevada, qui est notre terre mère et le coeur du monde. Sans avoir recours à quelque moyen violent que ce soit, animés de la conviction de ceux du côté de la vérité et de la justice, nous continuerons à le clamer haut et fort », indique la Déclaration des chefs spirituels des populations indigènes de la Sierra Nevada de Santa Marta.
Les Awa, qui vivent le long de la frontière avec l'Equateur, ont subi de plein fouet les effets du conflit dans la province de Nariño, au sud du pays, sous la forme de pressions et menaces, blocus économique, déplacements forcés et assassinats de leurs dirigeants. D'autres populations comme les Eperara-Siapidaara, les Pasto, les Quillacinga, les Inga et les Kofan ont été également touchées par le conflit armé qui secoue cette partie de la Colombie.
Comme bien des peuples indigènes de Colombie, les Eperara-Siapidaara, qui vivent sur la côte Pacifique du pays, ont historiquement souffert de la colonisation de leurs territoires, du pillage de leurs ressources naturelles et de l'implantation de cultures illicites. Ils ont été également soumis au recrutement de force de la part des groupes armés irréguliers, et risquent d'être déplacés.
Selon les estimations de l'UNHCR, 46 % des victimes des déplacements forcés constatés l'année dernière dans la province méridionale de Nariño étaient membres de communautés indigènes, dont la moitié n'étaient ni recensées ni assistées par les autorités. Ce fait prend un relief particulier lorsque l'on sait que ces populations ne représentent que 8 % à peine de la population de cette région. Le nombre est sans doute plus important en ce qui concerne les déplacements de personnes isolées.
Les communautés indigènes d'Antioquia, de Chocó et de Cauca ont dénoncé les exactions commises par les Forces armées colombiennes. D'autres, à Arauca, à Chocó, à Guaviare et dans la province amazonienne de Vaupés, ont attesté de la présence de mines antipersonnel sur leurs territoires.
« Plus de 20 000 personnes vivant à Mitú et Carurú dans la région de Vaupés, province peuplée à 85 % d'indigènes, sont prises sous le feu croisé de différentes factions engagées dans le conflit. Nous dénonçons un risque sérieux d'extinction de ces communautés indigènes », déclare l'Association des autorités traditionnelles de Vaupés.
« Nous appelons les autorités colombiennes à prendre des mesures d'urgence pour protéger les communautés indigènes et leurs dirigeants et à diligenter des enquêtes sur les meurtres et tous les crimes perpétrés contre eux », a précisé R. Redmond, de l'UNHCR. « Nous appelons également toutes les parties engagées dans ce conflit à respecter les principes du droit international humanitaire, à respecter les droits des populations civiles et à s'abstenir de mêler les civils au conflit. »
En Colombie, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés s'investit dans la protection des droits des peuples indigènes, oeuvre pour une participation des femmes au processus de décision au sein des communautés indigènes, et pour que des liens plus étroits se tissent entre les organisations indigènes pour une meilleure capacité de réponse.
Le projet de l'UNHCR en faveur des communautés comprend l'assistance apportée aux personnes pour l'obtention de documents d'identité, ainsi que la formation de personnel enseignant apte à répondre aux besoins des enfants déplacés, les activités occupationnelles pour les jeunes, la formation aux droits de l'homme. En outre, ce projet fournit un cadre de sauvegarde écrite des principes de leur culture.
Par William Spindler, UNHCR Colombie